CHAPITRE 7: JANVIER

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Le 1er janvier

Chère Cassandra,

La nouvelle année démarre extraordinairement bien ! Charles n'a même pas hésité. Il a plongé ses yeux irisés de gris dans les miens, et il m'a dit qu’il m'aimait…
Je le sens, j'en suis sûre, c'est le bon ! Il connaît tout de moi, mes forces comme mes faiblesses, puisqu’il a lu le journal. Il admire ce qu'il appelle ma « bonté naturelle »…
Il reste encore deux ou trois jours à passer avec Mamie Camille. Elle m'a regardé ce matin avec un air malicieux : elle a tout de suite compris ce qui se passait entre Charles et moi. J'avais besoin de partager mon bonheur, alors je me suis livrée à elle. Elle était ravie pour moi, heureuse de savoir qu’un jeune homme avait été prêt à sacrifier une opportunité comme celle d'avoir le journal, pour me sauver en échange. Ah je suis si heureuse !

Le 3 janvier

On est vraiment amoureux tous les deux. Il me prodigue des gestes de tendresse, tout se fait en douceur. On est loin de Cyril qui voulait coucher avec moi tout de suite... et on sait pourquoi maintenant. Charles, lui, respecte mon rythme. Il n'est pas pressé, et on s’est dit qu’on prendrait notre temps.

Il ne rejette pas le sexe avant le mariage, mais il considère que pour faire l'amour, il faut être sûr que ce soit avec la bonne personne.

Le 5 janvier

Ça y est, on a fait la rentrée. On n'a pas essayé de cacher notre relation au reste du lycée, et mes nouvelles amies ont paru surprises par mon choix. Mais elles ne savent pas ce qui s'est réellement passé : le journal, l'accident évité et cette tendresse qui caractérise tellement Charles. Moi j'étais fière de le tenir par la main, et de l'embrasser aux intercours. Je me suis intéressée à son activité dans le journal du lycée, et je l'ai trouvé passionné et passionnant.

Le 6 janvier

Charles m'a proposée qu'on fasse une mission à deux, moi secourant des gens et lui prenant des photos. Au début, j'ai pensé que cette idée était géniale. Mais quand j'ai vu ses yeux briller à cette éventualité, j’ai retrouvé cet éclat que j’avais dans le regard avant d’aller sauver des gens. Cette excitation qui me parait désormais… je ne sais pas comment dire… malsaine. Ce que je faisais jusqu'à présent, je croyais le faire pour les autres, mais en fait, je le faisais pour moi, pour l'adrénaline, pour le sentiment d'orgueil que j'éprouvais après avoir fait un acte extraordinaire.
Au début Charles ne m'a pas comprise :

-Mais grâce à toi, des gens sont sauvés. Comment peux-tu refuser cela ?

C'est alors que j'ai exprimé mes doutes. Pourquoi est-ce que je faisais vraiment tout ça ? Est-il possible de réaliser un acte qui soit parfaitement désintéressé ? J’en suis de moins en moins certaine… Il m'a répondu que je les avais sauvés, et que c'était ça le plus important. Quand j'ai continué à lui parler de mes doutes, il a réfléchi un instant, et il m'a rétorquée que je ne pouvais être juge et partie. J'ai beaucoup réfléchi à cette phrase. Je la comprends, mais elle ne me convient pas. Plus tard, je lui ai dit que s'il voulait rester avec moi, il fallait qu'il m'aime sans l'aide du journal.

Sa réponse allait être décisive : était-il intéressé comme Cyril, ou est-ce qu'il m'aimait vraiment ? Il n'a même pas hésité : il m'a dit qu’avec ou sans journal, il commençait à penser que j'étais la femme de sa vie… J'en étais émue aux larmes… Alors on s'est mis à réfléchir : comment aider notre prochain sans avoir recours au surnaturel ?

Chère Cassie,

Je reconnais là toute la finesse et la délicatesse de Charles. Le coup de juge et partie, je l'ai beaucoup entendu. Et la question que tu te poses est tout à fait légitime. J'ai mis longtemps à la résoudre. Je vais te donner la réponse que j'ai trouvée, en espérant que tu la comprendras au fond de toi-même, comme une évidence aussi rapidement que possible, car cela a été une vraie torture pour moi. Peut-on faire un acte gratuit, désintéressé ? Peut-on aider sans attendre en retour, ne serait-ce qu'une satisfaction personnelle qui semblerait enlever la pureté de l’acte ?

Voici ma réponse, elle est simple :

Donner et recevoir sont inextricablement liés : tu ne peux pas faire l'un sans recevoir l'autre. Ce sont comme deux parties d'une même pièce : à chaque fois que tu donneras, tu recevras. C'est comme ça, c'est tout. Mais je comprends que tu veuille aider les gens sans l'aide du surnaturel. L'important, c'est que tu trouves ta voie.

10 janvier

Chère Cassandra,

J'ai bien discuté avec Charles depuis notre dernier échange. Il m'a donné l'idée de faire du bénévolat. J'ai trouvé ça génial !

Mais vers quelle association se tourner ?

