Mon rôle

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Le tumulte du vaisseau s’apaisa, jusqu’à ce que les panneaux s’ouvrent sur le quai. Octave enlève mon harnachement. Je suis figée sur mon siège. C’est maintenant que tout se joue. Octave me tend une main rassurante. Il m’aide à me relever et je sais que je peux m’appuyer sur lui pour surmonter ces prochains jours d’horreur. M. Leconoistre me tend une cape avec une large capuche qui cache mon corps et mon visage.


— Cela vous protégera des regards indiscrets.


— Vous n’êtes pas censés m’exposer aux yeux de tous pour votre business ?


— Oui, mais vous devez rester discrète pour le moment. Nous voulons attiser leurs regards sur vous, faire monter leurs désirs, pour plus facilement les plumer ensuite. Vous serez révélé lors de la vente des « Roses éternelles ».


Je me rappelle très bien cette arène dans laquelle j’étais examiné tel du bétail bon à inséminer. Vérifier les mensurations, les marques de naissance, les emplacements des différents grains de beauté, la propreté de mon corps. Un frisson me traverse en repensant leurs yeux sur moi, tels des vautours.


— Ne vous inquiétez pas à partir de maintenant, Octave et moi serons toujours là pour vous protéger. Il va falloir nous appeler par nos faux noms. Vous devez vouvoyer Octave et l’appeler Maître ou M. Leconoistre, lorsque vous n’êtes que tous les deux ; et moi je deviens Kévin, esclave que vous devez obligatoirement tutoyer. Je vous donnerais d’autres détails, quand nous arriverons à notre chambre.


— NOTRE CHAMBRE ?


M. Leconoistre regarde autour de lui pour s’assurer que personne ne m’a entendu.


— Moins fort, Xiana ne vous a pas prévenu que nous partagions la même chambre. Il y a la chambre du maître prise par Octave et la chambre des esclaves que nous occuperons tous les deux. Quand une Rose éternelle ne m’accompagne pas, je dors avec les autres esclaves dans un hangar. Ne vous inquiétez pas, tout ira bien.


— Si Xiana m’avait prévu, j’aurais peut-être plus réfléchi avant de me décider à venir avec vous.


M. Leconoistre me regarde déçu et tourne la tête vers Octave qui l’appelle.


— Nous devons partir, Octave a trouvé un transporteur.


Je descends sur le quai d’embarquement pour récupérer ma valise. Avant que je n’aie pu la prendre, M. Leconoistre la prend.


— Vous êtes une relique, vous ne devez pas parler sans que Octave ou moi vous ayons parlé. Vous ne devez rien porter sans que quelqu’un vous l’ait tendu. Vous devez rester un trophée que tout le monde peut admirer sans vous toucher. Est-ce que vous comprenez ?


— Oui…


Je laisse M. Leconoistre me guider à travers la foule jusqu’à un véhicule. Il est séparé en trois parties ; à la partie avant se trouvent deux sièges avec un espace suffisant ; la partie du milieu est la plus vaste avec des fauteuils, une table, un lit, des meubles, cela ressemble à ma chambre en plus petit ; la partie arrière est la plus petite, c’est là que sont placés les esclaves et les bagages, il n’y a que de simple banc, sans fenêtre. M. Leconoistre entasse au mieux les valises pour nous laisser de la place, mais l’espace est exigu.


— Vous pouvez vous installer.


Je m’assois et il referme la porte derrière lui. J’entends un loquet se refermer. Une angoisse me traverse. J’essaie d’ouvrir la porte, mais elle est complètement bloquée. J’ai du mal à respirer et mes mains deviennent moites. Mes cris sont complètement étouffés. Je ferme les yeux pour essayer de me calmer, mais j’ai de plus en plus de mal à respirer. Soudain, j’entends un cliqueti et la porte s’ouvre sur M. Leconoistre.


— Pourquoi m’avez… m’avez-vous… enfermé ?

Ma respiration est encore chahutée, mais l’air frais m’aide à mieux respirer.

— Je m’excuse, je pensais que vous saviez que cette porte est verrouillée dès qu’elle est fermée. C’est un système pour éviter que les esclaves ne s’enfuient.


