03:02

8 minutes de lecture

 La majeur partie de la troupe avait posé pied à terre au niveau des écuries de l’armée royale à l’entrée de la cité. Un vaste enclos recouvert de paille fraiche et sèche avait été réservé pour les montures des soldats zakusiniens. Les hommes commençaient à entretenir leur cheval par un brossage du crain en règle. La troupe des Terres du Sud mandatée en mission diplomatique était composée de quinze chevaux et cinq mules. Les cavaliers alvinois envoyés à leur rencontre pour guider leurs futurs alliés parmi les montagnes escarpées des Terres de Pierre, étaient au nombre de vingt. Leurs chevaux étaient mis à l’abris confortablement dans des alcôves en bois de cèdre massif orné de sculptures de chevaux légendaires.

Seuls Sibahati et deux de ses plus fidèles compagnons, encadrés par Sotchi et quatre de ses compères guerriers, étaient restés en selle et trottaient sur l’artère principale de la ville. D’un signe de la main, Sotchi enjoignit l’arrêt devant la plus grande bâtisse du centre-bourg. C’était un chalet sur quatre niveaux épousant le flanc de la montagne. Seule la façade en rondins de cèdre millénaire ressortait d’une dizaine de pas de la roche. Le bâtiment semblait avoir été emprisonné dans le minéral. Deux énormes évacuations de cheminées circulaires creusées à même la pierre au-dessus du chalet dégueulaient une fumée blanche épaisse. Juste en dessous était suspendue avec deux lourdes chaines l’enseigne de l’auberge, sur laquelle était gravée et peinte en bleu ; « L’Auberge des Cimes ». Le rez-de-chaussée était réservé à la grande salle de vie, de restauration et d’abreuvage, accompagnée des cuisines et des latrines. En devanture, une longue et fine poutre reposant sur plusieurs rochers faisait office de point d’attache pour le parcage des montures. Les niveaux supérieurs accueillaient une trentaine de chambres plus ou moins convenables. Chaque chambre possédait sa fenêtre et son petit tube d’évacuation des fumées de chauffage perçant la façade. D’un mouvement en arc de la main, Sotchi fit contempler l’Auberge des Cimes à ses invités.

« Voici votre demeure pour cette nuit.

— Comment cela ? interpella Sibahati. Ne serais-je pas présenté à la reine mère et au prince ce soir ? Ne les prévenez-vous pas de notre arrivée ? Ne dois-je pas leur présenter mes respects tout de suite ?

— Ne vous inquiétez pas, ils sont au courant de votre arrivée. Et croyez-moi, vous me remercierez grandement de vous avoir installé ici pour la nuit et surement pour toutes celles à venir.

— Mais mon rang ne m’oblige-t-il pas à loger au château ? Et non pas dans un bouge où le tout-venant cohabite.

Sotchi se départit d’un rire gras et volubile, provoquant l’hilarité de ses compagnons. Un masque de vexation grima le visage de Sibahati.

« Mon prince, loin de moi de manquer de respect à votre royale stature, mais je vous garantis que vous serez de loin plus confortablement installé dans la plus prestigieuse auberge de notre cité qu’entre les murs froids et sinistres du château.

— Et pourquoi cela ? Une personne de mon rang se doit d’être là où mes égaux résident.

— Permettez que nous rentrions se réchauffer, boire et se restaurer.

Sibahati se pinça les lèvres et descendit de cheval.

« Je vous en prie, faite.

Tous le monde mis pied à terre. Sotchi ouvrit la lourde porte en bois massif pour laisser entrer en premier le prince des Terres du Sud. Une sensation de chaleur, de bien-être, de cocon protecteur l’envahit. Les odeurs de cochon rôti à la broche, des terrines de gibier, du houblon, du pain brulant, le son des conversations animées à gorge déployée, des rires épais et perçants, des champs des ménestrels, des annonces fortes entre les serveurs, la vue reposante et réconfortante du brasier brulant dans les deux immenses âtres de part et d’autre de la salle bardée de bois luisant à leur lumière, des corps noueux de muscles aux barbes épaisses des hommes attablés, des dames voluptueuses au service de chopes de bières débordantes de mousse, du gras de cochon ruisselant sur l’animal tournant au tour de la broche, arrosant un plat en fonte tapissé de pommes de terres dorées, pour finir en crépitant dans les flammes nerveuses des cœurs de l’auberge, consolèrent instantanément les sens engourdit par le froid et le long voyage de Sibahati. Il était envahi de chaleur physique et spirituelle. Un large sourire ébahi se dessina naturellement sur son visage.

