Chapitre 37

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Le vendredi matin, l’humeur de Lisa était à la fête. Les résultats de son test de physique du SAT étaient tombés la veille au soir, et elle avait eu l’heureuse surprise de découvrir sa note de 750/800. Une note inespérée, pour elle qui avait trouvé cet examen relativement complexe... Elle se demandait bien quel score elle obtiendrait à son épreuve de mathématiques, qui lui avait au contraire semblé d’une étonnante facilité... En attendant, il lui tardait de retrouver M. Bates à son cours de huit heures moins le quart, pour lui annoncer la bonne nouvelle.

Hélas, même en arrivant avec dix bonnes minutes d’avance, pour être sûre d’être la première à pouvoir parler à M. Bates, Lisa eut la désagréable surprise de découvrir qu’elle n’était pas la seule à avoir eu cette idée. La porte de la salle était déjà ouverte, et Lisa reconnut la voix de son prof s’adressant à un élève qui l’avait manifestement devancée. Qui cela pouvait-il bien être ?

Lorsqu’elle fit son entrée dans la classe, elle s’aperçut alors qu’Arthur Macmillan était déjà installé à sa table habituelle au premier rang, et discutait joyeusement avec M. Bates, assis en face de lui derrière son bureau.

- Je suis sûr que j’aurais pu avoir plus, si seulement certaines questions avaient été mieux formulées, affirma Arthur. L’une des questions de la partie sur les réactions d’oxydoréduction n’était vraiment pas claire… J’ai préféré ne pas y répondre, plutôt que de risquer d’entourer une réponse fausse en interprétant mal le problème…

Lisa comprit vite que son camarade de classe parlait du test de chimie du SAT qu’il avait passé un mois plus tôt, et dont il avait appris la note la veille au soir. A en juger par ses dires, il n’avait pas obtenu le score maximal, et Lisa s’en réjouissait intérieurement, car elle non plus n’avait pas réussi à faire un sans-faute. Elle se demandait bien quelle note il avait pu avoir…

- 760/800, ce n’est pas si mal que ça, commenta alors M. Bates. Surtout pour un premier essai.

A ces mots, le cœur de Lisa se glaça. 760/800 ? C’était dix points de plus que ce qu’elle avait obtenu à son épreuve de physique ! Elle qui s’était fait une joie d’annoncer sa note à M. Bates, pensant avoir réalisé un exploit... Elle constatait avec frustration qu’elle s’était une nouvelle fois fait battre par Arthur. Pire encore : ce petit génie était venu exprès en avance en cours de maths pour se vanter de sa note devant M. Bates ! Il volait ainsi la vedette à Lisa, qui avait eu la même idée que lui mais qui comprenait désormais que sa note de 750/600 n’avait plus rien d’exceptionnel.

Bouillonnant de rage, la jeune fille serra les poings et s’approcha de sa table pour s’y installer. Elle y posa son sac à bandoulière avec plus de violence qu’elle ne l’aurait voulu, et ce fut seulement à cet instant que M. Bates remarqua sa présence.

- Ah, bonjour Lisa ! s’exclama l’enseignant. Toi aussi, tu es très matinale, aujourd’hui !

- Oui, je… je me suis réveillée plus tôt que d’habitude..., expliqua Lisa, complétant dans sa tête : « ... pensant pouvoir arriver la première et vous parler en privé… ».

Arthur ne prit même pas la peine de la saluer et continua son monologue :

- J’espère avoir une note encore plus élevée à mon test de maths du SAT. L’épreuve de samedi dernier était d’une facilité déconcertante ! Honnêtement, je ne m’attendais pas à des questions aussi triviales...

Lisa leva les yeux au ciel. Certes, elle aussi avait trouvé cet examen particulièrement facile, mais jamais elle n’aurait eu la prétention de tenir des propos aussi vaniteux devant son prof de maths. Sans prononcer le moindre mot, elle s’assit à sa place et déballa ses affaires, tout en essayant de contenir sa colère. Ce qui l’énervait au plus haut point, c’était de voir Arthur aussi confiant, et de se dire qu’il l’avait peut-être aussi battue à cette épreuve… Si jamais c’était le cas, elle se demandait si cela valait vraiment le coup de présenter sa candidature au MIT...

- Effectivement, j’ai pu jeter un coup d’œil au QCM de maths de samedi dernier, et cela m’a paru tout à fait abordable, confirma M. Bates. Comparé aux exercices que j’ai pu vous donner durant l’année, c’était vraiment du gâteau !

