Épisode 10 : L'Ogre (2/14)

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Le lendemain matin, dès que Laure posa un pied dans le manoir de son père, elle sut qu'elle aurait le droit une scène. Elle entendait son père grogner et les vapeurs d'alcool voyageaient jusqu'à elle. Elle le trouva allongé sur le canapé en cuir du salon, toujours habillé, mais débraillé, un verre et une bouteille de Whisky posée sur la table basse.

Une opportunité d'éviter la confrontation s'offrait à elle. Elle enleva ses talons pour ne pas faire de bruit en montant les marches de l'escalier. Malheureusement pour Laure, elle n'eut même pas le temps de poser un pied sur la première marche.

  • C'est toi ?

Sa voix n'était pas complètement réveillée, mais sa colère résonnait déjà. Il se leva du canapé et il pointa ses yeux rougis sur Laure.

  • Où étais-tu, Jessica ? Chez quel mec tu es partie te faire fourrer ?

Même rengaine à chaque fois qu'il buvait. Laure cessait d'exister pour n'être plus qu'un pâle reflet de sa mère. Elle ne pouvait pas nier sa ressemblance avec celle qui l'avait mise au monde. Toutes les deux possédaient un visage fin mais doux, une chevelure dorée et longue ainsi que des yeux semblables aux couleurs de la mer. Lorsque quelqu'un les regardait de dos, leur allure et leur silhouette fine ne permettaient pas de les distinguer. Si à une autre époque, Laure adorait les comparaisons avec sa mère, maintenant, elle les détestait.

  • Papa, c'est moi. Laure. Pas maman.

Il se figea un instant puis un éclair sembla le ramener à un minimum de réalité.

  • Laure.... Tu étais où ? Comment ça se fait que tu n'as pas dormi ici ?
  • Je te l'ai dit. J'étais chez Sylvie et Marie.
  • Ouais, c'est ça. Tu es comme ta mère. Prête à te faire fourrer partout.

Laure ne répondit pas à cette insulte par la parole. A la place, elle partit dans la cuisine, sortit une bouteille fraîche du frigidaire et retourna devant son père. Elle lui versa la bouteille dessus. C'était la première fois qu'elle réagissait ainsi.

  • Quand tu auras dessoûlé, tu viendras me dire pardon, comme à ton habitude. Mais continue comme ça, papa, et ce n'est pas que ta femme que tu perdras.

Son père, sidéré par l'acte de sa fille, ne dit rien et ne bougea pas. Laure le fusilla une dernière fois du regard avant de monter dans sa chambre. Allongée sur son lit, elle regarda son téléphone portable. Sydney lui avait envoyé un message bref mais alarmiste :

"Les rêves recommencent".

Laure l'appela aussitôt. Son amie décrocha tout aussi rapidement.

  • C'était un rêve horrible, commença Sydney. J'ai vu un enfant, enfermé dans une pièce. Il a été enlevé par un homme... Laure, je crois qu'il a mangé le petit garçon.

Laure respira un bon coup. Elle sentait la nausée arriver.

  • Tu penses que c'est vraiment arrivé ? demanda-t-elle
  • C'est horrible, mais oui. C'était tout aussi réel que lorsque j'avais rêvé de Marilyne.

Laure ressentit un pincement au coeur à l'évocation de Marilyne. Elle n'entendrait plus ses rires et ne verrait plus son si doux sourire. Puis se rappeler que son meurtrier profitait toujours de sa liberté provoqua une montée de colère en elle.

  • Laure, tu es toujours là ?
  • Oui, excuse-moi ! Je réfléchissais...
  • Je ne sais pas quoi faire.
  • Sydney, je te connais. Je sais que tu as peur et que ça te dépasse. D'ailleurs, je ne suis même pas certaine de réaliser et de comprendre moi-même...mais en sachant cela, tu peux vraiment rester sans rien faire ?

Elle sentit le ton de reproche dans sa voix. Cela lui avait échappé et elle en éprouva de la culpabilité.

  • Tu...tu me reproches quelque chose ? Tu penses que je suis égoïste de vouloir continuer ma vie comme si de rien n'était ?
  • Non, ça, c'est toi qui le dis. Je ne te reproche rien et je ne suis pas en colère contre toi. C'est juste que...Marilyne est enterrée alors que son tueur profite toujours de la vie. L'enquête n'avance pas. Pire, on n'en parle de moins en moins, voire plus du tout. Je...je ne veux pas te mettre ça sur les épaules, mais Sydney...s'il n'y a vraiment que toi qui peux le retrouver et le stopper...s'il n'y a que toi qui peut éviter qu'une autre fille tombe entre les mains de ce fou...tout comme s'il n'y a que toi qui peut sauver des enfants d'un Ogre ? Tu ne feras pas partir ces rêves et ces visions. A chaque fois que tu entendras parler d'un meurtre, tu culpabiliseras et ça finira par te ronger. C'est injuste, c'est tombé sur toi, mais à partir du moment où c'est arrivé, tu ne peux plus revenir à une vie normale.
  • Je ne savais pas que c'était ce que tu pensais ; et jamais je n'aurais cru que tu me pousserais dans cette direction.
  • Tu ne le réalises pas, mais tu y étais déjà dans cette direction. Tu aurais fini par accepter et a appelé ce Christian. En ce qui me concerne, je veux que justice soit rendue pour Marilyne et mon seul espoir pour que ça arrive c'est toi.
  • Je ne sais pas, Laure. Je ne suis pas assez forte pour ça, et ça voudrait dire mentir à mes parents, mentir à Nicolas, Sylvie et Marie.
  • Tu as les épaules, et tu n'es pas seule. Je suis là et il y a Christian. Appelle-le !

