CHAPITRE 8 : SOUVENIRS, SOUVENIRS…

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Je ne m’étais pas trompé sur dame Washington : c'est une belle âme, et je suis ravi de la côtoyer sur cette île qui ne présageait nulle rencontre de cette qualité.

Ma manière de l'appeler l'amuse beaucoup apparemment. Elle insiste pour que je l'appelle Cassie, m'expliquant que c'est une petite coquetterie que l'âge excuse. En effet, c'est ainsi qu'on l’appelait quand elle était adolescente, et à l'âge adulte, elle préférait se faire appeler par son vrai nom, Cassandra. Mais elle avait décidé pour sa fin de vie de reprendre ce pseudonyme synonyme de jeunesse à ses yeux.

Elle a été chirurgienne toute sa vie, et à la retraite elle avait fait du bénévolat auprès des personnes atteintes du cancer en phase terminale. Elle me confia un jour que son métier de chirurgienne, même s’il lui permettait de sauver des vies, ce qui était essentiel pour elle, amenait de fait une distance avec le malade. C’est pour cela qu’elle s’était engagée dans les soins palliatifs, le temps de la retraite venu. Dans ces services régnait une véritable proximité avec les malades, et elle s’y sentait bien, à sa place.
Parfois nous parlons de nos lectures favorites. Je suis alors obligé de me plonger dans mes souvenirs… Et elle essaie souvent de me faire parler de mon journal, répétant de manière énigmatique que les journaux intimes avaient toujours été très importants dans sa famille.
J'avoue que je suis impressionné par sa joie de vivre, et sa simplicité, elle qui était un grand ponte de la vie parisienne. Elle semblait satisfaite par cette fin de vie misérable sur cette île abandonnée

Dès que je parlais de l'île EHPAD elle se mettait à rire de ce rire cristallin qui, il faut bien l'avouer, était communicatif. Lorsque je l’interrogeai sur cette acceptation de fin de vie, elle m'a rétorqué que sa foi l'aidait beaucoup à ne pas avoir peur de la fin. Ce n'était selon elle qu’un début vers une vie plus heureuse…et elle rajoutait que la vie qu'elle avait menée l’avait comblée, et qu'elle se demandait comment cela pourrait être plus beau encore.
Et elle continua en affirmant que cette vie simple dans l'EHPAD correspondait tout à fait à la vision d'humilité que Dieu voulait pour elle à la fin. Cela la changeait de la vie frénétique qu’elle avait connue à Paris. Et elle s’en trouvait pleinement satisfaite.

Après plusieurs entrevues elle en vint à me parler de son défunt mari. On sentait encore l'amour et l'admiration qu'elle lui portait, 12 ans après son décès. Charles avait été un grand photographe dans tous les conflits autour du globe. A son grand dam, ils se croisaient plus qu'ils ne vivaient ensemble à cause de leur travail respectif, mais ils s'étaient aimés toute leur vie et ce qu'ils avaient fait de plus beau, c'était leur fille Catherine, que je ne tarderais pas à rencontrer.

Elle me demandait parfois avec délicatesse de lui parler de ma vie passée. Je mis du temps à me confier, mais quand je fus certain que je pouvais lui faire confiance, ce qui arriva assez rapidement, je lui racontais tout : mon amour d'adolescence avec qui je m'étais marié, mais qui était décédée bien trop jeune, me poussant à refuser d'envisager l’amour à nouveau, et m’amenant à me plonger dans la littérature à corps perdu, vivant plus à travers les livres, qu'à travers cette vie douloureuse et sans panache qu’est la vie réelle. Esperanza écoutait en boule nos discussions, les entrecoupant parfois de quelques ronronnements. Nous étions, dame Washington et moi, satisfaits de cette fameuse garde alternée. La douceur qu’Esperanza m'apportait était vraiment complémentaire avec la délicatesse de Dame Washington. J'espère que ce début d'amitié perdurera. J'ai trouvé une sorte d’alter ego sur cette île abandonnée. Et c'est une chance qu'auparavant je n'aurais jamais envisagé dans un endroit pareil.

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