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Le contact avec la crosse synthétique au milieu des odeurs tenaces d’eaux de javel et de savon pour les mains, avait quelque chose de familièrement réconfortant ; Autant que le sweat-shirt en dessous de sa veste tactique. Pourtant, ces dernières 48 heures, son existence avait traversé des scènes alors méconnues - en tout cas aussi loin que ses souvenirs remontaient.

Avant le dernier jour qui compterait jamais sa présence, le climat fut tempéré, le vent doux caressait son échine baignée de soleil jusqu’à sa nuque, ses babines blessées n’avaient pas saignée de la journée et les êtres qui avaient croisé sa route en cet après-midi irradiaient un pacifisme insouciant ; à la fois neutre et bienveillant. Au petit matin de sa mise en chasse, un tableau plus étonnant encore s’étendit devant ses pupilles dilatées, la rosée délicate rafraîchissait dans l’obscurité son bec-de-lièvre tant détesté. Les rues, si anxiogènes d’habitude étaient agréables et calmes, emplies des parfums de plantes et d’écorces qu’exhalaient la forêt élégamment sertie de rosée. Le bruit de ses propres pas dans cette obscurité silencieuse avaient quelque chose de … sain, de paisible. Peut-être fallait-t-il juste se lever plus tôt, peut-être fallait-t-il juste leur laisser le temps de grandir.

Un verre se brisa au loin et l’extirpa de ses pensées, instinctivement la mémoire kinesthésique de la crosse serrée dans son poing, la garde appuyée contre son épaule lui arrivèrent, et l’impatience reprit le dessus. L’expiration fauve et saccadée témoigna de son agacement, son index tapotait au-dessus de la gâchette du fusil tactique : il lui tardait de se mettre en chasse. Son inspiration fit remonter le souvenir de l’odeur d’aluminium brûlé des cannettes de boissons percées et l’espace d’un instant, l’intention s’évapora inexplicablement. La raison qui justifiait l’acte minutieusement planifié devint déraison, sa présence dans ce stupide placard à balai n’eût plus de sens dans son esprit sinueux. Sa prise de décision ferme qui avait porté ses jambes jusque-là vacilla, un doute inexorablement sympathique plana et l’abandon parvint à l’entrée de sa tanière. Là était donc la différence entre un homme et une bête : l’attrait pour le calme confortable que procure une routine aussi toxique et destructrice soit-elle, l’incertitude des conséquences qu’un acte pouvait avoir sur les bonheurs les plus minimes de la vie de tous les jours.

C’est alors que retentit une sonnerie stridente suivie par son onde discordante de chahut et de bavardages routiniers qui grandissaient en décibels. Des pas imprécis, désordonnés résonnaient de façon interdépendante vers sa cachette transportant des visions violentes d’yeux fous révulsés par un plaisir malsain, de sang rouge vif mélangé à de la terre sur une pelouse bien entretenue et de mèches de cheveux dans un lavabo sale. Une odeur allait avec cette dernière vision, et lui rappela que ce n’était pas qu’un simple placard à balai. Non, ça n’était qu’une façade. Aux premiers abords, une habitation n’était que ce qu’elle était, sans plus d’intérêt, similaire dans sa structure à celles qui la suivaient pour former un pâté de maison, tout ce qu’il y a de plus typique. Les éléments qui donnaient leurs singularités à chaque foyer provenait des histoires qui y étaient accrochées : le point de départ de chaque film de maison hantée, la source des tourments des protagonistes. Le placard n’échappait pas à cette règle, sous sa simple construction de local d’entretien, c’était le donjon d’un autre prédateur, lâche et sournois dont la carcasse gisait maintenant sur le sol.

Son regard se porta sur la fameuse étagère, ils étaient tous là : l’antigel, le désherbant, les cisailles et…

« Le chiffon est là. »

C’est précisément à cet instant que la raison réapparut. Aussi nette que du sang sur la neige, incandescente dans sa poitrine. Elle sonnait juste et irrémédiable, en une logique évidente qui occultait son propre aspect terriblement funeste et qui dans cet esprit juvénile résonna de limpidité avec le bruit d’une culasse engagée dans le local de ménage. Le contact du caoutchouc de sa Converse All-Star avec le liquide cérébral tiède de l’agent d’entretien produit un couinement visqueux rythmant les deux uniques pas vers la porte. Une rage bestial bouillonnait dans sa colonne vertébrale jusque ses entrailles et lui hérissait le poil.

Au milieu d’un chahut ordinaire, un gant de latex enclencha la poignée de porte, personne ne l’entendit comme personne ne l’entendrait plus jamais pousser aucun de ses pitoyables aboiements, l’heure était arrivée de mordre.

« … Le rapport de police mentionne sept blessés et quarante-quatre morts en milieu scolaire, dont l’auteur de la fusillade : le professeur d’anglais Jonathan Manwhip que vous voyez actuellement sur ce cliché, ce qui en fait donc la fusillade la plus meurtrière qui ait eu lieu en milieu scolaire à ce jour… Par respect pour les familles des victimes je suis vraiment resté très objectif dans les détails, encore une fois le but de ces Visual threads c’est vraiment de raconter des faits, pas de faire dans le sensationnel même si ça me rapportait sûrement beaucoup plus d’abonnés. » Il fit une pause et mima la contemplation de cette idée, le regard penseur dans le vide – un trait d’humour accentué qu’il appliquera au montage.