- Oui, c’est à se demander s’il s’agissait bien du test de maths de niveau 2 ! lança Arthur.

- C’est exactement ce que je me suis dit ! acquiesça M. Bates en riant.

Lisa l’observa d’un air attristé. Autant elle adorait le voir rire, autant elle préférait quand c’était elle qui le faisait rire. Arthur la rendait maintenant verte de jalousie. Non seulement il avait fait un meilleur score qu’elle au SAT, mais en plus il se permettait de monopoliser l’attention de son prof de maths. Celui-ci ne paraissait en effet ne s’occuper que du binoclard : il continuait de ne s’adresser qu’à lui, et n’avait même pas cherché à savoir quelle note Lisa avait eue à son propre test du SAT. C’était comme s’il avait oublié sa présence… Se sentant délaissée, la jeune fille éprouva pour la première fois de sa vie une once d’amertume à l’égard de celui qu’elle aimait tant.

- Dommage que les résultats de cette épreuve ne tombent pas avant les grandes vacances, déclara Arthur. J’aurais été ravi de vous faire savoir ma note !

Lisa écarquilla alors les yeux en comprenant la gravité de ce que son camarade venait de dire. Il ne restait effectivement plus que dix jours avant la fin des cours, et aucun de ses prochains résultats d’examens ne serait publié d’ici là ! A cause d’Arthur Macmillan, elle venait de rater l’unique occasion qu’elle aurait de communiquer sa note à M. Bates. Le regard qu’elle porta à ce petit génie arrogant était plein de rancune. Une rancune à laquelle se mêlait désormais l’angoisse d’être bientôt séparée de M. Bates pendant plus de deux mois...


A la sortie de son dernier cours de la matinée, Lisa se dirigea comme à son habitude vers son casier pour aller y chercher sa lunch box et y déposer ses affaires. Elle s’arrêta cependant à mi-chemin, interpellée par la vue de Will qui semblait étrangement occupé à gratter le côté intérieur de la porte de son casier pour en retirer un sticker. En s’approchant de lui, elle s’aperçut alors qu’il s’agissait ni plus ni moins que du logo des Screaming Donuts.

- Tiens, toi aussi tu avais mis cet autocollant dans ton casier ? s’exclama-t-elle à l’adresse du garçon, en guise de salut. C’est marrant, j’avais collé le mien exactement au même endroit !

- Ça ne m’étonne pas, répondit Will en se tournant vers Lisa et en lui souriant à demi. J’imagine que tu l’as enlevé, toi aussi ?

- Bien obligée. Après m’être fait virer du groupe, je n’allais tout de même pas le garder ! Mais toi, alors ? Pourquoi est-ce que tu l’arraches ? Ah ! Je suppose que tu dois commencer à nettoyer ton casier pour pouvoir le libérer avant ton départ du lycée ? 

- Pas vraiment, non…, soupira Will en baissant la tête. Personne ne t’a rien dit ?

- Dit quoi ?

- Je pensais que tu étais au courant… Les rumeurs circulent plutôt vite, dans ce lycée…

- Désolée, je ne prête pas vraiment attention aux rumeurs… Qu’est-ce que j’ai raté ?

- Disons pour faire court que tu n’es maintenant plus la seule à t’être fait bannir des Screaming Donuts… J’ai été viré du groupe, moi aussi.

- Quoi ? se récria Lisa. Toi ? Viré du groupe ? Mais… Mais pourquoi ? Votre dernier concert s’est si mal passé que ça ?

- Non, ce n’est pas à cause du concert…

- Pourquoi, alors ?

- James n’a pas supporté de me voir me rapprocher de sa copine, Jennifer. Il m’a accusé de chercher à la draguer lors des répétitions, et a réussi à convaincre les deux autres qu’ils pouvaient très bien se passer de moi…

Lisa en croyait à peine ses oreilles. Will, qui était pourtant le batteur le plus doué qu’elle ait jamais connu, avait lui aussi fini par se faire virer des Screaming Donuts ? C’était à n’y rien comprendre ! James voulait-il faire couler le groupe en renvoyant ses meilleurs éléments ? D’un autre côté, sa réaction était légitime, s’il était vrai que Will avait essayé de faire du charme à sa copine... Cela n’aurait pas été si surprenant, après tout. Will était un véritable don Juan, et Lisa avait souvent remarqué la façon dont il braquait son regard sur le décolleté plongeant de Jennifer. James avait sans doute fini par s’en rendre compte, lui aussi…

- Si seulement James n’avait pas pris la mauvaise habitude d’inviter sans arrêt sa copine aux répétitions, ce ne serait peut-être pas arrivé, fit remarquer Lisa en haussant les épaules.

