Au commencement

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Automne - Année 2042

Le ciel était en feu. Le vent emportait avec lui, dans un souffle, tous les souvenirs et les rires du passé, s'enroulant autour de feuilles rouges et vermeilles calcinées qui s'élevaient dans les airs pour se frayer un chemin vers de nouveaux horizons. La lumière du soleil filtrait à travers les branches d'un arbre déraciné, penché comme un vieil ami fatigué, rongé par la vie.

Allongée sur le sol, j'observais les nuances rosées du ciel et les nuages sombres annonciateurs de tempêtes se profiler à l'horizon. Les oiseaux affolés s'enfuyaient dans un battement d'ailes. Je comparais ma triste existence à celle de l'arbre à bout de souffle, étendant ses branches au-dessus de moi, comme pour me protéger. Les flammes m'entouraient, hautes de plusieurs mètres, la chaleur brulait ma peau et l'oxygène se faisait de plus en plus rare.

Depuis combien de temps contemplais-je ce décors lugubre? Je ne sais plus. Le temps, la vie; plus rien n'avait d'importance. Je me sentais en phase avec la nature autour de moi. Ce qui reste de cet endroit ressemble étrangement à ma vie à présent : tout n'est que désolation. Un mal terrible à l'arrière du crâne me fit comprendre que j'ai dû violemment percuter le sol. Aucun son ne sortait de ma cage thoracique. Le choc a été si brutal qu'il m'a coupé l'air des poumons, je n'arrivais plus à trouver mon souffle. Un son aigue s'amplifiait et résonnait dans ma tête.

Le corps inanimé et recroquevillé de ma mère jonchait le sol à quelques mètres de moi. Mes sœurs avaient disparu à l'endroit même de l'explosion qui m'a catapulté à l'extrême opposé de notre cabane. Je n'ai pas pu les sauver, je n'ai pas su les protéger. J'avais absolument tout perdu.

***

Trois. Deux. Un.

Trois petites secondes. Il n'a fallu que trois petites secondes pour que tout mon monde soit chamboulé.

"Ivy, ma chérie, sauve-toi!" résonne encore dans ma tête les dernières paroles de ma mère.

Dès que nous Les avions entendu, nous nous étions précipités pour nous cacher dans nos cabanes perchées en hauteur dans les arbres. Normalement invisibles à l'œil nu, nous aurions pu vivre ici pendant encore quelques semaines avant de devoir repartir et changer de cachette. Mes sœurs, Storm et Amber étaient allées ramasser des morceaux de bois, pendant que j'aidais ma mère à préparer le plat que je venais de chasser. Je suis plutôt douée pour cela et avait réussi à attraper une biche. De quoi pouvoir faire pour au moins trois jours.

Mais nous avions été retrouvées, et tout ceci était de ma faute. J'avais remarqué un jour plus tôt des traces de pas non loin de notre campement. Mais je n'avais pas mesuré l'étendu de cette petite découverte. Il devait s'agir d'un sanglier. Il n'y avait pas âme qui vive dans le secteur et les grandes routes étaient à plusieurs kilomètres de notre campement. Je nous pensais indétectables.

Le craquement d'une brindille me fit un froid dans le dos qui remonta jusqu'à l'échine. Le sentiment d'être épiées mettait tous mes sens en alerte. Il ne s'agissait pas là d'un animal sauvage, le son était plus lourd, plus sec. Aux aguets, je fis un signe à ma mère très lentement, lui désignant la hachette. La sueur perlait mon front. Mon arc et mes flèches étaient posés au pied du vieil arbre à quelques mètres de là où nous nous trouvions. Mes sœurs n'étaient pas encore revenues, et je priais le ciel pour qu'Ils ne les aient pas trouvés avant nous. J'entendis au loin une de mes sœurs rire, un son qui se faisait très rare à cette époque. Ce fût l'élément déclencheur, je sautais et roulait en boule sur le sol pour attraper mon arc et mes flèches et me postait un pied et un genou bien enracinés dans le sol. Je n’eus pas le temps de voir d'où provenait les bruits de pas, une flèche siffla juste à côté de mon oreille pour aller se planter droit sur ma mère. Je me retournais interdite. Elle me fixa d'une manière assez étrange, regardant la flèche, puis à nouveau dans ma direction, derrière moi plus précisément, m'intima de m'enfuir, et s'effondra dans un bruit sourd. Je hurlais et maudissait le ciel de m'avoir abandonné, me précipitant au chevet de ma mère, soulevant se tête pour la poser sur mes genoux en scrutant les dégâts que la flèche avait occasionné.

Quand mes sœurs arrivèrent effrayées en courant à en perdre haleine, alertée par mon cri. Je leur ordonnais de monter se cacher dans la cabane le plus vite possible. Mais il était déjà trop tard, nous avions été démasquées et déjà d'autres flèches pleuvaient sur nous.

