La fuite

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  Sally courait. La nuit glaciale lui mordait la peau. Son t-shirt était couvert de sang, son jean en lambeau, et la plante de ses pieds nus était lacérée par les ronces. Mais elle devait courir, sa vie en dépendait.

  Heureusement, elle savait contrôler sa respiration. Courir était un de ses hobbys mais jamais elle n’aurait cru que ce soir, ce serait pour sauver sa vie. Entre les arbres, surmontant la douleur, à peine éclairée par lune, Sally ne pouvait pas ralentir. Elle était traquée.

  La soirée avait pourtant bien commencé : une bande d’amis en vacances, un coin isolé pour partager des souvenirs avant de se séparer à la rentrée pour, peut-être, ne plus jamais se revoir. L’ambiance idéale. Puis, en un instant, tout avait basculé pour se terminer dans un cauchemar remplit de pleurs, de cris et de sang.

  Jetant par instant de rapides coups d’œil derrière elle, Sally ne voyait rien à travers les feuillages balayés par le vent. Les fines branches tordues lui fouettaient le visage. Bien que risqué, elle décida de faire une pause quelques secondes en s’appuyant contre un arbre pour reprendre son souffle.

  Elle était endurante, mais quand tout avait dégénéré, elle avait perdu la notion du temps. Depuis quand courait-elle ? A mesure que la nuit avançait, la seule chose qu’elle espérait maintenant était de voir le soleil se lever.

  Soudain, au milieu des cris de chouettes et crissements des insectes, un bruit répétitif de feuilles et de branches qui craquaient. Sally se figea en l’entendant, d’autant plus qu’il s’intensifiait. Elle savait ce que c’était : la raison de sa fuite.

  Sally ralentit sa respiration pour mieux entendre. Un bruit sec et métallique retentit : celui d’un fusil que l’on chargeait. Il fut suivit par une respiration lourde, marquée par l’effort et qui essayait de ralentir. Enfin, une voix fendit l’obscurité : « Sors de là ! Je vais t’exploser la gueule, salope ! ».

  L’homme, à qui appartenait cette voix remplie de rage, tournait sur lui-même pour se repérer dans la nuit. Entre ses mains en sang, dont il manquait deux doigts à la gauche, il tenait un fusil. Mais il tremblait, semblait fébrile. Chaque bruit suspect ajoutait à sa nervosité, cela s’entendait dans sa respiration et ses réactions à chaque fois qu’une branche craquait.

  Pour autant, il ne fuyait pas. Il était déterminé. Sally le savait bien, un seul faux pas et c’était terminé.

  Pointant son fusil devant lui, le doigt sur la gâchette, l’homme se mit à avancer. La sueur se mélangea au sang de la plaie qui courait sur sa tête. Il savait que Sally était là, tout près.

  Il était la raison pour laquelle tout avait basculé. Sally n’aurait jamais cru tomber sur quelqu’un comme lui. Tout doucement, elle se laissa glisser le long du tronc pour prendre une pierre au sol. Mais au moment de la saisir, son pied glissa sur la terre humide.

  L’homme réagit tout de suite et tira dans la direction de Sally. Le coup de feu arracha l’écorce de l’arbre juste à côté de la jeune fille. Elle retint à la dernière seconde un cri mélangeant peur et douleur. Ses oreilles bourdonnaient violemment.

  Derrière elle, l’homme avançait. Un bruit sec, reconnaissable, et le fusil était prêt à tirer à nouveau.

  Du bout de ses doigts tremblants, Sally réussit à saisir la pierre. Elle se redressa de quelques centimètres en retenant un gémissement : le coup de feu avait frôlé sa hanche. Sur le moment, à cause de l’adrénaline, elle n’avait rien senti. Mais maintenant, elle avait l’impression qu’on venait de lui appliquer un tisonnier chauffé à blanc.

  Malgré cela, elle écoutait l’homme se rapprocher dangereusement de sa position. Elle attendit encore une seconde et d’un geste net, elle lança la pierre aussi loin que possible. Ce mouvement tira sur sa plaie et lui fit lâcher un cri de douleur qui se mêla au coup de feu de l’homme.

