Chapitre 16 (première partie)

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Château de Lures, 20 juillet 1734

Héloïse s'avançait dans l'allée de la chapelle. Je ne la quittais pas des yeux, j'étais incapable de regarder ailleurs. Elle était ravissante, d'une beauté pure et simple, avec ses cheveux relevés, ses quelques mèches qui entouraient son visage, ce voile qui la recouvrait en partie. Sa robe blanche semblait telle une fleur fragile et innocente, le premier matin du monde. J'avais pu lire son étonnement et sa joie mêlés quand elle m'avait vu, debout devant l'autel. Je savais que j'allais la surprendre et j'étais bien heureux que le curé comme ses parents aient accepté ma demande de pouvoir me marier avec mon costume. Quand j'avais dit à son père que je souhaitais porter les couleurs de mon clan, que c'était très important pour moi, il avait hésité un moment et, finalement, c'était la mère d'Héloïse qui avait tranché. J'avais remis tout mon costume à la lingère pour qu'elle le prépare, lui faisant promettre le secret.

L'autre surprise que je réservais à ma bien-aimée pour cette cérémonie, c'étaient les quelques mots que je comptais prononcer en gaëlique. Cette fois, seul le prêtre était au courant et lui aussi avait accepté sans difficulté. Dans tout mariage en Ecosse, ces vœux étaient ainsi prononcés. Ils étaient aussi suivis d'une coutume païenne consistant à mêler le sang des deux époux, mais je ne pouvais me permettre un tel acte ici, surtout sans en avoir parlé à Héloïse avant.

J'étais venu tôt ce matin prier dans la chapelle. Elle était encore vide et silencieuse, de ce silence propre à la paix et au dialogue avec Dieu. J'avais prié pour le repos de l'âme de mon père, de mon frère. J'avais aussi pensé à ma mère que je n'avais pas connue. J'espérais qu'elle apprécierait mon choix et qu'elle veillerait sur Héloïse, de là où elle était. J'avais prié pour mon oncle, ma tante, mes cousins, mon clan. Pour ma sœur. Bientôt je les reverrais. Et avec Héloïse. Ce souhait que j'avais formulé, intuitivement, qu'elle soit avec moi quand je reverrais les Highlands, que je foulerais enfin à nouveau le sol de notre terre, allait se réaliser. Et j'en étais profondément heureux. La vie que nous mènerions à Inverie serait très différente de ce qu'elle avait connu ici et de ce qui aurait été son quotidien si elle avait épousé un autre que moi. Mais c'était moi qu'elle avait choisi.

Je ne pouvais qu'être ému également, en songeant que je ne rentrerais pas seul à Inverie. Qu'elle serait avec moi, que je reviendrais marié en Ecosse. Ce voyage en France, ces années à servir le roi français, avaient été toute une aventure. Et le plus merveilleux de cette aventure, de ces années, c'était Héloïse. Je revoyais ces quelques semaines passées ici, à Lures, depuis ce premier jour, notre premier regard échangé, son premier sourire. Je fermais les yeux en repensant à notre premier baiser, sous l'allée fleurie, et à ses mots, ses aveux. Les miens. J'eus cependant un petit sourire en songeant à la discussion que j'avais eue avec son père. J'avais eu beau rassurer Héloïse par la suite et lui faire part de l'essentiel de cet échange, de ma demande, je devais bien m'avouer que je n'en avais pas mené large. L'intervention de François, avant que René, son père, ne vienne me trouver, avait certainement contribué à apaiser un peu les tensions. Mais j'étais certain de l'avoir surpris. Je me revoyais encore me tourner vers lui dès qu'il était entré dans la pièce et lui dire : "Monsieur du Breuil, Héloïse, votre fille, et moi-même, nous nous aimons et je souhaite vous demander sa main." Ce à quoi il avait répondu, d'un air un peu sévère : "Il serait temps de le faire, jeune homme." Puis nous avions parlé sérieusement. J'avais vite deviné qu'il accepterait ma demande, mais il voulait des garanties et je pouvais le comprendre. Et pas uniquement en ce qui concernait la vertu de sa fille. Même si j'avais plus d'une fois parlé de mes origines, de la vie en Ecosse, il était temps aussi désormais d'entrer dans des précisions et des détails qui revêtaient, à ses yeux de père, leur importance. Mon seul regret, au terme de cette journée un peu folle, avait été de ne pouvoir revoir Héloïse, de la rassurer un tant soit peu.

