Épisode 9 : L'Ogre (1/14)

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Les premiers sons de Wannabe des Spice Girls retentirent dans l'appartement de Marie et de Sylvie. Quelques instants plus tard, cette dernière et Laure sortirent d'une des chambres, des perruques roses sur la tête et des lunettes de soleil posées sur le nez.

L'assemblée, composée de Marie, Nicolas, Sydney et quelques autres personnes proches des locataires, applaudit et poussèrent des cris d'encouragement. Emportées par l'enthousiasme de leurs amis, Sylvie et Laure commencèrent à se déhancher dans tous les sens. Leur danse gagna en dimension comique lorsqu'elles caricaturèrent des danseuses de la pop culture. Les rires montèrent en volume.

Puis, Sylvie s'avança vers Nicolas et mima une danse sensuelle.

  • Oh, Nicolas ! Tu rougis, se moqua Marie.

Sydney remarqua effectivement les rougeurs de son ami. Elle s'en amusa. Elle connaissait très bien Nicolas. Contrairement à certains, il n'était pas un dragueur professionnel.

Laure porta son attention sur elle. Elle l'invitait à la rejoindre pour danser. La première réaction de Sydney fut de refuser, mais devant l'insistance de Laure, elle se leva et bougea sur le rythme de la chanson. Marie se leva à son tour, suivie d'autres invités.

Quand la chanson se termina, Marie déclara :

  • Bon, les amis. Nous pourrons continuer de danser après, mais il est bientôt vingt-trois heures. Que pensez-vous de manger ?
  • Et de continuer à boire, compléta Laure.
  • Je t'ai réservé une bouteille d'eau pétillante, ma chère Laure.

Laure ne rétorqua pas. Marie la taquinait et elle le savait.

Ils s'installèrent autour de la table tandis que Marie et Sylvie s'éclipsèrent dans la cuisine pour chercher les plats. Lorsque Sylvie revint avec une casserole, Sydney lui demanda :

  • Qu'est-ce que vous nous avez préparé de bon ?
  • Une jambe bien dodue d'un petit garçon. Tu verras avec cette sauce au thym, c'est du divin.
  • Pardon ?
  • Et bien, la jambe d'un garçon. On l'a attrapé ce matin. Ne me dis pas que c'est ta première fois !

Un frisson parcourut la nuque de Sydney. Sylvie blaguait certainement, mais c'était d'un mauvais goût. Elle regarda plus attentivement son amie, et son malaise s'amplifia. Son visage, habituellement si doux, avait changé. Le rouge remplaçait désormais le bleu de ses yeux, et ces derniers dégageaient un sadisme effrayant. Les traits de son visage semblaient, quant à eux, rongés par la malveillance.

  • Tiens, tu as le droit de la manger entière, rajouta Sylvie.

Comme un magicien sortant un lapin de son chapeau, Sylvie sortit une jambe entière de sa casserole avant de la déposer dans l'assiette de Sydney. Cette dernière cria.

  • Syd, tout va bien ?

Entendre Laure la rassura, mais quelques secondes s'écoulèrent avant que Sydney ne revienne complètement à la réalité. Sylvie avait repris son visage naturel. Et ce n'était pas une jambe dans son assiette, mais une cuisse de poulet.

  • Pourquoi tu as crié ? voulut savoir un autre dont elle ne se rappelait plus le prénom.

Confuse, la jeune femme ne savait pas quoi répondre. Elle-même ne comprenait pas très bien ce qui venait de se produire.

  • Je... je suis désolée, dit-elle enfin. Je... J'ai besoin d'aller prendre l'air.

Elle se leva, prit son manteau et sortit de l'appartement. L'air frais de l'automne lui fit du bien. Elle commençait à étouffer dans l'appartement.

  • C'est revenu, n'est-ce pas ?

Sydney n'en attendait pas moins. Laure l'avait suivie, visiblement inquiète pour son amie. Sydney ne souhaitait pas répondre à cette question pour ne pas ancrer dans la réalité ce qu'elle venait de vivre. Pourtant, elle se résolut à admettre une vérité qu'elle ne pouvait pas nier :

  • Je crois, oui. J'ai eu le droit à quinze jours sans.
  • Qu'est-ce que tu as vu ?
  • Une Sylvie démoniaque me servir une jambe d'un enfant au lieu du poulet.
  • Quoi ?! Tu penses sérieusement que...
  • Non, la coupa Sydney. Bien sûr que non. Je pense que cela concerne un tueur d'enfants.

Elle frisonna à nouveau.

  • Je dois trouver un moyen de bloquer ces visions. Je ne veux plus que ça recommence.
  • Comment comptes-tu t'y prendre ?
  • Je ne sais pas. Peut-être que, lorsque ça m'arrive, avec ma volonté je peux les éloigner. Je n'en sais rien. Quelle merde !