  Il avait mordu à l’hameçon. Alors que l’écho des deux bruits disparaissaient dans l’obscurité, Sally rassembla ce qui lui restait de forces et sortit de sa cachette en courant le plus vite et le plus loin possible avant que l’homme ne recharge son arme. « Tu ne m’échapperas pas ! Je vais te buter ! » hurla-t-il. Ses cris étaient si puissants qu’ils épuisaient ses cordes vocales. Il sortait tout ce qu’il avait de haine envers Sally.

  Mais elle ne faisait pas attention, il fallait qu’elle court le plus loin possible. Sa blessure lui faisait mal, cherchant à la faire ralentir, à la faire plier. Tout ce qui dominait en elle, c’était la peur mêlée et sa volonté de survivre.

  Elle sentait l’homme derrière elle. Un nouveau coup de feu souleva une gerbe de terre et de feuilles à quelques pas de Sally. Elle faillit trébucher mais réussit à garder son calme et l’équilibre. Il était hors de question qu’elle meure maintenant, elle avait encore tant de choses à faire.

  Pour éviter les tirs, elle zigzaguait entre les arbres tordus. Elle ne savait pas si cela allait changer grand-chose, mais avec son cerveau mobilisé pour tenter de survivre, elle se disait que tout était bon à prendre. Du moment que cela lui donnait plus de temps…

  Enfin, entre deux branches, soulignées par les rayons lunaires, Sally apercevait la fin de la forêt. Il lui restait quelques mètres à parcourir mais jamais cela ne lui avait paru aussi loin. Alors elle entendit un bruit métallique. Son instinct ? Son corps qui réagit de lui-même en sentant le danger ? Toujours est-il que, avant même la détonation, elle se baissa brusquement. Le projectile lui passa au dessus de la tête et alla exploser une épaisse branche un peu plus loin.

  Le cœur de Sally accéléra encore jusqu’à être l’unique son dans ses oreilles. Enfin, comme la preuve d’une puissance extérieure, les phares d’une voiture arrivant en trombe apparurent sur la route. A ces phares s’ajoutaient des lumières clignotantes bleus et rouges : une voiture de police.

  Sally regarda une seconde en arrière et aperçut la silhouette de l’homme se détacher des arbres. Elle sortit de la forêt, paniquée, en agitant ses bras en l’air. « Stop ! S’il vous plaît à l’aide ! » cria-t-elle.

  Les pneus de la voiture crissèrent avant de s’arrêter à quelques mètres d’elle. Un policier sortit immédiatement en faisant signe à la jeune femme excitée de se calmer.

  « Calmez-vous ! Qu’est-ce qui se passe ? J’ai entendu des coups de feu plus hauts sur la route. Vous êtes en danger ?

- Oui ! Je vous en supplie ! Il…. Il me poursuit… Il a un fusil, il veut me tuer ! Cria la jeune femme en balbutiant.

  - Calmez-vous ! Qui veut vous tuer ? »

  Avant que Sally ne puisse répondre, un impact creusa un trou à ses pieds. L’homme, armé, essoufflé et le regard enragé, sortit de la forêt, déjà prêt pour un nouveau tir. Le policier réagit instantanément et pointa son arme dans sa direction.

  « Lâchez votre arme et mettez vous à genoux, les mains sur la tête ! Exécution ! » dit-il avec fermeté pendant que Sally s’accroupit derrière la voiture. Mais l’homme ne répondait pas. Le fusil, pointé vers sa proie, tremblait dans ses mains alors que de la fumée sortait du canon.

  « Dernière sommation ! Lâchez votre arme immédiatement ou j’ouvre le feu ! ». Toujours aucun réponse mis à part cette respiration lourde et bruyante.

  « Votre arme ! » cria à nouveau le policier. L’homme détourna un instant le regard pour observer le représentant des forces de l’ordre. Il ouvrit la bouche mais les mots sortaient difficilement.