Le prêtre était arrivé alors que je m'apprêtais à quitter les lieux pour retourner au château et me préparer. Il était accompagné de deux jeunes filles portant des brassées de fleurs qu'elles s'empressèrent de disposer autour de l'autel et des piliers pour décorer la chapelle. Je me disais que cela allait faire très joli. J'appréciais tous ces petits gestes et attentions que chacun portait à la préparation de cette journée, et ces fleurs en faisaient partie. Cela me semblait très important pour Héloïse. Que ce fût une belle journée pour elle. Ainsi, elle le serait également pour moi.

Je regagnai donc le château et, machinalement, je levai les yeux vers la façade et la fenêtre de la chambre d'Héloïse, située au premier étage. La chambre qui avait été la mienne donnait sur l'arrière, sur l'autre flanc du bâtiment, alors que la sienne s'ouvrait sur toute la perspective des jardins et portait jusqu'aux rives du fleuve. Lorsque nous serions à Inverie, elle pourrait aussi voir des eaux, celles du Loch Nevis, depuis la fenêtre de la pièce qui serait notre chambre - chambre qui avait été autrefois celle de mes parents, puis, durant peu de temps, celle d'Alec. C'était la chambre du laird, ainsi le voulait la tradition.

Mes pensées dérivèrent aussi vers les préparatifs qu'Héloïse devait connaître. Je songeais avec amusement que j'allais certainement mettre moins de temps qu'elle à revêtir mon costume. Je la savais levée depuis l'aube au moins. Cette journée serait longue pour elle et j'espérais qu'elle ne souffrirait pas trop de devoir se tenir longtemps debout. Elle m'avait déjà raconté par quels tourments elle devait passer avant chaque bal ou chaque cérémonie, quand sa tenue requérait alors de longs préparatifs. Hier soir, lors du dîner, je l'avais trouvée fatiguée... mais heureuse car elle nous avait annoncé que sa robe était - enfin ! - prête. J'en avais perçu son soulagement.

Je chassai cependant de mon esprit d'autres images qui me venaient en tête, à l'idée qu'elle était peut-être en train d'enfiler des jupons, de lacer un corset... et que j'aurais cela à dénouer et à ôter, ce soir. J'entrai un peu rapidement dans le hall, y croisai des domestiques affairés et François qui descendait l'escalier.

- Ah, Kyrian, déjà debout ?

- Je suis allé à la chapelle. Je voulais prier avant le déjeuner.

- Bien... Ne perdons pas de temps, allons manger. J'ai une faim de loup, pas toi ?

Je ris. Et je dus bien reconnaître que même si certaines émotions m'étreignaient le ventre, il était temps d'avaler quelque chose. Tomber d'inanition devant l'autel serait du plus mauvais effet. Même si, ce faisant, cela permettrait à quelques jeunes demoiselles trop curieuses de vérifier certains dires quant au costume écossais...

**

La matinée avait passé très vite. Mon costume était prêt et m'attendait dans ma chambre. Une fois habillé, je rejoignis François dans un petit salon de l'étage. Il était prêt, lui aussi. Nous parlâmes un moment, avant que les premiers invités n'arrivassent, dont mes témoins que j'avais rencontrés pour la première fois la semaine précédente. L'un était un cousin éloigné du père d'Héloïse, l'autre un ami proche.

Ce fut avec eux deux que je retournai à la chapelle. Une autre attente allait commencer, ponctuée seulement par l'arrivée des invités. A un moment, je vis François quitter les rangs et s'éloigner et je compris que je n'allais plus avoir beaucoup à attendre avant de voir ma future femme. En effet, peu après, mon ami franchit à nouveau la porte, accompagné de sa mère. Elle esquissa un petit sourire en ma direction. Puis le silence se fit et j'oubliai tout, le regard fixé sur la porte. J'entendis les pas discordants d'Héloïse et de son père résonner sur les dalles de pierre du petit chemin qui menait à la chapelle. Mon aimée était là, à quelques pas de moi. J'avais le cœur battant. Je retins mon souffle quand les bruits cessèrent, puis une ombre se laissa deviner et ils entrèrent.

