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     Le diner du grand couronnement vint la nuit venue. Un petit croissant de Lillma la petite se détachait furtivement derrière le large disque de Storma la grande. Etaient conviés dans la salle à manger d’apparat ; les deux familles héritières du trône, le juge premier dépositaire du royaume, le grand administrateur de Zakusini, le ministre de l’armée du royaume et Salmor Kalbor le sorcier de Kubwa. Autant dire que la soirée allait être lugubre entre les frères dans la force de l’âge et ses vieux politiques austères. Les enfants des deux familles étaient épargnés par cette soirée, laissés aux soins de leurs nounous respectives. Ce repas suivait à nouveau un protocole très strict. Le commandeur de la Garde royale ouvrait la grande porte de bois sculpté de la salle de réception sur le rythme lent du tamtam joué par un membre de la Garde. Le premier juge pénétrait en tête, Zaman Ani était un vieux monsieur hors d’âge où la profondeur des rides du visage disparaissait sous des plis de peau victimes depuis de longues années de la gravité. La graisse inexistante de son corps rabougris laissait jaillir la proéminence de ses extrémités osseuses. Ainsi ses pommettes et ses arcades saillaient sur sa face creusée. Il portait sous le bras un épais parchemin roulé, retenu par une bande de cuire nouée et sellée par un cachet de cire. Il était suivi par le grand administrateur de la Cité, Meyan Mijian et le ministre de l’armée Jeshian Jeshi. Puis d’une posture triomphante Jiwé entra accompagné de son épouse Almasi, suivi par Falmé et Malkia. Salmor Kalbor fermait la petite procession derrière lequel le commandeur de la Garde barricada la lourde porte. Les deux politiciens demeurèrent debout à la tête de la grande table de marbre noire. Jiwé et Almasi s’installèrent à droite de celle-ci, tandis que Falmé et Malkia s’assirent à gauche. Le sorcier vint se poster derrière les hommes debout. Le grand fauteuil en bout de la tablée resta vide. Falmé désabusé par cette situation précipitée ne put regarder son frère. Il fixait la coupe vide en or ornée de minuscules jades des sables, posée entre eux deux sur la table. Jiwé très excité par les événements qui s’enchainaient, se frottait les mains. Il fixait l’ancêtre Zaman avec des yeux étincelant attendant la lecture du couronnement testamentaire. Une servante apporta une grande jarre de vin et la déposa à côté de la coupe. Salmor tapa trois fois de son sceptre les tommettes roses du sol de la salle à manger.

« Que les dieux du Sud bénissent le sang du roi !

Zaman décacheta le parchemin et déroula le document et le tendit face à ses yeux fatigués.

— Ces mots divins sont de la main de notre aimé roi Zaïdi Kubwa de la dynastie des Kubwa, proclama Zaman.

Une certaine tension planait dans la pièce. Jiwé avait un peu perdu de sa superbe, rattrapé par l’importance de l’évènement. Falmé ne quittait plus des yeux sa femme, recherchant sa force.

— Cette dernière version des paroles du roi Zaïdi a été retranscrite l’année dernière le Son Trekvar. Ces mots prévalent sur toutes les dispositions standards de succession dans le cadre de nos lois. Le cadre standard sans préemption du roi prévoit l’accession au trône de Zakusini au fils ainé, soit Jiwé Kubwa, et l’administration de la province de Kubwa au fils cadet, soit Falmé Kubwa.

Un large sourire éclaira le visage de Jiwé, à tel point que la commissure des extrémités de sa bouche semblait effleurer les bords de ses yeux.

— Cependant, notre roi défunt a décidé d’apporter une modification à la succession au vu de l’évolution de ses fils au cours de ces dernières années.

La courbe du sourire de Jiwé s’inversa brusquement.

— Ainsi, je vous lis les mots de votre père tels qu’ils sont inscrits sur le testament. Mon ainé, ô Jiwé, ma force brute, j’ose espérer ta compréhension mais il s’avère qu’aujourd’hui tu n’as pas acquis les aptitudes adéquates pour gouverner notre royaume. Ton caractère fougueux, ambitieux à l’extrême, despotique, égocentrique quasi égoïste ne correspond pas à la carrure d’un roi juste et populaire. Malgré la grande déception qui sera tienne, je te demande expressément de soutenir ton frère, Falmé dans ses nouvelles responsabilités inattendues pour lui.

Kiwé se redressa au-dessus de la table et serra les poings, blanchissant les jointures de ses métacarpes.

— Falmé, pardonne-moi pour ce choix de te céder le pouvoir, les responsabilités de la plus haute importance, le poids du peuple. Pardonne moi Malkia de t’enlever une grande partie de ton époux. Falmé, ma décision repose sur ta sagesse, ton intelligence et ton empathie envers notre peuple. Falmé, je te désigne mon héritier direct et Roi de Zakusini. Bois la coupe sacrée du couronnement, partage le calice avec ton frère et ton épouse et soit le souverain que j’espère ; bon, équitable, juste et fort. Que ton règne soit serein et prospère !