Il se remit à regarder l’objectif et sourit avec une gêne hilarante avant de reprendre son outro.

«Non mais, en vrai si vous voulez plus de détails, n’hésitez pas à aller faire des recherches, beaucoup d’articles commémoratifs, de livre ont été écris par les survivants et les familles des victimes, donc n’hésitez pas à aller les supporter, ça a vraiment dû être une épreuve horrible qui doit sûrement aujourd’hui encore avoir des répercussions vraiment désagréables dans leurs vies.

Juste avant d’en finir avec cette troisième histoire, je précise que le rapport de police disponible à l’époque est daté du 15 Mai 1998 : donc directement le jour de la fusillade. Il a sûrement été corrigé plus tard en interne car, le 22 Mai au soir, retournement de situation : Jonathan Manwhip est en vie, sauvée par le docteur Harwast, qui n’est autre que le père de l’une des victimes. Durant son procès, il n’a pas demandé d’avocat et a plaidé coupable tout de suite, il a donc été condamné à la peine de mort et son exécution est prévue pour le 19 Février 2011, c’est-à-dire l’année prochaine.

On en arrive à la fin de cette vidéo, lâchez un j’aime si c’est pas déjà fais et surtout […] »

Andrew Lindbroke plus connu sous le nom d’Andy Banks sur YouTube enregistra le brouillon de son projet vidéo et éteignit la caméra DSLR puis la lumière ambiante. Il resta adossé à sa chaise de bureau sans rien dire, profitant de l’air frais du petit ventilateur dans son petit studio. Il fit un récapitulatif de tout ce qu’il avait à faire, luttant contre l’envie d’enfoncer sa tête dans un mur pour faire taire cette saloperie de voix. Il alla se chercher du lait dans le frigo, ce qui représentait à peine quatre pas au milieu des emballages de nouilles instantanées, des chaussettes en boule, des enveloppes vides, tous repoussés avec soin loin de l’objectif de sa caméra qui se contentait de montrer une belle étagère bien entretenue garnie de trophées, de figurines en tout genre et une porte. Sur le frigo, des post-it de séances de yoga auquel il n’était jamais allé, de minutes de méditations qu’il n’avait jamais faîtes et de rappel concernant des gens qui ne lui parlaient plus. Plus bas, deux avertissements d’expulsion étaient superposés sous un magnet en forme de R, il lui rappelait les soupes à la tomate de sa mère, elle aimait mettre des pâtes en forme de lettres dedans et lui il aimait les R, les O, les K et les A, tellement qu’il lui faisait la tête quand il n’y avait pas assez de ses lettres préférées à son goût.

« À un moment elle tu l’as même obligée à les trier, tu te rappelles hein dis, tu te rappelles ? Sinon c’était la soupe à la grimace pour maman. Ah pauvre maman elle était comme ça, maman, elle voulait que tout le monde soit content. Toi tu en as bien profité sur le dos des autres mon cochon égoïste, maman elle sauvait tous les jours le « potit » monde fragile de Sir Andy, sinon il était « po » content Sir Andy ah ça non, parce qu’il n’y a que lui, lui et re lui ! »

Il remarqua très tard qu’il était en train de pleurer, la sueur séchée sur son visage lui piqua les yeux et il abandonna très vite son intention de les frotter il se verserait du lait dans les yeux comme les mangeurs de piments qui font des millions de vue en croquant dans six-heures de palet engourdi et de diarrhée brûlante.

« Mais qui eux payent leur loyers à temps, et puis même non, tu as raison ils ne le payent pas, vu qu’ils sont propriétaires et tout cela à seulement 17 ans ? Im-pre-ssio-nant ! Messire Andy, une évaluation de votre patrimoine actuel peut être ? »

Il expira douloureusement en ouvrant le mince frigo, l’impression que son cœur pesait dix kilos dans sa poitrine. La bouteille de lait était là, à côté d’un bac de glaçon, au-dessus d’un restant de tacos, sous un gobelet de soda, quelques bières, un sac de poulet frit qui ne contenait plus qu’une seule cuisse desséchée par le froid artificiel. Il ouvrit le tiroir à produits frais qui n’en contenait aucun, seulement un sac à glissière en plastique, il le referma presque immédiatement.

Il sentit le lait, l’odeur de fromage pourri indiquait qu’il commençait à tourner.

« Maman nous a appris à ne pas gaspiller, du moins elle a essayé. Pauvre mère, torturée tous les jours par son fils égoïste. Ça devait pas être simple de s’occuper de grand papa avec une plaie comme toi. Toujours croire que tu es le plus intéressant, même sur YouTube ? Décidément ! Heureusement, il y a de maman dans chacun d’entre nous, sauf en toi car toi tu n’es qu’un salaud Andy. »

Il but une gorgée de lait périmé et s’en versa dans les yeux : très mauvaise idée, il alla vite se rincer les yeux à l’eau claire, ses yeux commençaient à rougir la lumière agressait sa vision au point qu’il dû mettre ses lunettes. Son téléphone émit une notification, il la consulta et se mit en alerte, il s’occupera du montage beaucoup plus tard, pour l’instant il était attendu et devait sérieusement se dépêcher d’aller saisir cette occasion d’aller se racheter. Une deuxième notification arriva, celle-là il l’ouvrit directement et l’ausculta patiemment s’attardant plusieurs minutes à y répondre, avant de continuer à se préparer au milieu des pots vides de nouilles instantanées.

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