Un silence suivit jusqu'à ce que Sydney reprenne la parole :

  • Je dois te laisser. Nous avons des invités ce midi.

***

Dans sa chambre, après avoir raccroché, Sydney ouvrit le tiroir du bas de sa table de chevet. Elle en sortit la carte de visite donnée par Christian.

Christian Sinclair - Détective privé.

Une couverture sans aucun doute.

Elle composa le numéro, laissa sonner quelques instants, mais lorsqu'elle entendit la voix de Christian, elle coupa la communication.

***

Dans son salon, Christian regardait son téléphone portable avec sourire. Il savait que le coup de téléphone venait de Sydney. Elle était bientôt prête.

***

Sydney descendit au rez-de-chaussée pour aider sa mère à terminer la préparation du repas. Joseph était déjà en train de dresser la table tandis que son père était parti pour faire des courses de dernière minute. Kevin revint en même temps que les invités.

  • Sydney !

Une petite fille âgée de sept ans se jeta dans les bras de la jeune femme. Celle-ci l'accueillit tendrement.

Sydney gardait Alexia régulièrement certains soirs de week-end. Elles s'appréciaient mutuellement. Alexia admirait même sa baby-sitter qu'elle voyait comme la grande soeur qu'elle n'avait pas. Ce rapprochement s'était fait d'autant plus facilement qu'elles avaient quelques airs de ressemblance. Toutes les deux possédaient une chevelure longue et châtain clair ainsi que des yeux qui rappelaient, par moment, l'émeraude.

Sydney s'enleva de l'étreinte d'Alexia pour saluer les autres invités. Trois adultes l'accompagnaient : Christophe, son père ; Marianne, sa mère et Jean-Paul, un ami proche de la famille.

Marianne était très amie avec Laurianne. Elles s'étaient connues à un cours de yoga quelques années plus tôt. Une personnalité timide caractérisait Marianne, mais Sydney appréciait sa gentillesse et sa douceur. Son mari aussi était sympathique, mais plus froid et réservé. Quant à Jean-Paul, Sydney ne le connaissait pas. Les seules choses qu'elle savait c'était qu'il était entraîneur de foot pour la ville et qu'Alexia le considérait comme son oncle.

Dans une ambiance joyeuse, ils s'installèrent dans le salon pour l'apéritif. Instinctivement, Laurianne et Marianne se mirent à côté pour discuter cuisine et jardinage tandis que les hommes se servaient déjà à boire. Quant à Sydney, Alexia l'entraîna aussitôt pour un atelier de dessin et de coloriage.

  • Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité, dit Jean-Paul avec une réelle gratitude.
  • Mais c'est avec plaisir, répondit Kevin. Donc, si j'ai bien compris Christophe et toi - tu permets qu'on se tutoie ? - vous vous connaissez depuis le lycée ?
  • C'est bien ça. On n'était pas dans la même classe, mais dans le même club de football. Tu joues ?
  • Pas vraiment. Je suis plutôt course à pied.

Ils continuèrent à discuter de banalités tandis que Sydney regardait attentivement l'oeuvre d'Alexia. Elle avait dessiné un premier personnage féminin. Les couettes blondes et la robe à fleurs laissèrent supposer à Sydney qu’Alexia se représentait elle-même. La petite fille portait, en effet, un pareil habit et elle était coiffée de la même manière. Puis Alexia dessina un garçon à ses côtés.

Sydney sentait un malaise l'envahir sans qu’elle ne pût l’expliquer. Un frisson parcourait sa colonne vertébrale.

– Qui tu dessines, Alexia ? Questionna-t-elle.

– Mon copain Louis, mais tout le monde l’appelle Lou.

Sydney fut saisi d’effroi. Lou ! Elle avait entendu l’Ogre appeler le garçon de ses rêves de cette façon. Se pourrait-il qu’Alexia le connaisse ?

– Et qui est Lou ?

Alexia posa son crayon et regarda la jeune femme. Elle semblait vouloir répondre, mais Alexia eut une absence, comme si pendant un instant, son cerveau s’était déconnecté. Quand elle revint à elle, elle sourit et dit avec toute la légèreté qu’un enfant pouvait avoir :

– J’ai faim. On mange quand ?

Déconcertée, Sydney se demanda ce qu’il venait de se passer. La réaction d’Alexia était surprenante.

– A table, annonça Laurianne.

Ils se mirent à table. Toujours troublée, Sydney mangea la panacotta au chèvre et la roquette qu’avec une attention très limitée. Même les conversation de ses parents avec les convives n’étaient que des bruits de fond. Elle cherchait une explication à l’attitude d’Alexia. Elle ne sortit de ses pensées que lorsqu’elle ressentit à nouveau un frisson et courant d’air frais derrière elle.

Elle se retourna. Lou se tenait là, le visage apeuré. Il souhaitait que Sydney l’aide, mais la jeune femme n’eut le temps de faire quoi que ce soit. Une fumée noire apparut derrière Lou et l’aspira. Lilith avait pris l’âme du jeune garçon.

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