Le berger

2 minutes de lecture

Au sommet du jour. Le berger posé sur le brûlant d'un granite, le soleil posé sur le lui. Qui pèse, qui sèche le silence même.

Les pensées au repos, il saigne un segment de noisetier de l'effilement distrait d'un couteau, pour rien de réfléchi. Le souffle de l'été l'empoigne comme pour l'emporter dans sa glisse sur la denture du monde, çà chartreuse, là argentée, à perte d'horizon.

Une clochette tinte trop loin sur sa gauche; sa langue claque et le chien s'empresse de lisser les contours du troupeau. Puis jappe les deux coups de l'alerte.

"Là, corniaud !", l'apaise le visiteur à l'approche.

Le berger lève les yeux, siffle entre ses dents et le chien se rassoit avec la fierté docile du travail bien fait. L'Opinel est plié; de la besace il libère deux pipes et une bourse de tabac sec. Le visiteur est là :

"C'est colère.

‐ Demain.

‐ Dès ce soir. Ça tonne déjà dans le Madon.

‐ Le vent porte au nord. Il est paresseux celui-là."

De sa main de cale, le berger tend la pipe à l'instant bourrée au visiteur, qui relance :

"C'est ce soir. Je monte à Saint-Joseph. Tu devrais suivre.

- Doucement."

L'autre pipe est prête. Le feu y est porté et passe de main en main. Bientôt le berger et le visiteur songent dans de grisantes volutes, sitôt fouettées par la bourrasque pourtant paresseuse, celle qui va au nord, vers le haut des massifs. Elle arrache dans l'élan, à la colchique et au pied-de-chat, ce qu'ils gardaient pour les butines, et la montagne s'en parfume et fait sa belle.

Ça bêle perché au milieu des têtes, puis ça répond grave; le petit retrouve sa mère et les clochettes en font la célébration.

" L'ourse est dans les bouleaux de Boismont, ça fait trois jours, lance le berger en levant le béret.

- Elle a chaud.

- Elle est seule. Les petits n'y sont plus.

- Elle les aura perdus dans les crevasses.

- Eh beh..."

La sente qui ornière jusqu'à l'abri de Saint-Joseph monte en s'enlaçant autour du versant, comme une griffe de poussière au travers de la toison verte et ondoyante de la montagne. Un lézard délogé de son piédestal de granite s'est rabattu sur le sol brûlant et fait rouler le gravier de ses mouvements secs. Là-haut, porté par un souffle dur comme le roc, le busard perçant le toise en circonvolutions patientes et guette le moment.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 10 versions.

Vous aimez lire Jeff Bends ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0