« Le bouge est-il à votre convenance, mon prince ?

Sibahati s’avoua intérieurement qu’il se sentait merveilleusement bien dans cet environnement, mais il se reprit pour ne pas perdre la face. « Pas trop mal ! je vous en dirais plus quand nous aurons vu nos chambres. »

Sotchi présenta une longue table encadré de deux bancs inoccupés. La petite troupe s’y assit s’en se faire prier. Gortssi, le bras droit du guerrier à la cape d’ours, héla une serveuse.

« Souriss, des bières, du pain chaud, et du lard rôti pour tout le monde ! Et faite attention, vous servez une royale personne étrangère ce soir et l’ami de Forcîme.

Sibahati se couvrait le front et les yeux de sa main, gêné par l’annonce du guerrier.

La jeune femme enjouée s’esclaffa : « Et ce sera sur la note de … ?

— Du Cardinal ! exultèrent à l’unisson les hommes des cimes.

Souriss apporta les victuailles en glissant les gamelles à la volée à chacun des convives avec une dextérité impressionnante. Soriol, le plus petit des acolytes de Sotchi, le crâne déserté de tout cheveu, agrippa la cuisse de Souriss et caressa le flanc de sa main.

« Oh ma Souriss ! que tu es douce !

Sibahati choqué d’un tel comportement envers cette femme commença à se redresser sur le banc pour corriger l’affront. Souriss agrippa le pouce imposant, tellement épais que la main et les doigts de la jeune femme n’arrivaient pas en faire le tour. Elle le fit pivoter vers le bas, dans un sens non naturel à l’articulation du membre. La douleur fut instantanée et Soriol se plia en deux, la tête plaquée contre la table. Il tapa de sa main libre à la surface de la table pour implorer la libération de son pouce tordu.

« Bah les pattes l’ourson ! Va plutôt quémander de la douceur à ta rombière male léchée, invectiva Souriss.

Sibahati écarquillait les yeux et rougit, embarrassé. Cette fille n’avait nullement besoin de son aide.

« Mon prince, j’ai insisté pour que vous preniez pied-à-terre ici, car vous ne trouverez nul par dans la cité plus confortable endroit pour dormir. Les chambres des hôtes du château sont froides, envahies de courant d’air et humides, indiqua Sotchi.

— Même les nobles résidents du palais n’y passent pas toutes leurs nuits. Beaucoup accapare des chambres dans les auberges de la cité, et des plus modestes que celle-ci, continua Gortssi.

— Même le jeune prince des alvins découche de sa luxueuse chambre royale pour celle d’une auberge du fin fond du bourg.

— Oui, mais pour d’autres raisons que la chaleur de la cheminée et des couvertures, s’esclaffa Soriol.

— Ah mais si, coupa Gortssi, mais c’est pour retrouver la chaleur d’un joli corps masculin.

La tablée fut prise d’un rire collectif excluant Sibahati ne comprenant pas tout de suite les affaires de mœurs du royaume.

« Ah, laissez le tranquille. Il fait bien ce qu’il veut de son corps et il couche avec qui il veut, dit Sotchi.

— A moins qu’il découche pour ne pas subir les ébats bruyants et tumultueux de sa mère avec ce chaste cardinal ! surenchérit Soriol qu’il conclut d’un rire gras emportant avec lui la tablée.

N’en pouvant plus d’entendre ses railleries et commérages pauvres d’intérêt et parce qu’il était vraiment fatigué physiquement, Sibahati se leva.