- Le problème, c’est qu’à la fin, Jennifer n’était plus considérée comme une simple spectatrice, mais comme une membre du groupe à part entière, révéla Will. James l’a finalement recrutée pour qu’elle accompagne Steve au chant.

- Quoi ? s’offusqua Lisa. Une chanteuse dans un groupe de punk rock ?

- Ça existe. Tu connais Nina Hagen ?

- Jamais entendu parler...

- C’est une chanteuse allemande qui a commencé sa carrière dans le punk... Elle chante d’une voix assez rauque, ce qui s’accorde plutôt bien avec le style.

- Et Jennifer chante elle aussi d’une voix rauque ? questionna Lisa d’un air dubitatif.

- C’est là que ça coince, admit Will. Jennifer a une voix plutôt aiguë et mélodieuse, qui ne correspond pas du tout au chant guttural de Steve... Le mélange des deux donne un résultat très bizarre... 

- J’imagine...

- Au final, je ne suis pas mécontent de quitter le groupe, car ça commençait à devenir vraiment n’importe quoi... 

- De toute façon, tu n’allais pas rester éternellement, étant donné que tu quittes le lycée dans une semaine...

- C’est justement ce que j’ai fait remarquer à James, précisa Will. A croire qu’il ne pouvait pas supporter ma présence une semaine de plus...

- Je suppose qu’il t’a déjà trouvé un remplaçant ?

- Probablement... Un de ses meilleurs potes, je parie...

- Je me demande si le groupe tiendra encore longtemps, à ce rythme-là...

- Bof, fit Will en haussant les épaules. Maintenant, ce n’est plus mon problème. Il faut savoir tourner la page et passer à autre chose.

- Tu as raison. J’espère que tu arriveras à retrouver un groupe de rock plus sérieux, à Virginia Tech...

- J’espère surtout que j’arriverai à me retrouver une copine ! lança Will en riant.

A ces mots, Lisa leva les yeux au ciel, mais ne put s’empêcher de rire à son tour. Will était vraiment incorrigible !


Après avoir pris congé de son ami, Lisa continua sa route jusqu’à son propre casier, sans se douter qu’une autre surprise l’y attendait. En effet, quel ne fut pas son étonnement lorsqu’elle constata qu’un post-it jaune avait été collé sur la porte métallique de son coffre, avec ces quelques mots écrits dessus : « Bon courage pour ton exam de demain ! Je crois en toi ».

Eberluée, Lisa cligna des yeux plusieurs fois, comme si elle avait du mal à croire ce qu’elle lisait. Elle finit par décoller le bout de papier pour le retourner, mais elle ne vit aucune signature au dos. Le message était anonyme. Qui donc avait bien pu écrire cela ?

La première personne qui lui vint à l’esprit fut Harold Bates. Pourquoi ? Parce qu’elle pensait à lui à longueur de journée, bien sûr ! Et parce qu’elle aurait rêvé de recevoir de sa part un petit mot d’encouragement pour son test de l’ACT du lendemain – en particulier après la déception qu’elle avait eue le matin même, en le voyant se désintéresser complètement d’elle. Cette délicate attention aurait été une merveilleuse idée pour lui de se faire pardonner. Sauf qu’elle connaissait son écriture par cœur, et que celle-ci ne correspondait pas du tout à celle qu’elle avait sous les yeux. Sur ce post-it, les points sur les i avaient la forme de petits cercles, tandis que ceux de M. Bates étaient des points légèrement allongés, qui ressemblaient presque à des accents graves.

Plus elle analysait cette écriture mystérieuse, plus elle lui semblait être une écriture féminine. Mais à qui pouvait-elle appartenir ? Lisa n’avait que très peu d’amies filles... A vrai dire, elle ne voyait qu’Astrid, Alison et Lindsey... Et, parmi elles, seule Astrid était au courant qu’elle passait l’ACT, puisqu’elle aussi passait cet examen le même jour. Mais l’écriture d’Astrid était cursive et italique, et n’avait rien à voir avec ces lettres droites et détachées les unes des autres...

