Ma décision est prise

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Maintenant que je me sens mieux dans mon corps. J’ai pris la décision de retourner voir M. Leconoistre afin de tenir ma promesse. Cela fait plusieurs semaines que je ne l’ai pas vu. Je suis un peu angoissée de le revoir, mais je ne sais pas réellement pourquoi. Je demande son avis à M. Anme.

  • Il est vrai que vous avez repris du poids et vous arrivez à nouveau à vous alimenter normalement… Mais êtes-vous sûre d’être prête à retourner dans ce monde ? Revoir ces hommes qui vous ont humilié et vendu au plus offrant ? Il ne faut pas vous précipiter simplement pour essayer de sauver d’autres enfants. Vous avez tout à fait le droit de refuser, d’être égoïste pour votre santé. Si vous n’êtes pas prête, vous retrouvez dans ce nid de vipères, cela pourrait vous être néfaste pour la suite.

  • Je sais, mais si je n’y vais pas, je ne sais pas quand je serais prête. Je ne serais pas seule ? N’est-ce pas ?

  • Octave et M. Leconoistre seront toujours avec vous. Ils ne vous mettront pas en danger. M. Leconoistre ne le permettra pas.

  • Je dois le faire, confronter ma peur pour l’apprivoiser. Sinon je resterais toujours cette fillette seule apeurée dans l’ombre cachée de tous, avec cette angoisse constante. J’aimerais être autre chose que cette enfant effrayée. J’aimerais me découvrir aux autres et peut-être trouver un but à ma vie.

  • C’est normal et vous devez vous retrouver, mais n’essayez pas de courir avant de savoir marcher.

  • Vous me conseillez de ne pas y aller ?

  • Non, je vous mets en garde. Vous êtes libre de votre choix. Je suis là pour vous montrer l’ensemble des chemins qui se présentent devant vous. C’est à vous de choisir le mieux d’entre eux.

  • Si mon choix est mauvais, est-ce que je pourrais encore compter sur vous pour m’aider à trouver le bon ?

  • Bien sûr, je resterais disponible pour vous tant que vous aurez besoin de moi.

  • Merci. Alors ma décision est prise.

  • Parlez-en aussi à Paul, il pourrait vous aider dans votre décision.

  • Pourquoi ?

  • Que voulez-vous dire ?

  • Vous n’êtes pas la première personne à me dire que je devrais discuter avec Paul de mes décisions, mais ce sont les miennes pas les siennes. Pourquoi est-ce que je devrais lui demander ?

  • Il est votre ami le plus proche. Vous avez l’air de très bien vous entendre. Il pourrait vous aider à trouver la bonne voie.

  • Il est vrai que Paul est mon ami, mais je ne pense pas qu’il est la personne la plus adaptée à la situation, surtout si…

Je laisse ma phrase en suspens. Je repense à ma conversation avec G.. Ces sentiments que Paul et moi avons l’un pour l’autre. Si je pars, il voudra peut-être me retenir, mais je ne veux être attaché à personne pour le moment. Je veux savourer cette liberté d’être seul maître de mes décisions et de ne dépendre de personne.

  • Si ?

  • Si je pars. Je réfléchirais à en discuter avec Paul avant mon départ.

Je ne pense pas en parler à Paul. Je ne suis pas sûre des sentiments que j’éprouve à son égard. Je me prépare à revoir M. Leconoistre. Je me dirige vers son bureau. Des éclats de voix se font entendre dans le couloir.

  • Octave, as-tu préparé la liste et les provisions ?

Je n’entends pas la réponse.

  • Cela devrait être près la semaine dernière. Rien n’est organisé comme d’habitude. Laisse-moi seul et que personne ne vienne me déranger. Je dois m’occuper de tout ça. Ne reviens me voir que quand tout sera réglé. Tu expliqueras aux familles pourquoi nous n’avons pas pu sauver leurs enfants.

Je suis à la porte prête à repartir quand Octave sort.

  • Mme Gouest, c’est un plaisir de vous revoir. Vous avez l’air d’aller beaucoup mieux que lors de notre dernière rencontre.

Octave a cette douceur et ce calme dans sa voix qui pourrait apaiser la plus violente des tempêtes. C’est une force tranquille, son grain de voix a quelque chose de rassurant. Une lueur de sagesse se cache dans ses yeux pâles. J’apprécie cet homme sans réellement le connaître.

  • Oui, grâce à votre aide.

  • Je n’y suis pour rien. (Dit-il avec un tendre sourire.) Êtes-vous là pour voir M. Leconoistre ?

  • Oui, mais je reviendrais plus tard, quand il sera moins occupé.

  • Non, ne faites pas attention à ça. Au contraire, il attend votre visite. Allez-y, entrer.

Je toque à la porte et entre.

  • Octave, je t’ai dit que je ne voulais pas être dérangé.

M. Leconoistre est à son bureau rempli de papiers. La pièce est complètement en désordre avec des caisses en métal empilées un peu partout. Il est debout au-dessus de son bureau, les poings sur la table. N’entendant aucune réponse de ma part, il relève la tête. Son visage est fermé, les sourcils froncés et les lèvres pincés. Il paraît plus vieux que son âge. Lorsqu’il m’aperçoit, son expression change totalement. Ces traits se détendent et un large sourire se dessine. Ces yeux chaleureux se posent sur moi et il semble soulager de me voir.

  • Elena, excusez-moi. Je ne pensais pas que c’était vous. Comment allez-vous ? Vous êtes rayonnante.

  • Je vais mieux.

J’ai toujours cette sensation d’être en cage lorsque je vois cet homme, l’impression d’être toujours son esclave. Voilà pourquoi j’étais angoissée de le revoir, parce qu’il est le reflet de ces monstres qui m’ont obligée à rester cachée, qui m’ont enfermée et m’ont humiliée dans cette foire. Ces monstres qui ne voient qu’un corps dont ils pourront souiller la chair. Ces monstres, dont le seul plaisir est de détruire la vie d’un être sans défense. Voilà ce qu’il est à mes yeux. Il est le miroir de ces monstrueuses personnes qui se font appeler Maître et qui pensent encore être la normalité de l’Homme.

  • Mon bureau est un peu en pagaille, mais nous pouvons discuter dehors.

  • Non, ce n’est pas la peine. Je n’en ai pas pour longtemps. Je venais vous dire que je vous aiderai. Vous pouvez m’exposer tel un trophée au marché aux fleurs. En espérant que cela facilitera vos futurs échanges.

Mon ton est sec, mais il est tout ce que je répugne. Il est, ce que la nature humaine a créée de pire. Je me retourne pour repartir.

  • Merci Elena. Pourriez-vous rester pour que nous discutions un peu ?

Je pose ma main sur la poignée de porte.

  • Vous êtes occupé.

Je sors. Je n’arrive pas à croire à son altruisme. Cela sonne faux. Pourquoi sauver ces enfants sans aucune contrepartie ?

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