22 - L'heure du pardon

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Les villageois furent invités à se disperser. Le clergé avait préparé une visite chez chaque personne suspectée d'avoir des liens avec le sorcier. Plus qu'un jour avant le bûcher de Lucien et des complices. Annie serra ses mains contre sa poitrine. Soudain, Flavio, vêtu de sa toge blanche, se retourna et passa sa main sur la tête blonde des jumelles tout en les félicitant d'avoir dénoncé le coupable. Il invita ses petites sœurs à rejoindre les catacombes de l'Église, ce lieu secret, interdit.

Annie pénétra, un pincement au cœur, dans le sombre bâtiment. Aucune hésitation de sa part ne devait transparaître devant les membres du clergé. Elle jouait le jeu, afin de faire gagner du temps à l'élu de son cœur.

Les jumelles étaient escortées par cinq prêtres, dont leur grand frère. Une fois arrivées à la nef, une trappe secrète ouvrait sur des escaliers en colimaçon. Ceux-ci les menèrent à une salle dont elles ne connaissaient même pas l'existence. Elles s'installèrent, sans savoir ce qui les attendait, sur un des trois bancs disposés contre les murs du sous-sol humide. La lumière ne laissait entrevoir que les silhouettes des prêtres réunis autour d'elles. La moisissure tapissait les murs en pierre, des rats couinaient sous les dalles du sol cabossé. Soudain, trois torches s'allumèrent. Le cœur battant la chamade, Annie attrapa la main de sa sœur.

-Savez-vous pourquoi vous êtes ici ? dit le plus gros des cinq hommes.

-N…non, bégaya Annie.

-Messieurs, veuillez soulever la toile.

Au milieu des bancs, à même le sol, une feuille apparut, qui rappela aux deux sœurs le papier que Lucien utilisait pour la calligraphie.

-Vous allez payer le prix du pardon. Voulez-vous être pardonnées par le Seigneur ?

-Évidemment, dit Cathie.

-Attendez, les interrompit Flavio. J'aimerais m’entretenir avec ces pêcheuses, avant.

Les gros messieurs chuchotèrent deux trois mots. Puis, le locuteur acquiesça. Aussitôt que les quatre autres furent sortis, Flavio serra chaleureusement ses sœurs dans ses bras.

-Je suis si fier de vous… Grâce à votre dénonciation, vous serez pardonnées par le Seigneur.

-Flavio, dit Annie les yeux embués de larmes, que va-t-il nous arriver ?

-Vous allez oublier Lucien, tout simplement. Est-ce que ça va aller ?

-Quoi ? s'indigna Cathie, repoussant son frère.

-Oublier… Lucien ?

-Je sais que c'est difficile pour vous. Mais après ça, votre cœur sera allégé du fardeau de la complicité. Vous ne vous sentirez plus coupable de sorcellerie. Tout ira bien, les rassura-t-il une dernière fois.

- Mais j'ai une faveur à te demander, Flavio… Si tu le croises, fais-lui parvenir la lettre qui est sous mon oreiller. Ne la lis pas. Pitié, Flavio

-Ce n'est pas mon genre, répondit Flavio en souriant. Enfin, pas quand il s'agit de mes sœurs chéries.

-Non mais attends, l’interrompit Cathie. Et Charles ? Et Émilien alors ? Vous allez aussi leur faire oublier Lucien et la magie ?

-Ce serait bien trop peu pour des pêcheurs. Ils seront de nouveau attirés par la sorcellerie. De plus, il faut des sacrifices, pour faire régner l'ordre.

-Mais ils n'ont rien à voir là dedans, c'est injuste ! cria Cathie, se levant et se dirigeant vers les escaliers en colimaçon qui menaient à la nef.

-Sors d'ici et ils te brûleront aussi. Comportez-vous de façon exemplaire, toutes les deux. Vous n'avez pas le choix, rappelez-vous de ce que je vous ai dit la dernière fois dans ma chambre.

Cathie, terrorisée, se rassit et baissa la tête, hantée par les flambeaux qui illuminaient le noir de ses yeux.

-Bon, tout est clair, comme ça. Vous n'avez plus rien d'autre à me dire ? Comme par exemple, où Lucien se cache ? demanda-t-il en regardant Annie dans les yeux.

Elle détourna le regard et lâcha un « non » de dédain.

-De toute façon, je le retrouverai en un claquement de doigts, pas d'inquiétude.

Le visage d'Annie vira au gris. Tout sauf ça, voulut-elle crier. Sacrifier ses sentiments, elle le faisait dans l'espoir qu'il s'enfuie aussi loin que possible. Que voulait dire Flavio par « dans un claquement de doigts » ?

Elle tenta de lire la réponse sur le visage de son frère, mais il ne la regardait même plus.

Flavio ouvrit une porte qui menait à une salle encore plus secrète que celle où ils se trouvaient. Il fit signe à ses collègues que tout était prêt. Seul un homme sortit. Il décrocha un flambeau du mur et le posa sur le sol. Aussitôt que les deux hommes disparurent, la feuille, à première vue vierge, prit feu, laissant les deux sœurs sans défense face au sortilège. Sa piété et sa confiance totale en leur Flavio fit accepter à Cathie son sort. Mais, à sa gauche, Annie répétait en boucle le nom de Lucien dans sa tête. Elle ne laisserait pas la magie la faire oublier son amour, lui qui était ancré en elle depuis son enfance. Elle voulait croire en la pureté de Lucien, elle voulait croire en la pureté de ses sentiments. Sans prévenir, elle s'endormit d'un sommeil profond et se réveilla le lendemain matin.

Tout lui parut normal. Les oiseaux chantaient leur hymne à l'allégresse, le marché s'installait au pied de sa fenêtre. Annie glissa sa main sous son oreiller. Elle eut une drôle d'impression que quelque chose manquait. De l'autre côté de la chambre, Cathie s'étira et enfila sa robe. Annie fit de même, puis annonça :

-On va manger ?

-Oui.

-Ensuite, on lit la bible ensemble ?

-Bah, comme tous les jours.

Pendant leur sommeil, trois objets avaient disparu. La lettre d’Annie destinée à Lucien, la fiche que Flavio lui avait confiée contenant les informations sur le paysan, et, enfin, la cape qui était accrochée au dos de la robe de Cathie.

***

Flavio se tenait debout au milieu des catacombes de l'Église. Face à lui se dressait le poteau de bois que l’Évêque avait fait construire spécialement pour les sorciers. L'apprenti prêtre prit soin d’y accrocher la cape de Cathie. Puis, il sortit avec délicatesse une feuille de sous sa toge et murmura, un sourire satisfait aux lèvres :

-L'heure a sonné, Lucien. En ce jour, le bûcher t'attend, toi, ennemi de l'Église. Ô esprits, puissiez-vous joindre le porteur de cette cape à cette autre entité identique, ici accrochée sur ce poteau.

Il plia la feuille, qui tomba sur le sol en un temps infini.

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