Il s’assoit à côté de moi, mais l’espace est tellement restreint que nos épaules et nos jambes se touchent. Je n’aime pas cette promiscuité avec lui. J’essaie de me serrer contre les valises, mais rien n’y fait. Je reste figée sur mes mains qui s’entortillent, je serre les jambes. Je suis séquestrée avec un homme que je hais.


— Est-ce que tout va bien ?


Il lève sa main pour la poser sur mon épaule.


— NE ME touchez pas.


Ma voix se lève avant de s’éteindre dans un murmure. Il retire sa main, je vois à son regard qu’il ne comprend pas ce qu’il se passe ou est-ce encore un rôle ?


— Vous…


Les larmes coulent sur mon visage.


— Vous allez me faire du mal ? Maintenant que vous êtes sûre que personne ne peut vous entendre ou vous voir.


— Elena, je vous ai déjà dit que je ne vous ferais aucun mal. Calmez-vous. Nous arrivons dans quelques minutes. Je ne suis pas le monstre que vous pensez. Je suis là pour vous aider.


Je tourne ses mots dans ma tête, mais je n’entends que mon cœur qui bat fort et ma faible respiration. Si cet homme est réellement ce qu’il dit pourquoi ai-je aussi peur ?


Il soupire.


— J’ai promis à Paul de vous ramener saine et sauve. Je compte bien tenir cette promesse.
Le souvenir de Paul m’apaise un peu, mais cette boule qui bloque ma gorge ne disparaît pas. Nous arrivons enfin.


Octave vient nous ouvrir. M. Leconoistre sort et Octave me tend la main.


— Mon joyau, que t’arrive-t-il ?

Sa voix sonne comme ces monstres. Toutes dans ses manières me rappellent à eux. Ce ton hautain et mielleux me glace le sang. Son sourire perfide et ses yeux vicieux accentuent mon angoisse. Ma main tremble, est-ce que je suis tombée dans leurs pièges ?


— Je suis sûr que c’est ce sale Kévin qui vous a brutalisé ma chère émeraude. Si c’est là, je le ferai fouetter pour ses mauvaises manières.


M. Leconoistre ou plutôt Kévin me regarde en attendant que je joue mon rôle aussi.


— Non, Maître, il n’a rien fait, je manquais simplement d’air. Excusez – moi.


— Mais bien entendu, j’aurais dû y penser ma magnifique perle. La prochaine fois, tu monteras à mes côtés, nous trouverons de quoi nous occuper.


Son sourire révèle des dents parfaitement blanches et bien n’aligner, ce même sourire que Léandre. Je prends sa main tremblante. Je sens son souffle près de mon oreille.


— Ne vous inquiétez pas, Mme Gouest, c’est encore moi. Vous jouez parfaitement votre rôle. Nous sommes là pour vous protéger.


À ces mots, mon cœur s’adoucit et ma respiration redevient normale. Mes mains ne tremblent plus et je ressers mes doigts autour des siens. Je lui souris timidement.


— Mon joyau au plus doux sourire, qui me ravit si souvent.


Nous entendrons dans un grand hôtel. Je suis Octave, enfin mon Maître jusqu’à la réception. L’homme essaie de regarder sous ma cape pour apercevoir mon visage, mais Octave l’arrête et lui demande les clefs de sa chambre. Il prend les siennes et tend les autres à Kévin. Je vois Octave partir pour les étages supérieurs pendant que nous descendons les escaliers. La chambre est petite. Un seul lit à deux places est placé sur un côté de la pièce et un petit rideau sépare la salle d’eau et le lit.


— Nous allons dormir ensemble dans le même lit ?


Kévin pose son doigt sur sa bouche pour me dire de me taire. Il inspecte la chambre en détail. Il trouve un tout petit bouton de chemise, qu’il écrase sous son pied. En regardant de plus près, on voit une petite carte électronique. Il refait trois fois le tour, pose des vêtements sur le contour de la porte et ferme à clef. Il s’approche de moi, mais j’ai un mouvement de recul.


— Madame, j’aimerais seulement vous aider à enlever votre cape.


Sa voix est douce et légèrement tremblante. Lui aussi joue parfaitement son rôle. Il se place derrière moi et retire ma cape. Il approche de mon oreille.


— Nous ne pouvons pas parler fort, il a peut-être d’autres micros et peut-être aussi des caméras. Je vous expliquerai tout quand la lumière sera éteinte.

Je m’assois sur le lit et le laisse défaire les bagages.

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