« Veuillez m’excuser, mais ce voyage a été exténuant. Pour des gens des plaines désertiques du Sud ou les sommets les plus hauts sont les dunes et les carrières de Kubwa, cette escapade n’est pas commune pour nous.

Les deux gardes qui l’accompagnaient se levèrent derechef. Ils allaient prendre la garde à tour de rôle pendant la nuit devant la porte de la chambre du prince. Pour eux le repos serait relatif.

Sotchi et ses compagnons se levèrent à leur tour par respect et politesse.

« Mon prince, nous vous accueillerons demain matin après votre petit déjeuner et vous escorterons pour votre présentation officielle à la cour. Profitez bien du repos et du confort de votre lit. Et s’il vous reste quelques forces et envies, n’hésiter pas à demander à Souriss. Elle vous procura tout ce dont vous avez envi, quel que soit vos accointances. Tout est pris en charge par le royaume.

— Je vous remercie, mais je crois bien que le contact de ma couche m’emportera tout de suite dans mes songes nocturnes.

Les guerriers du froid se rassirent car leur soirée de beuverie était loin d’être terminée. Souriss s’approcha et s’en aucune barrière dû au rang princier de Sibahati lui pris le bras et le dirigea vers l’escalier.

« Je vous accompagne jusqu’à votre chambre, la plus confortable et sécurisée de l’auberge.

— Je vous remercie Souriss.

Il dut s’avouer que s’il lui était resté quelques forces, il aurait bien partagé quelques plaisirs charnelles avec cette jeune femme. Mais de plus, il n’était pas du genre à s’offrir des services sexuels et Souriss non-plus d’ailleurs. La seule fois où il a pratiqué l’acte avec une professionnelle du sexe, c’était sa première fois, son dépucelage commandité par son père, pour faire de lui un homme… A cette pensée, son grand-père lui manquait grandement. Mais avec du repos, il ne se refuserait pas de faire la cour à la jeune femme. Le fait de penser à son père découvrant que son fils s’amourachait d’une femme blanche et sans grade, l’excitait un peu.

« Vous êtes très beau mon prince.

Cette remarque inattendue l’extirpa de sa pensée malsaine. La surprise le fit bégayée, tout en montant les marches les menant à l’étage.

« Je vous remercie Souriss.

Il était sous le charme de cette jeune femme naturelle aux cheveux d’argent, énergique, aux courbes voluptueuses, au caractère affirmé. Cette subjugation le coupa de toute convention.

« Je vous en prie, appelez-moi Sibahati.

— Vous êtes le premier noir à venir jusqu’ici depuis le vieux Astiross. On dit qu’il est arrivé dans nos contrés il y a plus de cent Lunes Uniques.

— Il est toujours vivant ?

— Oui, c’est un des plus fidèles conseillés occultes de la reine. Très peu de personnes l’ont vu, et savent à quoi il ressemble… Existe-t-il vraiment ?... Bref, par ici s’il vous plait.

Ils accédèrent au dernier niveau. Souriss ouvrit la porte de la chambre au bout du couloir se terminant par un vestibule et un hall. Seule chambre possédant cette annexe. A la vue du matelas épais et souple garnit de laine de mouton effilochée, et des couvertures de peau de mouton des montagnes à laine de l’épaisseur d’une main ouverte, un frisson de plaisir et une envie pressante d’aller se coucher et s’enfouir sous les fourrures accueillantes et chauffantes, parcouru tout son corps. Une chaleur agréable émanait d’un poêle installé sous la fenêtre au verre épais. Avant de prendre congé de la jeune hôtesse, il lui demanda : « Aurais-je le plaisir de vous revoir ?

— Oui bien sûr Sibahati. Demain, pour le service de votre petit-déjeuner.

Cela allait de soit même si ce n’était pas vraiment le sens de sa question. Il souhaitait la revoir dans un cadre plus intime. Il se tut et s’y attèlerait plus tard. Des choses plus importantes (aux yeux de son père et du royaume de Zakusini) l’attendaient.

« Bonne nuit, prince Sibahati. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Mikl Bd ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0