25 - La fin

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Le bruit de la clé, une main qui me tirait, une question :

— Jer, c’est aujourd’hui, le veux-tu toujours ?

Je ne me souvenais plus de ce que j’avais voulu, ou demandé. Avais-je le choix ?

La question fut reprise :

— Jer, es-tu prêt à subir l’épreuve suprême ?

Pour finir avec la dernière :

— Jer, veux-tu abandonner ?

Après ma réponse, il me fut rappelé que je devais rester conscient. À la moindre défaillance ou au moindre signal de ma part, tout s’arrêterait. Je pouvais être fier d’avoir atteint ce point.

On me traina, je ne sais où. Un violent jet d’eau froide vint me débarrasser des croutes de crasse accumulée depuis le début. On m’amena dans une autre pièce.

— Nous allons te retirer le bandeau, pour que tu voies ce qui t’attend. Puis nous te le remettrons pour la fixation, afin de ne pas te bruler les yeux. Tu ne l’auras plus pour la montée.

La délivrance me rappela celle de ma cage : retrouver ses sens est difficile. La pièce était faiblement éclairée par des bougies. Je m’habituai à cette clarté quand je baissai les yeux. Un réflexe me fit reculer. Un moment d’hésitation m’habita. Puis, envahi d’une volonté soudaine, je fis un pas en avant. On m’aida à me coucher et à m’installer. Le bois était dur. Le bandeau fut replacé. On m’attacha très solidement les pieds et les poignets, avant de sentir une piqure.

— Je t’anesthésie. C’est la partie la plus délicate, car il ne faut pas abîmer les tendons. Cela te permettra aussi de progresser doucement.

Je ne sentais rien, inconscient de ce qu’il me faisait et de la durée de l’opération.

J’entendis près de mon oreille :

— Prends ça, ça t’aidera à tenir !

Deux gélules furent glissées dans ma bouche. Je les recrachai.

La voix reprit, plus fort :

— C’est bon !

Je fus soulevé. Une main se posa sur ma poitrine.

— Nous y allons. Christopher puis Arthur vont te rejoindre, dès qu’ils seront prêts.

Dehors, la nuit était d’un noir d’encre. Je devinais des bougies éclairant le convoi. Arrivés, on me demanda une dernière fois mon accord. Je confirmai.

La croix fut posée au bord du trou et y glissa doucement en se redressant. L’anesthésie commençait à se dissiper et une peur immense m’envahit.

Était-ce cela que j’avais vraiment voulu ? Ma folie m’apparut. J’avais franchi tous les interdits. La douleur montait, m’interdisant de penser. Je me concentrai dessus, espérant la surmonter, malgré une puissance insupportable à chaque inspiration.

Au pied de mon calvaire, des spectateurs me contemplaient dans un silence religieux. J’arrivai à un état à peu près stable, sachant que je ne tiendrai pas longtemps. Je devinai la deuxième procession. Ce devait être Christopher. J’entendis son cri quand sa croix se dressa, avant un silence impressionnant. Tous les regards le fixaient. Je ne pouvais tourner la tête sans tirer sur les clous. Ils nous avaient voulu côte à côte, mais sans que nous puissions voir l’horreur de ce qui se passait.

Un éclair transperça mon esprit. Est-ce que William était là ? Il était sorti totalement de mes pensées depuis que j’avais été emmené à la maison. J’essayai de deviner les spectateurs. La nuit était chaude et beaucoup étaient nus, ou presque. Sa couleur caractéristique de peau, ses cheveux m’avaient toujours permis de le reconnaitre de loin.

Je n’arrivai pas à le trouver. Mon regard était troublé par des larmes incontrôlables.

Il n’était pas venu assister au supplice de celui qu’il aimait faire souffrir. Un immense sentiment d’abandon me prit. J’étais là pour lui, et lui n’était pas là pour moi.

Je sentis une perche tendue vers moi, avec un gobelet à bec. Ils savaient ! La soif me terrassait. Puis je sentis qu’on me prenait le pouls, qu’on écoutait mon cœur. Je cherchais une distraction à cette douleur qui montait, sans apparemment de limites.

La troisième croix fut dressée. Le cri de déchirement, celui d'Arthur, puis son halètement me firent bouger vers lui. Je me mordis les lèvres au sang pour ne pas hurler. Je tentais de crier qu’on le descende, mais aucun son ne sortait de ma gorge à nouveau sèche.

J’eus sans doute un moment de somnolence, car j’entendis :

— Il se réveille !

Depuis combien de temps étais-je cloué ? J’entendis des pas précipités, une activité fébrile. Il descendait l’un d’eux, sans que je puisse savoir lequel. Pourvu qu’Arthur n’ait pas eu un accident ! Pourtant, je ne demandai pas à savoir. L’abrutissement de la douleur m’emportait. Je ne contrôlai plus rien. Je me sentis me vider. Le temps parut s’arrêter et je me forçai à conserver les yeux ouverts.

Et puis, ce fut l’apothéose ! Plus rien n’avait d’importance, puisqu’il était avec moi, à côté de moi, resplendissant avec sa chevelure de feu, son sourire accueillant. Il m’invitait à le suivre, nous envoler dans l’éther pour l’éternité. Je tendis le bras vers lui et ce fut fini.

La douleur infinie m’arracha un cri. Il était parti, m’abandonnant à mon supplice sur cette croix. Plusieurs fois, il revint me soutenir, allégeant mes pieds, me félicitant pour mon courage et mon endurance, fier de ce que je lui donnais. Combien de fois errai-je ainsi entre extase et dépression ? Il était de plus en plus loin, me faisant parfois des grimaces, m’injuriant en se félicitant de ma position, avant de revenir dans son infinie bonté.

Il disparut, laissant la place à un désespoir infini. Une peur montait, celle d’une douleur finale qui m’emporterait quand la croix serait abaissée. Je préférai attendre la fin dans celle que je connaissais. La deuxième croix fut descendue, dans le calme. Les spectateurs défilaient.

J’eus plusieurs moments d’absence. En revenant du dernier, je vis l’horizon commencer à s’éclaircir.

— Jer, ça va être l’aurore. Je veux que tu demandes la fin.

Plus rien n’avait d’importance. Je baissai les yeux, deux fois.

Ma crainte était fondée : malgré les précautions, je m’évanouis au premier petit choc.

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