Zaman laissa le parchemin s’enrouler naturellement et releva les yeux craintivement vers son assistance. Il redoutait à cet instant la colère de Jiwé. Il fit un pas en retrait. Meyan Mijian et Jeshian Jeshi acquiescèrent la lecture de Zaman et la décision du roi défunt d’une révérence discrète.

La face du frère renié se crispa, laissant surgir des veines gonflées sillonnant son front plissé à outrance. La jugulaire palpitait prête à érupter hors de son coup. Ses mâchoires étaient tellement serrées, faisant grincer ses dents, qu’il ne put s’exprimer pour le moment. Salmor Kalbor s’approcha de la table et agrippa la hanse de la jarre remplie de vin, le meilleur cru de l’année passée.

— Que nos dieux bénissent le roi Falmé, proclama le sorcier en brandissant la jarre.

Avec une grande adresse, il remplît le calice, le bec verseur à hauteur d’un bras. Le vin coulait en cascade laissant admirer sa robe rouge. Salmor reposa la jarre et porta la coupe à Falmé.

— Bois, Fils des Dieux du Sud !

Falmé effleura timidement des lèvres le bord de la coupe.

Son frère ne put retenir ses nerfs plus longtemps. Ses poings frappèrent la table lourdement qui silla malgré le poids et la dureté du marbre. Un sursaut de surprise éclaboussa de quelques gouttes de vin le menton du nouveau roi.

— Comment a-t-il pu ? Moi, le fils ainé ; le plus assidu aux conseils politiques et militaires, le plus habile en stratégie, le plus fort au combat. J’ai tout donné pour lui succéder ! C’est impossible, il nous a berné. Il caché sa sénilité aux yeux de tous. Je ne vois pas d’autres explications à cet écrit ridicule. Je conteste ce testament.

— C’est impossible mon prince, il est validé par le sceau du roi Zaïdi reconnu par toutes les personnes ici présentes.

Jeshian Jeshi osa une approche fébrile.

— La demande du prince pourrait peut-être être considérée. Ce changement d’ordre de succession n’est jamais arrivé lors de l’histoire de la dynastie Kubwa.

— Silence Jeshian ! invectiva Salmor. Restez à votre rang ! comment pouvez-vous contredire les paroles divines.

Falmé s’interposa en reposant vivement la coupe du couronnement sur la table.

— S’il vous plait, retrouvons notre calme. Mon frère, ne réagit pas sur le coup de la colère. Allons nous reposer, réfléchir au choix de notre père. Et revoyons-nous pour créer un nouveau fonctionnement de gouvernance où tu auras entièrement ta place. Être mon égal, à mes côtés pour prendre toutes les bonnes décisions pour le bien de notre peuple.

Jiwé marqua un instant de silence, fusillant son frère des yeux. Il baissa la tête et vint apposer sa main droite sur l’épaule de son cadet.

— Tu as raison mon frère, nous avons besoin d’un peu de recul. Je m’en vais de ce pas emménager dans mon nouveau palais de la province de Kubwa. Une bonne réflexion est de mise.

— Tu ne restes pas avec nous pour profiter du diner du couronnement.

— Non, je ne voudrais pas vous faire profiter de ma mauvaise humeur légitime et vous couper l’appétit.

— Et viendras-tu aux festivités du couronnement avec le peuple ?

— Je ne pense pas. Il y a beaucoup de choses à faire aussi dans ma province. Profitez des précieux mets de Zakusini… Tant que vous le pouvez.

— Que veux-tu insinuer avec tes derniers mots ?

— Rien mon frère, rien. Peut-être que les temps à venir seront plus difficiles.

Sans laisser répondre Falmé, il se retourna et d’un pas vif se dirigea vers la sortie. Il claqua des doigts à l’attention de sa femme pour lui signaler de le suivre. Elle s’exécuta instantanément.

La volonté d’interpeller une dernière fois son frère s’étouffa dans le claquement de la porte massive laissant la salle à manger dans un profond silence malaisant.

Falmé se ressaisit de la coupe et but cul-sec son contenu. S’apercevant de son oubli du partage du vin avec son épouse, il agrippa la jarre et servit frustement le vin. Le liquide déborda de la coupe et se déversa en majorité sur le marbre noir. Il tendit le calice à Malkia en renversant du vin sur ses manches. Elle refusa poliment d’un signe de la main la coupe dégoulinante. Sans se départir, il vida à nouveau le vin goulument.

— Merci Père pour le cadeau, à ta santé ! je crains le pire pour les semaines à venir. Mon frère ne va pas en rester là.

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