Je vis donc sa surprise et sa joie et je sus que, comme moi, elle oublia tout ce qui n'était pas nous. Son père et elle remontèrent l'allée lentement jusqu'à l'autel. Je ne l'avais pas quittée des yeux et je fus presque surpris lorsque son père prit ma main pour la poser sur celle d'Héloïse. Il l'avait menée jusqu'à moi et, par ce geste symbolique, il me la donnait. Des mots en gaëlique résonnèrent dans ma tête, des mots qui parlaient d'engagement et de protection, d'amour et de fidélité.

Après l'échange de nos vœux en français, je guettai ses réactions quand je prononçai ceux en gaëlique. Mais ce fut elle qui me surprit à vouloir les dire également. C'était aussi la première fois qu'elle entendait cette langue et je me dis que je n'aurais pas trop de plusieurs semaines de voyage pour lui en apprendre les rudiments. J'étais certain cependant que cela lui plairait. Elle n'aurait pas le choix, de toute façon. Même si on parlait un peu anglais à Dunvegan, c'était le gaëlique qu'elle entendrait le plus au quotidien. Je me sentis vraiment très heureux de son initiative.

Lors de notre baiser, je frôlai doucement la fleur de chardon qu'elle portait dans les cheveux. Sans doute que cette fleur ferait beaucoup parler d'elle au cours de la journée, mais pour moi, elle était le symbole qu'en devenant ma femme, Héloïse acceptait aussi de devenir Ecossaise. Et c'était très important à mes yeux, sans compter l'hommage qu'elle me rendait et rendait ainsi à mon peuple et à mon clan.

**

Le repas qui suivit fut très animé et joyeux. Les rires des enfants se faisaient entendre tout autour des tables dressées. Je retrouvais là un peu de l'atmosphère des grandes tablées estivales à Dunvegan, quand nous pouvions organiser des repas et des veillées au-dehors. Le repas s'éternisa quelque peu et ce fut seulement en toute fin d'après-midi que nous quittâmes la table pour faire quelques pas dans les jardins. Nous nous promenâmes sous la tonnelle fleurie et ombragée, accompagnés de connaissances diverses. Les conversations étaient plaisantes et je me fis la remarque que les invités avaient été soigneusement choisis. Bien entendu, les parents d'Héloïse et de François avaient certainement été obligés d'inviter certaines personnes, la plupart étaient des proches, des amis. J'avais eu l'occasion d'en croiser quelques-uns lors du bal donné pour le retour de François. Mais il n'y avait point de Monsieur de Richemond ou de Mademoiselle de la Valière, ni de Mademoiselle de Gamier.

A un moment, alors qu'une dame âgée et pimpante complimentait Héloïse sur sa robe et faisait une remarque quant au fameux chardon - à nul doute, vraiment, la vedette du jour -, je laissai courir mon regard au-delà des jardins, vers la pente douce descendant vers le fleuve. Mon silence et ma rêverie furent sans doute remarqués, car Héloïse pressa sa main sur mon bras. Je me tournai vers elle et croisai son regard, interrogatif.

- A quoi songiez-vous soudain, mon cher époux, en regardant si loin ?

Je lui souris doucement et approchai sa main de mes lèvres pour y déposer un baiser léger.

- Je pensais à ma mère. Je crois qu'elle serait très heureuse.

Héloïse pencha un peu la tête sur le côté, mais ne dit rien. Elle savait que ma mère était morte, de même pour mon père. Je ne lui avais cependant encore rien dit de certaines circonstances dramatiques qui avaient marqué les premières années de mon existence. Et un jour comme aujourd'hui n'était pas propice à de telles confidences. A la voir ainsi, la tête légèrement inclinée, le regard si aimant et doux, j'eus une folle envie de l'embrasser. Mais nous avions trop de témoins pour que je puisse me le permettre. Il me faudrait encore patienter plusieurs heures avant de pouvoir enfin goûter à nouveau à ces lèvres fraîches et douces.

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