Dans les sables du temps...

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[ Note : Cette histoire est à l'origine une réponse au défi "Maisons de rêves" ]



  Dehors, habillés d’une combinaison et d’un masque protégeant leur visage, deux silhouettes de jeunes gens, un homme et une femme, des archéologues, se tenaient côte à côte.

  « Dépêchons-nous, dit le jeune homme à sa compagne. La tempête approche. »

  Face à eux, une très vieille bâtisse. Rongée par le sable et le temps, elle semblait le dernier vestige d’une civilisation ancienne. Après avoir traversé les siècles, elle était maintenant au bord de l’effondrement. Le terrain était trop hostile pour la conserver plus longtemps, aussi il fallait faire vite pour rassembler le plus de données possibles.

  Les deux archéologues, équipés de leurs outils de fouilles et d’analyses, passèrent avec prudence sous le porche, non sans une pointe d’émotion. Combien de temps s’était-il écoulé depuis le départ des derniers occupants ?

  Dès l’entrée, le sable s’était fortement accumulé et le vent ne faisait qu’en rajouter un peu plus chaque seconde. Ils sentaient les frottements contre leurs combinaisons, sensation qui les poussait à agir vite.

  Cependant, une fois à l’intérieur, le bruit s’atténua pour progressivement laisser la place à un grondement plus ténu. Avant d’aller plus loin, ils prirent une seconde pour réaliser leur chance et le privilège d’être les ultimes témoins de ce passé voué à disparaître.

  Au bout d’un long couloir, une ouverture laissait entrer une lumière vive qui soulignait les accès latéraux des autres pièces. Le sol, recouvert de plusieurs couches de sable et de débris, rendait la progression plus délicate, mais dans le même temps c’était stimulant. En dessous devaient forcément se trouver des choses extraordinaires.

  Les murs tombaient en lambeaux, mais on pouvait encore deviner des traces de couleurs et de quelques écritures presque effacées plus proches du sol. N’ayant pas le temps de traduire ces mots, ils les photographièrent sous tous les angles.

  Soudain un puissant craquement se fit entendre.

  « Ça vient du plafond, dit l’homme. On a peut-être moins de temps que prévu.

  • On vient à peine d’entrer, répondit la femme. Il y a trop de choses à répertorier.
  • Je sais, mais c’est déjà un miracle que nous ayons eu un permis de fouilles. On privilégie l’enregistrement vidéo et photographique.
  • Alors je me charge de l’étage et toi des pièces du bas. Je vais faire vite. »

  L’homme hésita. L’étage était accessible, mais il était risqué de monter avec le risque d’éboulement.

  « D’accord, mais allège-toi au cas où. »

  Le duo se sépara immédiatement et la jeune femme, se délestant de son lourd sac, monta à l’étage d’un pas rapide et léger, en prenant garde aux signes d’affaissement.

  Resté en bas, l’homme se mit à explorer les différentes pièces. En avançant, il entendait les murmures du vent et le crissement du sable s’insinuant dans les fissures et autres interstices qui lézardaient la structure. D’une certaine manière, cet endroit demandait à ces derniers visiteurs de faire vite afin de reposer en paix.

  Concentré sur sa tâche, l’archéologue commença à réfléchir à la nature de ces vestiges. Selon ce qu’il savait, l’espace d’habitations était plutôt vaste. Surtout en tenant compte de l’époque estimée des constructions. Ce qu’il avait identifié comme la pièce à vivre principale était séparé de celle servant à préparer les repas.

  Dans cette dernière se trouvait encore des restes de nourritures. Des morceaux de viandes fossilisées étaient collés sur une table. Des graines et autres condiments de natures diverses et indéterminées se trouvaient encore au fond de bocaux brisés sur le sol. Il y avait également des ustensiles de cuisines, ou plutôt ce qui restait de leur matériaux, ainsi que des restes d’installations spécifiques.

  Dans l’ensemble, l’agencement et le matériel restaient assez primitifs. Néanmoins, malgré la dégradation, l’abondance d’artefacts et la simple présence d’un second étage laissaient clairement penser que les anciens propriétaires appartenaient à la classe aisée de la population.

  Mais ce qui frappa l’archéologue avant tout, ce furent les traces du chaos qui régnait partout, pas seulement dans ce qui semblait avoir été la cuisine, mais aussi dans la pièce à vivre. Avant de devenir une ruine, cet endroit avait été totalement retourné.

  Sur les vestiges d’une desserte il trouva les restes d’un repas figé dans le temps, ainsi que des vêtements jetés en vrac. Il y avait partout du mobilier éventré ou vidé. Pas la moindre trace d’objets de valeur. Le peu qui subsistait, comme ce qui devait être une ancienne sculpture, avait visiblement été abandonné.

  En grande majorité, il n’y avait plus que de vieux documents entassés en piles dans un coin. Des pages fragiles se détachaient et celles qui n’étaient pas emportées par le vent en tombant en poussière tapissaient le sol. Elles s’effritaient au toucher et l’usure rendait impossible leur lecture. Au lieu de se perdre en conjectures, l’archéologue enchaîna les clichés et enregistra quelques images en faisant de rapides commentaires dans son enregistreur.

  Malgré le temps qui filait, cette pile de documents intriguait le jeune homme. S’il y avait des traces suggérant un pillage ou un départ précipité, il avait l’impression que quelqu’un était revenu plus tard pour fouiller.