Après plusieurs secondes de réflexion intense, Lisa en vint finalement à se demander si l’auteure de ce message ne s’était tout simplement pas trompée de casier. C’était fort possible, étant donné que tous les casiers se ressemblaient, vus de l’extérieur. Peut-être ce message était-il destiné à quelqu’un d’autre qu’elle, dont le casier se situait juste à côté du sien ? Peut-être était-il pour Ashley Westbrook ? Non. Lisa se souvenait que, deux jours auparavant, sa voisine de casier lui avait dit ne s’être encore inscrite à aucun test. Il y avait donc peu de chances qu’elle en passe un le lendemain...

Ce fut alors que Lisa se rappela avoir confié à Ashley qu’elle participait à l’épreuve de l’ACT du samedi 10 juin. Se pouvait-il que la jeune fille s’en soit souvenue et soit à l’origine de ce bout de papier ? Plus Lisa y réfléchissait, plus elle se disait que ça ne pouvait être qu’elle ! Tout concordait, jusqu’aux derniers mots sur ce post-it : « Je crois en toi ». Cette phrase faisait directement référence à ce que Lisa lui avait dit, au sujet de l’importance qu’il fallait accorder aux personnes qui nous encourageaient et qui croyaient en nous.

Jamais Lisa ne se serait attendue à recevoir de tels encouragements de la part d’Ashley ! Pas sous cette forme, en tout cas. Elle qui ne la croisait qu’occasionnellement devant les casiers durant les intercours, et qui n’avait réellement pu échanger avec elle que lors de ses trois séances de soutien en maths... Elle était agréablement surprise d’avoir été l’objet d’une attention si particulière. Souriant d’un air béat, Lisa plia le post-it en quatre et le rangea précieusement dans la poche de son jean. Ce petit morceau de papier, aussi insignifiant qu’il pût paraître, lui avait redonné du baume au cœur. Lisa se sentait moins seule, désormais. Elle se savait soutenue. Quelqu’un d’autre croyait en elle ! Heureusement que de telles personnes existaient sur terre.


Le lendemain matin, Lisa eut droit à un petit déjeuner gargantuesque. Sa mère avait préparé pour elle une montagne de pancakes, des œufs brouillés au bacon, des tartines de beurre de cacahuètes et une carafe pleine de jus d’oranges fraîchement pressées.

- Il faut que tu prennes des forces avant ton épreuve de quatre heures ! expliqua Amanda en accueillant sa fille dans la cuisine avec un large sourire.

- Avec tout ça, je vais surtout prendre des kilos..., commenta Lisa en se frottant les yeux pour essayer de se réveiller – il n’était que six heures, et elle se demandait à quelle heure sa mère avait dû se lever pour cuisiner tous ces plats.

- Je ne voudrais pas que tu fasses une hypoglycémie ou que tu tombes d’inanition en plein milieu de l’épreuve ! C’est long, quatre heures...

- Je risque plutôt de m’endormir, si je mange trop..., dit Lisa, qui s’assit malgré tout à la table de la cuisine et commença à se servir en pancakes.

Elle était tellement gourmande qu’elle ne put s’empêcher de recouvrir ses crêpes d’une poignée de fraises du jardin et d’une généreuse dose de sirop d’érable. De quoi lui donner le plein d’énergie et de bonne humeur pour attaquer sereinement son dernier test standardisé de l’année scolaire.

A huit heures moins le quart, cependant, Lisa Thompson paraissait tout sauf sereine. Assise derrière la petite table qui portait son nom dans la salle d’examen n°2, elle ne cessait de se ronger les ongles en jetant des regards inquiets à chaque nouvel arrivant. La classe se remplissait petit à petit. Lisa, qui était arrivée la première, avait déjà installé sur sa table ses outils de travail : cinq crayons à papier, une gomme, sa calculatrice et deux piles de secours. Elle avait préféré ne pas prendre de taille-crayon et apporter à la place tout son stock de crayons gris, ce qui lui permettrait d’en changer dès qu’une mine serait usée, plutôt que de perdre son temps à la tailler. Avec Lisa, tout se jouait à la fraction de seconde près. Mais après tout, n’était-ce pas une épreuve chronométrée ? Tous les moyens étaient bons pour essayer de gagner des points.

