CHAPITRE : OCTOBRE

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Le 2 octobre

Encore une note catastrophique en maths et ma belle-mère est toujours aussi infernale. J'aurais vraiment besoin d'être occupée, de me sentir utile. Alors c'est quand tu veux Cassandra.

Ça ne marche pas comme ça ma chérie. Tu dois aider les bonnes personnes au bon moment. Mais sois patiente j'ai bientôt une « mission » pour toi.

Le 3 octobre

Toujours rien ? Bon, ben je vais attendre.

Le 5 octobre

Chère Cassie,

Ça y est. Désolée du retard, mais j'ai enfin trouvé la bonne personne. Dans une ville grande comme Paris, le malheur ne manque pas, mais je dois faire mes choix.

Ce soir, sur le Pont Neuf à minuit moins dix exactement, une jeune femme va sauter dans la Seine pour se suicider à cause d'une peine de cœur. C'est à toi de la sauver !

Le 6 octobre

Chère Cassandra,

La nuit d'hier était comme irréelle. Je suis arrivée sur le Pont-Neuf bien en avance, j'ai guetté, tremblante, voyant l'heure approcher. Et c'est là que je l'ai aperçue : une jeune femme blonde, de vingt ans tout au plus. Elle était en pleurs, semblait désorientée. Alors quand je l’ai vue s'approcher de la rambarde, j'ai couru vers elle. Au début elle n’écoutait rien de ce que je lui disais. Elle était obnubilée par son envie de suicide, fixant les eaux de la Seine. Et puis on a réussi à parler. J'ai évoqué mon expérience avec Cyril et Thomas, et on a parlé de son chagrin d'amour à elle. Au bout d'un moment, épuisées toutes les deux comme après un combat, nous nous sommes effondrées par terre l'une en face de l'autre, et nous nous sommes mises à pleurer. Cette poignée de minutes m’a semblée durer une éternité. Il y avait un tel enjeu : une vie dans la balance. Et grâce à toi, je l'ai sauvée. J'en tremble encore lorsque je te raconte cette expérience d'hier soir. Je te remercie de me permettre de vivre des instants pareils.

Chère Cassie,

Encore un nouveau souvenir. Moi aussi j'ai la chair de poule en me remémorant cette nuit-là et c'est moi qui te remercie.

Le 7 octobre

Cassandra,
j'ai envie de revivre ce genre d'instant. Quand est-ce que tu vas me donner ma prochaine mission ?

Prends un peu de temps pour toi. Ce genre de sensations fortes t’apporte beaucoup, donne du sens à ta vie, je le sais, mais il faut du temps pour les digérer. Tu as été confrontée à la mort et tu le seras encore. C'est pour ça que je t'ai laissée tranquillement vivre ta vie de jeune fille une partie de l'été. C’est bien de sauver des vies, mais tu dois également vivre la tienne.

Le 9 octobre

Tu as raison, avec le recul c'est vrai que ce sont des sensations intenses, extrêmes même. Ce n'est pas rien de sauver une vie et ce n'est pas rien de voir quelqu'un frôler la mort de si près.

Le 12 octobre

C'est extraordinaire : une des filles les plus populaires du bahut, Stéphanie, m’a invitée à une soirée chez elle. Je n'en revenais pas. Moi la misérable petite provinciale fringuée n'importe comment et nulle en maths, moi j'ai été invitée. Je sens que ça va être une super soirée. Peut-être est-ce une de ces dates clés qui changera ma vie au lycée ?
Je sais que tu ne peux pas me le dire, vu que je dois faire moi-même mes expériences et tracer mon chemin, mais j'espère pour nous deux que ça sera l'éclate !

Chère Cassie,

Je me souviens très bien de cette soirée. En fait, elles t’ont invitée pour se moquer de toi. Mais ne fais pas la même erreur que moi. J’ai quitté la fête en pleurant dès que j’ai compris. Mais toi, il faudra que tu résistes, et que tu restes. Dans deux jours Stéphanie fera un coma éthylique, et en mourra.

Le 13 octobre

Chère Cassandra,

Je ne sais pas quoi faire. J'ai tenté de leur dire que l'alcool pourrait être dangereux s'il y en avait trop. Mais tout ce que j'ai eu comme réponse était que j'étais une gamine qui n'avait jamais bu, le tout accompagné d'un sourire dédaigneux. Stéphanie m’a même dit qu'elle se demandait si c'était une bonne idée de m'avoir invitée. Alors je me suis fait plus discrète, mais je suis folle d'inquiétude pour elle.

Chère Cassie,

Si elles savaient comme elles le regretteront après…
Mais j'ai confiance en toi. Tu sais ce qui va se passer, donc tu peux sauver Stéphanie !