Il m'a demandée de bien réfléchir, de voir ce qui me touchait au plus profond de mon cœur. C'est alors que j' ai eu une révélation : ce que j'aurais voulu moi, ça aurait été de passer plus de temps aux côtés de maman, surtout lorsqu’elle était en phase terminale…Papa avait tenté de me protéger, et je me rends compte aujourd’hui que si j’ai tant de mal à faire mon deuil, c’est parce que je ne l’ai pas vue à la fin… Charles m'a alors demandée :

-Pourquoi est-ce que tu ne visiterais pas les malades à l'hôpital, notamment ceux atteint d'un cancer ? Tu ne leur sauverais pas la vie, c'est vrai, mais tu la leur améliorerais en discutant simplement avec eux.

Cette idée me semblait être la bonne. On a téléphoné ensemble à plusieurs hôpitaux et le troisième a fini par accepter. Ils étaient très touchés par ma démarche, juste étonnés par mon jeune âge. Mais quand je leur ai expliqué l'histoire de ma mère, ils ont immédiatement compris. Ils m'ont mis en garde sur le fait de ne pas trop m'attacher, mais ils ont immédiatement rajouté qu’un peu de jeunesse ne ferait que du bien à leurs patients. Je commence à partir du mois prochain… j'appréhende et ça me tarde à la fois. Maintenant je vais travailler sans filet.

Le 16 janvier

Charles m’a invitée à la messe hier. J'ai d'abord été surprise, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai dit oui. L'église était sobre, épurée. J'avais l'impression de vivre un instant intemporel. J'aurais pu me retrouver au Moyen-Âge, j'aurais eu la même sensation (à part bien sûr que la messe n'était pas en latin). J'ai apprécié cette simplicité. Je ne comprenais pas tout aux rituels, mais Charles essayait tant bien que mal de m'expliquer les temps forts. C'était étrange. Une fois de plus les chants étaient magnifiques.
Quant à la fin, je l’ai remercié pour ce moment, il m'a expliqué qu’il était important de connaître un peu la spiritualité si je voulais accompagner des mourants. Il a continué en m’affirmant que, quand vient la fin, la plupart des gens se posent la question de Dieu, et qu’il lui semblait que cette question, je me la posais d’une certaine manière.
Je ne savais pas trop quoi penser. Est-ce que je me posais la question de Dieu ? Je n'en savais rien.
Il m'a répondu que, lorsqu'on fait les choix que j'ai faits, on ne peut être qu’être touché par le message de la bible. On a passé toute l'après-midi et une partie de la soirée à en parler. Je connaissais des grandes lignes bien sûr, mais Charles était enthousiaste. Il m'a rendu l’histoire de Jésus plus vivante, et c'est vrai que la vie et le message de cet homme sont bouleversants.

Le 22 janvier

On a continué à parler religion toute la semaine avec Charles. A un moment, il m'a dit que 90 % de la planète croyait en un Dieu, et il a poursuivi en disant :

Pourquoi nous les, 10 %, on détiendrait forcément la vérité ?
C'est ce que j'aime chez Charles. Il est croyant, mais il ne met pas de côté son intelligence, il garde un esprit critique, et il questionne sa foi comme il questionne la vie.
Dimanche, je vais essayer d'aller à la messe toute seule. Je ne sais pas pourquoi j'ai envie de faire cela. Peut-être que je considère que la foi est quelque chose d'intime que je dois vivre de mon côté…

Le 25 janvier

Hier, je suis donc allée à la messe toute seule dans une autre église pour ne pas croiser Charles. Je me sens un peu honteuse de ne pas le lui avoir dit…

Une fois de plus, je n'ai pas été déçue. Ce fut une belle expérience ! Je comprenais un peu plus ce que le prêtre voulait dire grâce aux discussions que j'avais eues avec Charles. Je ne sais pas exactement ce qui me touche tant, mais quelque chose résonne en moi, comme ces chants qui résonnent encore dans ma tête.

Le 27 janvier

J'ai fini par avouer à Charles que j'étais allée à la messe dimanche dernier. Il a souri avec bienveillance. Il était content que j'aie pris cette initiative. Il m'a dit à nouveau que le sacré, le spirituel, était à son avis une constante chez l'homme, une sorte de besoin universel. On a continué à parler religion toute la journée, c'était captivant. L'esprit critique de Charles rend cela tellement intéressant et vivant. Je l'aime de plus en plus !

Le 31 janvier

Demain, je commence à l'hôpital. Je t'avoue que j'ai vraiment peur. Est-ce que je serai à la hauteur ? Est-ce que je ne vais pas être trop déstabilisée ? J'ai peur que ça me rappelle tellement maman et que je n'y arrive pas.

Chère Cassie,

Tu es devenue une femme forte ma chérie. Rassure-toi, tu seras à la hauteur. Aie plus confiance, et tu verras que tout va bien se passer.

Merci pour cet encouragement Cassandra, j'en ai vraiment besoin en ce moment. C'est pire qu'avant la rentrée des classes de septembre. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que l'enjeu me paraît plus important ? Je vais être face à des mourants et je ne dois pas faire d'impair. J'en ai longuement parlé avec Charles. Il m'a dit qu'un des principaux messages de l'Évangile était : « n'ayez pas peur ! ».
Je vais essayer d'appliquer ce conseil autant que possible, mais tu me connais… je te donne des nouvelles demain.

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