34 - la fin

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Je m’enfuis, sans lui montrer ma panique. Je suis resté longtemps sur le canapé, haletant de terreur. J’avais tué Arthur, et maintenant, William me demandait de le tuer également. J’étais maudit, chargé de faire mourir ceux que j’aimais.

Ma vie n’avait rien de merveilleux, mais j’avais retrouvé un équilibre, heureux de voir l’état de William progresser un peu. Je l’avais retrouvé et j'adorais farfouiller sa toison rouge, la laissant le plus en bataille possible.

Plusieurs jours passèrent, sans qu’il renouvelle son abominable demande. Clothilde passa. Elle sortit effrayée de la chambre, me disant qu’elle venait d’entendre à son tour l’impossible requête.

Le plus curieux, et le plus effrayant, était qu’il prononce des paroles. Son aphasie n’avait pas été expliquée. Il avait des difficultés, mais l’hypothèse la plus horrible était qu’il avait refusé de parler pendant un an. Ses capacités intellectuelles avaient été déclarées intactes. Se pouvait-il qu’il soit resté un an à ruminer sa colère, enfermé dans son corps et sa haine ? Un an pour ronger son mal.

Nous avons longuement parlé, retrouvant une intimité que nous n’avions pas su faire vivre.

Malgré l’horreur absolue du souhait, nous avons fini par le comprendre. Mais, qu’il s’adresse aux deux seules personnes qui l’avaient aimé vraiment, cela rendait la chose infaisable.

Avant d’aller chercher de l’aide, nous sommes retournés le voir. Quand nous lui avons posé la question, il a baissé les yeux et esquissé un sourire dans un rictus.

William était resté un an, entendant ce qui se disait autour de lui, le comprenant, mais se refusant à parler, à communiquer, seul dans son monde, dont il voulait sortir à présent.

Il avait entendu les médecins dirent brutalement qu’il était un mort-vivant, sa mère qui avait égrené les raisons justifiant sa punition, mes monologues, fait de reproches et de tendresses, de haine et d’amour. L’amour total et incestueux de sa sœur, ses pleurs de la perte de l’aimé. Quelle torture ! Pourquoi s’était-il muré, lui, le prisonnier indélivrable ?

Mon acceptation a muri lentement. Comment transformer son amour en un acte ultime ? Mathys nous a proposé un protocole.

Nous avons dit à William qu’il allait être exaucé. Comme lors de ma préparation, nous lui avons fait répéter. Nous avons fixé le jour. Il le connaissait. Nous avons laissé le temps à ceux qui le souhaitaient de venir faire leurs adieux.

Le soir, nous lui avons proposé un somnifère, lui disant qu’il pouvait le recracher. Il le garda dans la bouche. Nous lui avons tenu la main alors qu’il s’endormait. Nous avons délicatement enveloppé sa tête dans un sac plastique, avant de le quitter.

Nous nous sommes assis, en silence, puis nous nous sommes rués l’un sur l’autre, pour nous sauver dans un rapport brutal, sauvage. Nous savions que c’était notre dernière fois.

William semblait apaisé. Nous avons retiré le sac, nettoyé son visage encore chaud. Je lui ai posé un ultime baiser, puis nous avons attendu.

Mathys a signé l’acte de décès. À l’enterrement, nous formions un groupe d’une quinzaine de personnes, à l’écart de la famille qui lançait des regards noirs de mépris vers les dépravés que nous étions. Je m’étais éloigné d’eux, mais leur réconfort dans cette circonstance me fut précieux.

Clothilde était venue me saluer.

Quand la famille s’est éloignée pour aller se goinfrer et se lamenter, nous nous sommes approchés et nous avons lâché un drapeau arc-en-ciel, avant que les employés referment la sépulture.

La succession fut une longue suite de problèmes dont Sébastien tentait de m’expliquer les tenants et aboutissants. Les sommes annoncées n’avaient pas de signification pour moi. Je voulais juste en profiter pour assurer le confort de ma mère : seule cette seconde disparition, à venir, m’importait. J’ai donné un pouvoir à Clothilde, ne voulant rien à faire avec leur clan.

L’été fut particulièrement long. Je me réfugiai à la maison du club, ayant obtenu l’usage d’une petite chambre. Diner avec ces garçons et ses hommes qui se donnaient du plaisir me distrayait. Je promenais ma tristesse dans le parc, finissant invariablement par m’asseoir face au calvaire, où les trois trous témoignaient de cet acmé dans ma vie, cette ascension incompréhensible vers l’horreur, avant la descente vers le vide. Je restais des heures, attendant l’explication qui me laisserait en paix.

Je ne les entendis pas venir et ne me retournai qu’à l’interpellation.

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