Astrid Lorensen fit bientôt son entrée dans la salle. En ce jour d’examen, elle avait revêtu un t-shirt particulièrement geek, sur lequel était écrite une équation invraisemblable : « 2 + 2 = 5 », suivie des mots explicatifs : « Pour de très grandes valeurs de 2 ». Lisa connaissait ce t-shirt pour l’avoir vu plusieurs fois sur les épaules d’Astrid. La blonde le portait à chacun de ses examens de maths, afin de déstabiliser ses adversaires et d’avoir plus de chances de les battre dans cette matière qui, à l’origine, n’était pas son fort. Aujourd’hui, le test de l’ACT comportait soixante questions de mathématiques, auxquelles les élèves devaient répondre en une heure seulement. Lisa n’était donc pas surprise de voir sa camarade habillée de la sorte. Elle aussi cherchait à grappiller des points par tous les moyens.

Par un heureux hasard, la table d’Astrid se trouvait juste à droite de celle de Lisa. Lorsque les deux amies se saluèrent, elles s’échangèrent un sourire qu’elles tentèrent de rendre naturel, mais qui ressembla inexorablement à un rictus, tant elles étaient stressées.

- Salut Lisa, dit Astrid en s’asseyant à sa place. Comment tu vas ?

- Disons que j’irai beaucoup mieux dans quatre heures...

- Et moi aussi ! D’ailleurs, ça te dit d’aller manger un morceau avec Kevin et moi à la fin de l’épreuve ? On a prévu de se retrouver au Mollie’s Diner pour midi et demi.

- Si d’ici là j’arrive à digérer tout ce que j’ai mangé au petit déjeuner, oui, pourquoi pas... 

- Super ! Comme ça, on pourra fêter la fin des examens autour d’un grand bol d’onions rings !

- Ou, si jamais on foire notre test, on pourra toujours noyer notre chagrin dans un grand verre de milkshake, compléta Lisa, qui se laissa entraîner par son côté pessimiste.

- Dans tous les cas, j’ai hâte que cette épreuve se termine. J’ai passé toute la soirée d’hier à réviser, je n’ai même pas pris le temps de dîner, et je ne me suis pas couchée avant deux heures du matin !

- Waouh ! Tu ne dois pas être très fraîche... 

- Heureusement, j’ai prévu de quoi tenir jusqu’à midi, expliqua la blonde en montrant à sa camarade l’ensemble des victuailles qu’elle avait étalées sur sa table.

Lisa écarquilla les yeux d’étonnement quand elle vit toutes les provisions que sa camarade avait apportées : bananes, pêches, cerises, barres de céréales et boissons énergisantes... Il y en avait tellement que M. Johnson, le prof de sciences sociales qui surveillait l’épreuve, finit par remarquer la table particulièrement encombrée de son élève, et s’approcha d’elle pour lui dire :

- Vous savez qu’il est interdit de manger dans la salle d’examen ?

- Quoi ? s’offusqua Astrid. Mais je n’ai même pas pris de petit déjeuner ! Comment voulez-vous que je survive jusqu’à la fin de l’épreuve si je ne peux pas manger ?

- Vous aurez une pause de dix minutes, après le test de maths...

- Ah, ouf ! J’ai bien cru que j’avais apporté tout ça pour rien...


A huit heures précises, M. Johnson referma la porte de la salle d’examen et distribua à chaque élève une fiche de renseignements à remplir. Lorsque tous les candidats eurent complété ce document, l’enseignant repassa dans les rangs pour le récupérer et le remplacer par la copie retournée du QCM de l’ACT. Lisa frétillait d’impatience sur sa chaise. Elle regardait fixement le verso blanc de son QCM pour essayer de déchiffrer à travers le papier les questions imprimées au recto, mais en vain. Une fois que M. Johnson se fut assis derrière son bureau, il détacha sa montre de son poignet et la posa devant lui en attendant la demi. Quelques instants plus tard, il déclara alors :

- Vous pouvez commencer !

A ces mots, Lisa sentit monter en elle une violente poussée d’adrénaline et retourna sans plus tarder la copie de son test. La première partie était consacrée à l’anglais. Soixante-quinze questions de grammaire, de syntaxe et de rhétorique, auxquelles Lisa devait répondre en trois quarts d’heure. Une simple formalité, pour elle qui maniait la langue anglaise aussi bien qu’elle résolvait des équations.

A neuf heures et quart, top chrono, les élèves durent passer à la partie des mathématiques. Les questions de ce test se révélèrent encore plus faciles que celles du SAT de maths de niveau 2, ce que Lisa n’aurait jamais cru possible. Elle se demandait ce que M. Bates penserait de ce test lorsqu’il le verrait. Il serait sans doute déconcerté par ces questions aussi triviales, et relirait à deux fois l’intitulé du QCM pour vérifier s’il s’agissait bien de l’ACT.