Sydney remarqua l'air surpris de Laure. Elle ne parlait pas ainsi souvent, mais la peur de revivre un épisode similaire à celui de l'affaire Marilyne commençait à l'ébranler.

  • Que veux-tu faire ?
  • Je vais rentrer chez moi. On ne serait que la bande, je resterais, mais avec les autres invités...
  • Je comprends. Mais que veux-tu dire aux autres ? Ils vont vouloir une explication après ton cri.

Sydney réfléchit et une option s'imposa à elle. Déplaisante, mais elle apporterait une explication satisfaisante à ses amis.

  • On va leur dire que je suis celle qui a trouvé le corps de Marilyne et que je suis encore sous le choc, ce qui n'est pas tout à fait faux.
  • Tu es sûre ?
  • Cela expliquera pourquoi j'ai crié. C'est un moindre mal.
  • Ton choix. Je vais remonter te chercher ton sac et annoncer aux autres que tu pars.
  • Merci, Laure.

***

Laurianne et Kevin regardaient une série télévisée lorsqu'ils entendirent la porte d'entrée. Surpris, ils se retournèrent pour voir apparaître leur fille.

  • Tu es déjà rentrée ? s'étonna Laurianne. Je croyais que tu dormais chez Marie et Sylvie.
  • Je ne me sentais pas en grande forme. J'ai préféré quitter la soirée plus tôt que prévu. Je monte me coucher. Bonne nuit.

Lorsqu'elle fut certaine que sa fille avait rejoint sa chambre, Laurianne se tourna vers son mari :

  • Il faudrait qu'on lui parle. Je me fais du souci.
  • Attendons, Laurianne. Nous ne sommes pas encore sûrs qu'elle ait eu des visions. Si d'autres éléments pertinents nous apparaissent, nous agirons.

Laurianne souffla.

  • J'ai peur, Kevin. J'ai tellement que notre famille vole en éclats.
  • Tout ira bien. Nous ferons comme nous avons toujours fait. Nous ferons face ensemble.

***

Quand les autres invités partirent, Laure, Nicolas, Sylvie et Marie discutèrent de Sydney.

  • Je n'en reviens pas que Sydney soit celle qui ait découvert le cadavre de Marilyne ! s'exprima Sylvie. La pauvre ! Elle n'a rien montré.
  • C'est vrai que je la sentais perturbée, mais je la croyais juste stressée, dit Marie. J'espère qu'elle ira mieux.
  • Elle ira mieux, rassura Laure. Vous connaissez, Sydney. Ce n'est pas une personne qui se laisse abattre.

Sylvie sentit son téléphone portable vibrer. Elle le sortit de sa poche pour lire le SMS qu'elle venait de recevoir. Chaque mot lui donna envie de vomir.

"J'ai besoin qu'on parle. Rendez-vous demain à 16 heures à notre lieu habituel ! Victoria".

Elle répondit aussitôt.

"Je ne suis pas disponible. Je suis très prise en ce moment."

Un nouveau message arriva moins d'une minute plus tard.

"Ne fais pas ton boudin et ramène tes fesses. Ne joue pas avec mes nerfs ! Tu sais très bien où ça conduit".

  • Sylvie, il y a un problème ? s'inquiéta Marie.
  • Non, juste un relou sur une appli de rencontre.
  • Oh, ne m'en parle pas !

***

Le petit garçon pleurait en silence. Enfermé dans une pièce noire, aucune sortie ne se présentait à lui. A ce stade, sa naïveté et son innocence primaire avaient complètement disparu. Il savait très bien que sa vie prendrait fin dans quelques heures.

Il sursauta. Un bruit venait de l'alerter. Il était de retour. Dans la pièce au-delà de la porte, la lumière revint. Il pouvait l'apercevoir en observant la serrure et le dessous de la porte. Il sentait son coeur tambouriner dans sa poitrine.

Il entendit des bruits de cuisine, puis des odeurs d'herbes et d'épices vinrent effleurer ses narines. En temps normal, ces stimuli réveilleraient son appétit, mais le petit garçon anticipait la suite. L'Ogre ne tarderait pas à venir le chercher, à le tuer, le découper et faire cuire ses membres dans la marmite. Il l'avait vu faire avec l'autre enfant. Il avait entendu ses cris.

Les bruits de pas se rapprochèrent. Poussé par un instinct de survie, le petit garçon se précipita vers le fond de la pièce, espérant qu'un miracle se produise. Son souhait ne fut pas exaucé. La porte s'ouvrit, laissant apparaître la silhouette effrayante de l'Ogre.

  • Viens par là, mon petit Lou !

Il essaya de fuir, mais l'Ogre l'attrapa pour l'amener vers son funeste destin.

L'enfant criait encore lorsque Sydney se réveilla en sueurs.

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