Le 15 octobre

Cette nuit a été horrible ! L'alcool était partout. Les garçons et les filles se bécotaient dans la pénombre qui régnait dans la maison. Cette fichue lumière tamisée m'empêchait de tout observer, mais j'ai tout fait pour me tenir non loin de Stéphanie. Elle et ses amis se sont foutus de ma gueule toute la soirée. C’était dur, mais j’ai tenu. Ma petite personne importait peu. C’est Stéphanie qui comptait. Je l'ai surveillée toute la nuit. Je savais que je ne pouvais pas lui interdire de boire, alors j'ai attendu. J'étais épuisée. Il était 3h du matin et tout le monde commençait à partir. Seuls les plus fêtards et Stéphanie restaient pour terminer les bouteilles de rhum et de whisky. Ils étaient dans un état lamentable et ils rigolaient, surpris que je sois encore là. Quand j'ai vu dans le regard de Stéphanie le vertige précédent l'absence, je me suis précipitée sur elle, je l'ai portée jusqu'aux toilettes. J’ai mis mes doigts dans sa bouche jusqu’à la glotte afin qu'elle vomisse une partie de l'alcool qu'elle avait ingérée.
Puis j'ai appelé les pompiers. Ils ont mis du temps à venir, mais elle reprenait peu à peu connaissance et je savais qu’elle s’en sortirait.

Une fois les pompiers partis, je suis rentrée chez moi. Maintenant, j'ai du mal à m'endormir donc je t'écris ces quelques mots il est 5h du matin.

Repose-toi ma chérie tu l'as bien mérité...

Le 16 octobre

La journée a été démente. Les parents des jeunes qui étaient à la fête on fait un scandale quand ils ont su ce qui était arrivé, et j'ai été l'héroïne de la journée. Tout ce qui comptait pour moi, c'était la vie de Stéphanie. Je suis allée la voir à l'hôpital. Elle était consciente, et m'a remerciée en pleurant.

Fini la fille paumée et discrète. J'étais sous les feux de la rampe. Maintenant tout le monde au lycée me regarde différemment. Même le prof de maths a l'air plus sympa avec moi. Mais ce n'est pas ce que je recherchais. Moi, je voulais juste être utile.

Ma belle-mère a fini par convenir que j'étais une fille bien, après que ma demi-sœur lui a raconté ce qui était arrivé. Je sens que tout va changer désormais.

Le 18 octobre

Stéphanie est sortie de l'hôpital. Ses parents étaient tellement soulagés de la voir saine et sauve qu’ils n’ont même pas songé à l'engueuler. Mais je pense qu'elle va être privée de sortie pendant un bon bout de temps. A la fin de la journée, ils sont venus à la maison, et m'ont remerciée pour ce que j'avais fait.

L'émotion était palpable, je suis encore toute chamboulée par les mots qu'ils ont employés.

Le 25 octobre

Ça y est, Stéphanie et moi on est comme les meilleures amies du monde. Elle m'a présentée à sa bande, et maintenant il me semble que je fais partie des filles populaires. C'est dingue non ? Qui aurait cru ça il y a encore un mois ?

Chère Cassie,

Savoure bien ces moments. En effet, c'est un tournant, mais ne te repose pas sur tes lauriers. Tu te souviens que tu m'as demandé de t'aider à sauver des gens. Est-ce que tu le souhaites toujours ?

Chère Cassandra,

Bien sûr que c'est toujours d'actualité ! Est-ce que j'ai l'air si superficielle que ça ? Effectivement, ma vie a changé, je fais partie des filles populaires, mais je veux continuer à aider.

Je te retrouve bien là, ma chérie. Alors il faudra que tu te rendes sur le parvis de Notre-Dame. Ce soir, à 22h35, un SDF décédera, mort de froid dans cette nuit glaciale.

Le 26 octobre

Merci encore ! Grâce à toi, je suis arrivée à temps. J'avais pris avec moi des duvets et une bouillotte. Dès que j'ai vu cet homme à moitié gelé, je me suis jetée sur lui. Il a eu l'air surpris que quelqu'un l'aide, mais moi je savais que c'était une question de vie ou de mort. Alors malgré ses protestations quasi-inaudibles, j'ai appelé les pompiers. Quand ils sont arrivés, ils m'ont dit que si j'étais intervenue une heure plus tard, ce pauvre homme serait probablement mort. Il souffrait d’une grave hypothermie.
Je suis tellement contente qu'il s'en soit tiré.

Pour l’instant je vais faire un break. Sauver des gens est vraiment génial, mais je ne suis pas encore habituée, et ça me prend une énergie incroyable à chaque fois. Après coup, je suis pleinement heureuse, mais complètement vidée.
Et puis il y a ce garçon qui semble me suivre. Je crois même qu'il était là hier soir. Je l'ai déjà vu au lycée et pour tout dire ça m'inquiète un peu…

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