  « Je… vais la buter… dit-il d’une voix éraillée.

  - Votre arme. Maintenant, sur le sol, tout doucement ! »

  Le policer commença à avancer sans baisser son arme, le doigt bien calé sur la gâchette. « Je vais avancer tout doucement et vous allez poser votre arme à terre et vous mettre à genoux. » Dit-il avec le plus grand calme possible.

  Le cœur de chacun battait plus fort à mesure que la distance se réduisait. Le regard de l’homme allait du policier à Sally, il hésitait. Mais cette dernière le fixait avec des yeux grands ouverts. Il les sentait le transpercer, attendant l’issu. C’en était trop, il n’y avait plus aucune trace de patience ou de raison dans l’esprit de l’homme.

  « J’vais te buter ! » hurla-t-il en y mettant toute sa haine. Il leva brusquement son fusil et un coup de feu retentit dans la forêt.

  De la fumée sortait du canon du pistolet du policier pendant que celui-ci fixait le corps de l’homme à terre. D’un côté de son crâne se présentait un trou aux bords brûlés pendant que de l’autre sortait un mélange de sang et de cervelle qui se répandait sur le bitume.

  L’ombre du corps s’étirait sur la route avec la lumière de la torche du policier. Un mince fil de fumée sortait de la plaie avant de s’évanouir dans les airs.

  Le policier, sur ses gardes, avança pour examiner le corps. D’un geste du pied, il éloigna le fusil sur le côté. Après s’être assuré que l’homme était bien mort, il rangea on arme avant de se baisser pour l’identifier.

  « Vous le connaissez ? » demanda-t-il à Sally qui était sortie de sa cachette. Pour toute réponse, elle secoua la tête, encore choquée.

  Le policier passa la lumière sur le visage de l’homme puis vers ses poches où il espérait trouver des papiers. Il n’y avait rien. Cependant, un curieux détail attira son attention. En s’attardant sur les mains, il vit des marques étranges au niveau des poignets. Tout autour la peau était rouge et écorchée, comme si l’homme s’était défait de liens très serrés.

  « Qu’est ce qu… » commença-t-il avant d’être interrompu. Il n’avait rien senti venir. Pendant que le bruit de la détonation du fusil résonnait dans la nuit, le corps du policier s’étala violemment à terre…la moitié de la tête éparpillée sur le bitume.

  Derrière le corps encore chaud, Sally, le regard dénué de toute peur et de pitié, rechargea le fusil. D’un coup de crosse, elle détruisit la radio du policier.

  Sa blessure la lançait mais elle faisait avec, de toute façon elle avait de quoi se soigner dans sa cabane dans la forêt.

  Enfin elle pouvait respirer. Se tenant contre la voiture, elle prit une profonde inspiration et massa ses pieds meurtris.

  Jamais elle n’avait couru comme ça, du moins pas dans cette configuration. Elle aurait dû se méfier de lui, mais tomber sur tout un groupe qui aimait passer ses vacances à se bourrer la gueule, c’était trop tentant. Un par un, elle les avait eu.

  Mais il est vrai qu’elle avait eu de la chance, elle l’admettait. Mais c’était aussi très enrichissant. Cette affaire aurait pu la dévoiler au grand jour. Elle ne referait pas les mêmes erreurs.

  Enfin… Ces cadavres n’allaient pas se transporter tout seul. Malgré la douleur, elle s’étira avant de mettre les corps dans le coffre. Mais ce dernier étant trop petit pour les deux, elle en mit un sur le siège passager afin de lui tenir compagnie sur le chemin, en attendant d’abandonner la voiture dans un ravin plus loin.

  Un groupe de jeunes et, pour la première fois, un policier ; c’était vraiment un bon score pour une seule soirée. Elle était néanmoins consciente que tout ce beau monde disparu brutalement allait provoquer quelques remous pour les prochaines semaines.

  Aussi, alors qu’elle roulait tranquillement dans la nuit fraîche, Sally décida de prendre quelques jours de vacances dans un autre Etat. Ce sera aussi l’occasion de faire un peu de repérage.

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