Le goût retrouvé

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Nous continuons à marcher jusqu’à midi et trouvons un grand arbre. Le soleil perce à travers les feuilles et l’air doux rempli d’une odeur de fleur m’entoure. Je m’assois sur l’herbe et regarde Paul déballer le festin. Mr Anme et Mme Duval ont donné à Paul des fruits et des légumes. Ils ont dit qu’avec cette chaleur ce serait plus simple à manger et surtout il ne faut pas que je me presse. Je regarde les couleurs s’étaler devant moi et mon ventre émet de petits gargouillements. Je prends une petite tomate. Je la croque et le jus glisse dans ma gorge. Je savoure le goût sucré et prends le temps de bien mâché. Je reste concentré sur le goût délicat qui envahit ma bouche. J’avale la tomate et attends que mon estomac se remplisse. J’ai la bouche qui salive et mon ventre gronde.

  • Comment te sens-tu ?

Paul est inquiet. Je lui souris.

  • Ça va, je me sens bien et j’ai même l’impression d’avoir faim.

Paul soupire et me sourit en retour. Nous discutons tout en mangeant lentement, jusqu’à ce que mon ventre soit rempli. Je n’ai jamais mangé autant et ça fait du bien.

  • C’était délicieux et frais. J’ai bien mangé. Merci de m’aider.

Il rougit et je le sens gêné. Il range les restes de notre repas. Je l’aide un peu.

  • Je m’en occupe, ne t’inquiète pas. Repose-toi. Si tu en as envie, nous pourrions continuer à nous balader dans les jardins.
  • Oui, bien sûr, ce serait avec plaisir.

Paul est tellement gentil avec moi. J’ai appris pendant mes années de solitude à m’occuper de moi. Je suis tellement heureuse aujourd’hui d’avoir quelqu’un sur qui je peux m’appuyer, quelqu’un qui prend soin de moi. Je ne me souviens plus du dernier ami que j’ai eu, le dernier moment de paix que j’ai eu, la dernière fois que j’ai partagé une aussi belle journée avec quelqu’un.

Le repas est rangé. Nous repartons dans une partie plus boisée du jardin. Nous sommes sur un petit chemin en terre seules. Nous entendons en loin des chants mélodieux d’oiseaux. J’ai l’impression d’être dans une bulle prête à éclater. Ce moment est précieux et me rend triste. Tout me paraît irréel et j’ai l’impression de n’être pas à ma place de ne pas avoir le droit à ce bonheur. Je regarde le sol et j’essaie de ravaler mes larmes. Paul me touche le bras.

  • Elena, tu ne te sens pas bien ? Tu as mal quelque part ?
  • Est-ce que c’est un rêve ? Est-ce que je mérite vraiment d’être heureuse, Paul ?

Je relève mes yeux brumeux vers lui. Je vois son regard peiné me dévisager. Il surpasse sa timidité et me serre dans ses bras. Ma tête est plaquée contre son torse et j’entends son cœur battre.

  • Elena, tu n’es plus seule. Tu n’es plus enfermée dans ses cages. Tu n’as plus à avoir peur. Tu es libre maintenant, libre d’être heureuse. Je serais toujours là pour toi pour t’aider. Tu as des gens qui t’aiment ici, des gens qui veulent de voir sourire et t’épanouir. Je ne sais pas ce que tu as vécu et je ne peux pas le comprendre, mais laisse-nous t’aider. S’il te plaît ?

J’éclate en sanglots dans ses bras et me serre contre lui. J’agrippe son dos pour ne pas tomber. Est-ce que Paul a raison ? Est-ce que j’ai le droit de briser ce mur que j’ai placé autour de moi et espérer voir la lumière du jour ?

  • Paul, j’ai… j’ai tellement peur d’être à nouveau seule et de souffrir. Je ne veux pas revivre ces années dans le noir isoler de tous. D’être seule sans personne à qui parler, ne pouvoir rien partager. J’ai peur.
  • Tu n’es plus seule. Tu ne seras plus jamais seule.

Paul le caresse les cheveux pour me calmer. Je reste quelques instants dans ses bras, dans ce petit cocon qu’il m’a offert. J’essaie mes larmes et m’écarte doucement de lui.

  • Merci, Paul, merci d’être là, d’être mon ami.

Il me sourit un peu triste et je l’entends murmurer : « J’aimerais être plus qu’un ami ». Je ne comprends pas ce qu’il veut dire et je continue ma route. Le calme du bruissement des arbres nous laisse tous les deux rêveurs. Je vois Paul, le visage dure en pleine réflexion interne. Est-ce ma faute ? Est-ce qu’il attend quelque chose de ma part ?

  • Elena… je…

Je ne sais si c’est sa timidité, mais il n’arrive pas me regarder pendant qu’il parle.

  • Est-ce que tu as déjà été amoureuse ?

Je réfléchis sans vraiment comprendre la question. Moi qui n’ai connu que l’amour de mes parents. Je ne sais ce qu’est être amoureuse. Je l’ai lu dans des romans d’amour, mais je n’ai jamais vraiment compris ce que c’était.

  • Je ne crois pas et je ne pense pas savoir ce que c’est. Et toi ?

Il rougit en me regardant et cache son visage.

  • Non pas vraiment, mais je pense l’être maintenant.
  • Comment le sais-tu ? J’aimerais aussi l’être un jour, mais je ne sais pas si j’en suis capable. Est-ce que ces années de solitude m’ont fait oublier ce que c’est d’aimer ?
  • Je pense que tu peux aimer aussi, c’est humain. C’est un sentiment qui ne se perd pas. Tu as juste besoin de temps pour te le réapproprier.
  • Qu’est-ce qu’on ressent quand on est amoureux ?
  • Quand tu regardes la personne que tu aimes, il n’y a plus qu’elle. Le monde autour n’existe plus. Ton cœur bat à tout rompre quand tu te trouves à ces côtés. Tu es ensorcelé par sa voix. Le ciel s’éclaircit quand tu la vois. Une douleur insupportable t’envahit lorsqu’elle est loin de toi. Elle est ta lumière qui te guide vers d’autres lendemains. L’amour est à la fois douloureux et apaisant.

Je réfléchis aux paroles de Paul et je me rends compte que les seules fois où j’ai ressenti ces sentiments sont lorsque mes parents me laissent seule. Je n’ai jamais aimé personne d’autre qu’eux.

  • Tu as l'air de beaucoup aimer cette personne. Comment as-tu fais pour lui dire que tu l'aimais, tu n'as pas peur qu'elle ne t'aime pas ?
  • Je ne lui en ai pas encore parlé, je ne pense pas qu'elle soit encore prête pour ça. Et si elle ne m'aime pas, je serais triste.
  • Si tu es triste, je pourrais te réconforter si tu veux.

Paul lâche un long soupir.

  • Non, tu ne pourras pas.
  • Bien sûr que si je serais toujours là pour toi comme tu as toujours été là pour moi.

Je lui souris et lui prends la main pour le ramener vers l'hôtel en courant. Je n'aime pas voir Paul triste, mais peut-être que la personne qu'il aime, l'aimera aussi.

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