Chapitre 10

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PDV Elena

Contrairement à ce que j’avais planifié, je passai mon vendredi soir chez Alex. Moi qui pensais qu’il voudrait éviter de m’avoir chez lui, voilà qu’il m’invitait pour qu’on passe la soirée ensemble. Appuyée contre le plan de travail, j’observai Alex pendant qu’il coupa un concombre en rondelles. Il avait décidé de faire des hamburgers maison, chose que je ne mangeais jamais chez moi. Maman n’aimait pas perdre son temps à cuisiner après le travail, alors elle se contentait de préparer des plats simples et rapides. C’était étrangement domestique d’avoir Alex qui nous préparait à manger.

– Donc non seulement tu es beau et intelligent, mais en plus de ça tu sais cuisiner. dis-je tout en continuant de l’observer. Les atouts ne sont vraiment pas distribués de manière égale à la naissance.

Cet homme est trop parfait. Je commençais à me sentir vraiment nulle en sa présence. Mis à part le sport et l’étude par cœur, je n’avais rien pour être à sa hauteur. Alex haussa un sourcil.

– Au lieu de te plaindre, tu ne voudrais pas m’aider ?

– Je ne sais pas cuisiner.

Sans me laisser le temps de filer, Alex me passa une planche en bambou, un couteau et des tomates.

– Il n’est jamais trop tard pour apprendre. Coupe les tomates en dés.

– Oui, m’sieur.

Je coupai la première tomate tant bien que mal et grimaçai en voyant le résultat. Chaque dé de tomate avait une taille et une forme différente. En coupant la deuxième tomate, je me coupai, comme une conne. Alex leva les yeux vers moi, étonné.

– Je rêve ou t’as réussi à te blesser en coupant une tomate ?

– Je t’ai dit que j’étais nulle en cuisine ! répondis-je en faisant la moue.

Je m’assis sur le plan de travail avec mon doigt bandé, laissant Alex s’occuper du repas. Chaque fois qu’il ne regardait pas, je picorais dans le plat de salade, piquant des rondelles de concombres. À un moment donné, Alex réalisa que la quantité de crudités diminua. Il retira le saladier et le mit hors de ma portée.

– Si tu ne cuisines pas, tu ne picores pas.

Je soupirai.

– J’ai intérêt à me trouver un copain qui sait cuisiner ou je vais mourir de faim.

– Ne t’en fais pas, j’ai plusieurs recettes dans ma manche.

– Quoi ?

Ses paroles me prirent au dépourvu. J’étais incapable de répondre quoi que ce soit de cohérent. Il ne pensait pas ce qu’il venait de dire, si ?

– Toi et moi, on est casse-pieds. Je ne crois pas qu’on trouvera quelqu’un qui va vouloir de nous une vie entière. Autant rester ensemble.

Même si je savais qu'il plaisantait, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander s'il pensait ce qu'il disait. Connaissant Alex, probablement.

– Tu me trouves casse-pieds ?

– Oui. Toi aussi tu me trouves casse-pieds.

Ces mots eurent l’effet d’une gifle au visage. Bien sûr, je savais que j'étais ennuyante, mais l'entendre le dire à voix haute me faisait mal.

– Pas vraiment. marmonnai-je.

Il était vrai que je n’aimais pas le fait qu’il se soit incrusté dans mon quotidien sans me laisser de choix. Pourtant j’avais fini par apprécier sa compagnie. Quand il ne passait pas son temps à faire des blagues nulles, Alex était plutôt gentil et attentionné. Le fait qu’il me trouve chiante ne me plaisait pas. Comme toujours, j’avais l’impression de ne pas être assez bien.

Alex posa son couteau, fixant toute son attention sur moi.

– Je t’ai vexé. Pourquoi ?

Ne comprenait-il vraiment pas ?

– Tu me trouves casse-pieds. Pourquoi ?

– Parce que tu ne me laisses pas entrer dans ta vie.

J’entrelaçai mes doigts, le regardant dans les yeux. Il soutena mon regard avec tellement de force que je devais résister de baisser les yeux. J’avais un mauvais pressentiment pour la suite de cette soirée. Mais il fallait que je sache.

– D’accord, jouons cartes sur table. Si je te raconte mes secrets les plus douloureux, tu feras pareil ?

– Je n’ai pas de secrets. répondit-il du tac au tac.

Une réponse trop rapide, trop défensive. Il mentait. J’étais stupide, mais pas à ce point.

– Et tu disais que tu n’aimais pas l’hypocrisie.

Alex serra et desserra les poings. Je devais lui taper sur le système. Généralement, il faisait preuve d’un calme imperturbable, mais des craquelures étaient désormais visibles dans sa façade. J'avais enfin eu un aperçu de la personne qui se cachait sous les faux-semblants, et je ne savais pas si cela me plaisait ou non. Alex était ravagé, tout comme moi. Or, lui et moi avions évolué de manières différentes. La vie avait fait de moi une fille apeurée et renfermée sur elle-même. Alex semblait avoir une bête sauvage enfermée au fond de lui. Et lorsqu’elle se libérait de ses chaînes, je n’osais pas y penser. J’avais entendu de nombreux murmures dans les couloirs de l’école, disant qu’Alex avait encore une fois perdu son sang-froid et s’était battu avec quelqu’un à sang. On disait qu’il devenait incontrôlable lorsque la colère le submergeait. En fait, plus je passais de temps avec Alex, plus je comprenais à quel point je ne savais rien sur lui. La partie raisonnable en moi me disait de laisser tomber et de ne pas creuser. Pourtant je n’arrivais pas à m’écouter. Comment étais-je censée faire confiance à Alex et construire une amitié avec lui s’il ne me parlait pas ?

– Que s’est-il passé pour que tu sois devenu ainsi ?

Alex croisa les bras.

– Ainsi comment ?

– Tu sais... dis-je en tournant mes doigts. Légèrement ravagé ?

– Tu crois que je suis ravagé ?

L’air autour de nous devint plus lourd. Plus dangereux.

– Ne sommes-nous pas tous un peu ravagés dans le fond ?

– Tu n’as peut-être pas tort.

Il retournait vers ses légumes, comme si j’allais lâcher l’affaire.

– Qu’est-ce qui t’est arrivé ? demandai-je d’une petite voix.

C’était la goutte de trop. Alex se tourna vers moi, la mâchoire serrée.

– Est-ce que ça a de l’importance ?

Alex commença à devenir agressif. Une lueur dangereuse dansa dans ses yeux sombres, et mes mains se mirent à trembler. J’avais vu ce genre de regard un nombre incalculable de fois ; ils m’avaient souvent été adressés. Je savais aussi comment les choses pouvaient mal tourner en un clin d'œil si je ne faisais pas attention. Et pourtant, je n’arrivais pas à m’empêcher de dire :

– Oui, ça en a.

– Arrête ! Laisse tomber. s’énerva-t-il en laissant sa paume claquer sur le plan de travail.

Sentant ma peur m’envahir, je décidais de lâcher l’affaire et de prendre du recul. Peu importe ce qu’il cachait, le jeu n’en valait pas la chandelle.

– Crois-tu que tu saurais capable de me faire suffisamment confiance pour que tu puisses m’en parler un jour ?

Le regard perdu dans le vide, Alex releva le menton.

– Il ne s’agit pas de confiance. Je ne veux pas que mon passé influence l’image que tu as de moi.

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