Une boule de terre en forme parfaitement arrondie passa au-dessus de ma tête pour atterrir dans la cabane à travers l'épais feuillage que nous avions installé. On souhaitait clairement notre mort, et on n’avait pas lésiné sur les moyens : la détonation fut immédiate et des plus fulgurantes et dévastatrices.

Un. Deux. Trois.

***

Le ciel se mit brusquement à pleurer, j'étais las de combattre. Il pleurait tout ce que je ne pouvais pleurer. Il pleurait les morts, les incompris, les bannis.

Le battement de mon cœur se fit de plus en plus lent. Je ne perçus que le martèlement de la pluie et au loin, un son strident et des cris. De l'agitation, le sol se mit à trembler, des explosions, de la poussière, du feu. Le monde s'anima autour de moi au ralenti. Mais je n'avais plus l'envie ni le temps.

Alors, c'est ainsi que tout se termine? Pas de long tunnel? Ni une lumière aveuglante m'appelant? Je m'attendais à voir une flopée de petits anges chantant des louanges pour fêter ma venue au paradis. Au lieu de ça, le vide infini. La solitude m'enveloppa dans ses bras, me déposant un doux baiser d'amertume avec un arrière-goût de regrets.

J'étais résignée, je ne souhaitais plus me battre, je voulais qu'on me laisse partir. La souffrance était trop intense, je ne pouvais plus supporter cette douleur. Mon corps et mon esprit endoloris, je laissais s'en aller la vie, comme le mince filet de sang coulant de ma bouche. Regardant une dernière fois la femme à mes côtés sans vie, j'acceptais les bras grands ouverts la fin de tout, comme la guérison suprême. Je fermis les yeux pour mieux apprécier ce moment de délivrance et me laissais couler dans les abysses de l'inconscience.

C'est précisément à cet instant qu'un éclair bleu zébra le ciel sombre dans un détonement assourdissant faisant trembler la terre et tomber les dernières feuilles de l'arbre mort. Puis un second. Puis une multitude d'éclairs vrombissaient et déferlaient autour de moi, traversant les arbres alentours et faisant soulever les feuilles mortes au sol, formant un cercle parfait. La lumière aveuglante me transperça. Je fus soudain soulevé de terre, planant à 15 mètres au-dessus du sol, les bras ballants et aucune idée de ce qui pouvait bien se passer. Bordel! On ne pouvait pas me laisser mourir en paix?

Un chant puissant me traversa de part et d'autre, me vrillant les tympans. Une force telle que je sentais l'enfer sous ma peau. Je pensais avoir souffert, ce n'était rien comparé à ce que je vivais. Des faisceaux de lumière bleu sortaient par mes doigts, mes pieds, ma bouche et mes yeux. On pouvait voir des filaments bleus se déverser dans mes veines. Je ne voyais plus rien, aveuglée par la lumière. J'entendais la souffrance et les pleurs du monde. La douleur que la voix m'infligeait était telle des millions de météorites qui me percutaient en même temps sans que je ne puisse bouger. Aucun son ne sortait, je convulsais les yeux exorbités, la tête en arrière, toujours au-dessus du sol.

La voix s'adoucie quelque peu et résonna en s'immisçant au plus profond de mon être. Le chant se poursuivi et coula dans mes veines, m'habituant à sa présence, je respirais son histoire, je me délectais de son parfum. Le battement de mon cœur s'harmonisait avec le rythme et le ton suave de la voix. Nous ne formions plus qu'un. J'étais la voix, elle était mienne.

Elle entendait ma souffrance, comprenait mon malheur, essuyant les larmes de mon cœur, embrassant et soignant mes plaies béantes. Me forçant à regarder l'avenir du Monde, la Désolation, la Mort et me montrant une multitude de possibilités, d'avenirs.

Je n'avais jamais ressenti une telle plénitude, un tel apaisement. Une telle compréhension d'un Tout. Je sentais la puissance couler dans tout mon être, se frayant un passage de force à travers tout mon corps. Je frémissais de pouvoir. Les éléments semblaient se mouvoir autour de moi, j'entendais la Terre Mère murmurer mon nom.

Je fus délicatement déposée à terre et repris progressivement possession de mon corps. Nue sur le sol, mes cheveux longs dénoués tombaient en cascade sur mon dos et me barraient le visage. J'étais essoufflée, mais faisais preuve d'une détermination nouvelle. Je suis devenue quelqu'un d'autre. Quelque chose d'autre. La Terre Mère m'a montré le chemin.

Je suis le feu et la glace. La vie et la Mort. Le Commencement et la Fin.

Pleine de haine, de rage et de colère. J'en avais assez de me sauver et de me cacher.

A présent je savais ce qu'il me restait à faire.

Et j'allais foutre un sacré bordel.

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