A la pause de dix heures et quart, tous les candidats sortirent dans le couloir pour se dégourdir les jambes et manger un morceau. Lisa, elle, préféra éviter la compagnie des autres, de peur d’entendre des propos qui lui feraient tomber le moral à zéro. Elle s’enfuit rapidement dans un des corridors d’à côté, et n’eut le temps que d’entendre le commentaire d’un élève qui s’exclamait joyeusement : « J’ai entouré toutes mes réponses au hasard ! Vous croyez que je peux avoir la moyenne ? ».

Les pas de Lisa l’entraînèrent instinctivement vers le couloir où se trouvait la salle de cours de M. Bates. Les lieux étaient déserts et la porte de la classe était fermée. Lisa s’arrêta devant et observa la poignée d’un air alangui. Cette poignée noire sur laquelle M. Bates posait sa main tous les jours... Lisa l’effleura de ses doigts en imaginant qu’elle retrouvait ainsi le contact indirect de la paume de M. Bates. Jamais elle n’avait eu le plaisir de le toucher, et elle se demandait si elle aurait droit à ce bonheur, un jour... Rien que de pouvoir lui serrer la main, et elle serait déjà aux anges...

- Tu t’es perdue ? demanda alors une voix féminine à l’autre bout du couloir.

Lisa sursauta brusquement en arrière et se retourna pour voir qui lui adressait la parole. Astrid se tenait devant elle, une canette de Red Bull à la main. Prise en flagrant délit, Lisa sentit son visage s’empourprer, et elle se mit à bégayer bêtement :

- Ah, euh... Oui, il semblerait... Ce... Ce n’est pas la porte de notre salle d’examen ?

- Elle est là-bas, notre salle d’examen, répondit Astrid en indiquant d’un mouvement de tête le couloir derrière elle. Lisa, tu es sûre que ça va ? Ce test a l’air de t’avoir complètement chamboulée...

- Euuuh... Oui, c’est vrai que je n’ai plus toute ma tête..., admit Lisa en se massant la nuque pour montrer son embarras. Je ne suis pas habituée à passer des épreuves aussi longues...

- Tu ne nous ferais pas une crise d’hypoglycémie, par hasard ? Tu veux une barre granola ?

- N... Non merci... Je n’ai toujours pas faim... 

- Bon. Il va être l’heure d’y retourner, de toute façon. Tu me suis ?

Astrid fit demi-tour pour se diriger vers la salle d’examen n°2 et Lisa lui emboîta le pas en essayant de calmer les battements de son cœur. Cette fois, elle avait bien failli trahir son secret. Si elle ne faisait pas preuve d’un peu plus de discrétion, elle finirait pas y laisser des plumes...


Quatre heures... Cela paraissait une éternité, et pourtant... Pour Lisa, ces quatre heures de l’épreuve de l’ACT passèrent comme un éclair. Elle qui parfois en cours trouvait le temps long... Elle découvrait aujourd’hui que la meilleure manière de faire passer le temps plus vite était de se plonger dans un QCM de l’ACT ! Du moins pour les élèves qui, comme elle, savaient comment répondre aux questions et ne manquaient pas d’inspiration pour écrire leur dissertation. Lorsque la cloche sonna à midi pour marquer la fin de l’examen, Lisa acheva en vitesse la dernière phrase de sa conclusion.

- Posez vos crayons sur les tables, c’est terminé ! s’exclama M. Johnson à l’adresse des quelques candidats qui étaient restés pour participer à l’épreuve de rédaction.

Lisa mit le point final à son essai, lâcha son crayon à papier et s’écroula contre le dossier de sa chaise en poussant un soupir d’épuisement.

- Ouf ! lança-t-elle en se tournant vers Astrid, qui elle aussi semblait exténuée. Voilà une bonne chose de faite !

La blonde, qui était d’ordinaire très pale, avait les joues rouge écarlate et paraissait aussi essoufflée que si elle avait couru un cent mètres haies. Des gouttes de sueur perlaient sur son front, et elle finit par sortir une serviette-éponge de son sac pour s’essuyer le visage.

- On ne pourra pas dire que je ne me serai pas donnée à fond pour cette épreuve ! lança-t-elle d’une voix éteinte. J’espère au moins que je n’aurai pas à la repasser !

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