  Pourquoi revenir alors que tout s’effondrait ?

  Les sources disponibles n’étaient pas claires. Une partie n’avait pas encore été déchiffrée. On s’accordait cependant à dire qu’une grande catastrophe avait mis fin à cette civilisation de manière brutale.

  L’archéologue n’avait pas le temps de faire d’autres hypothèses. Alors qu’il enregistrait encore quelques réflexions personnelles pour son futur rapport, de nouveaux craquements retentirent et un morceau de plancher tomba à ses pieds en manquant de lui briser le crâne.

  Toussant et agitant la main pour disperser la poussière, il pressa sa collègue.

  « Vite ! Ça commence à se compliquer !

  • J’arrive ! J’ai terminé ! »

  A peine entendit-il sa réponse que les craquements s’intensifièrent. Des bouts de murs et de plafonds se détachaient à mesure que le vent, toujours plus intense, entrait dans les pièces délabrées.

  Cet endroit suppliait ses visiteurs de se dépêcher pour éviter de faire eux-mêmes parti du passé.

  « On a plus le temps ! Descend ! »

  Les fissures au plafond s’élargissaient sous les pas rapides de la jeune archéologue. Toute la structure tremblait et se détériorait de plus en plus. Soudain, un pan de mur s’effondra dans la pièce à vivre dans un vacarme terrible. Immédiatement, le vent s’engouffra avec une force terrifiante et dans un bruit assourdissant qui ressemblait maintenant à un cri bestial.

  L’effondrement n’était plus qu’une question de seconde. Dans un geste rapide le jeune homme attrapa le sac de sa collègue, alors que cette dernière descendait juste à temps pour le rejoindre.

  De justesse, le duo réussit à s’échapper du bâtiment alors que tout s’écroulait autour d’eux. Enfin à bonne distance, ils se retournèrent pour regarder l’édifice s’effondrer comme un château de cartes. Le souffle de la destruction, dans un dernier râle d’agonie, aveugla les archéologues d’un nuage de poussière et de débris.

  Avant que la tempête n’arrive à son paroxysme, le jeune homme sortit un boîtier de sa poche et pressa un bouton. Un signal sonore résonna immédiatement, et, une poignée de secondes plus tard, le duo fut avalé par une lumière blanche qui les transporta dans une salle circulaire immaculée.

  Revenus au calme, les deux jeunes gens épuisés prirent le temps de souffler et de faire un rapide point avant d’aller se changer.

  « Alors ? Tu as trouvé quelque chose en haut ?

  • En quelque sorte. »

  La jeune femme tenait dans la paume de sa main un des outils nécessaires à sa profession. Celui-ci ressemblait à un carré transparent à peine plus épais qu’une feuille de papier et de mêmes dimensions. En une pression du doigt, un hologramme se matérialisa et diffusa un enregistrement vidéo.

  « Il n’y avait presque plus rien, tout était vide… mis à part la chambre, dit elle en finissant sur une note plus grave. »

  Sur le sol de la pièce, rongé par le temps, les insectes et la moisissure, se trouvait les débris d’un matelas. Mais le plus intéressant était ce qui se trouvait dessus : les restes d’un corps.

  Sec, desséché, vêtu de quelques lambeaux de vêtements, l’individu se trouvait dans une position allongée, les mains jointes sur le torse. Le climat chaud avait quelque peu préservé le corps, suffisamment pour que l’on pense qu’il dormait en dépit de sa dessiccation et de sa peau parcheminée.

  Cette découverte était d’autant plus remarquable que jusqu’à présent, seuls quelques restes de corps avaient été retrouvés. Et encore aucun entier.

  « Tu crois que c’était le propriétaire ? Demanda le jeune homme.

  • Je ne sais pas. Peut-être qu’il voulait simplement trouver un endroit pour en finir paisiblement.
  • Que veux-tu dire ?
  • Entre ses mains il tenait quelque chose. »

  La jeune femme mis sa main dans une des larges poches de sa combinaison et en tira une petite fiole. Des résidus cristallins se trouvaient à l’intérieur.

  « Je la ferrai analyser une fois de retour. Peut-être pourrons-nous en tirer des infos intéressantes pour mieux les comprendre… Dis, tu crois que c’était le dernier ? »

  Le jeune homme soupira, ne sachant quoi répondre. Malgré les difficultés, la mission était un succès. Et pourtant, en regardant cette fiole, il ressentit soudain une certaine mélancolie.

  « Bien. Allez, on rentre. Je programme le retour et te laisse commencer le compte-rendu.

  • Pas de problème. »

  Pendant qu’il se dirigeait vers le cockpit de leur navette, elle s’assit devant un ordinateur de bord et débuta une cession d’enregistrement :

  « Entrée numéro 1 pour compte-rendu de mission de fouilles. Deuxième jour du troisième mois de l’année 4020 du calendrier galactique. Planète : Terre – anciennement nommée. Destination au sol : Europe – anciennement nommée. Voici nos dernières découvertes… »

  Alors que la navette fendait l’espace en un trait de lumière à travers les étoiles, elle laissa derrière elle une planète brune et défigurée par des cratères géants. A sa surface une tempête s’efforçait d’effacer les traces d’un monde révolu.

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