19 - prémonition

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Je ne soupçonnais pas la force de mon attachement à mon petit frère. C’était beaucoup plus qu’une attirance physique. Ma relation était tout autre que celle avec William. Avec ce dernier, c’était le bonheur de la confiance. Avec Arthur, mon cœur battait plus fort et j’étais inquiet pour lui.

Chaque jour, nous échangions des messages, tout en ayant de longues conversations au téléphone. William me regardait, attendri par mon état. Ou content de ma tristesse, je ne sais pas.

Mon papillon s’était envolé, faisant des ravages. Dès leur rentrée à l’école, il s’était rapproché ouvertement d’Alexandre. Ce dernier, pour mettre fin aux allusions, avait fait un coming-out l’année précédente, n’hésitant plus à crier à l’intolérance au moindre mot déplacé. Arthur ne m’avait pas tout raconté ! Rares étaient ses anciens camarades qui lui avaient conservé leur amitié.

Alexandre s’était méfié de cette démarche, encore déçu du refus précédent. Lors d’un cours, Arthur s’était assis à côté de l'ostracisé, souvent isolé sur son banc. Sous la tablette, il avait pris sa main pour la poser sur son sexe enfermé. Alexandre n’avait pu se défendre. Surpris du geste et de ce qu’il sentait, il piqua un fard, avant de se tourner vers Arthur. Ils se trouvèrent.

Alexandre n’en revenait pas, questionnant abondamment Arthur, curieux de cette soumission à un maitre lointain et âgé. Ce brigand m’avoua avoir montré une photo de moi à Alexandre. Il m’avait volé une image. Qu’il en ait eu besoin me toucha beaucoup. Je n’appris que plus tard qu’il en avait aussi une de plain-pied, dans ma nature entière. Il l’a partagera avec Alexandre !

Alexandre avait prévu des vacances avec un ami : ils partirent à trois. L’ami était le petit ami. Il ne se passa rien, mais ils n’avaient pas de limites dans les gestes chaleureux. De plus, le petit objet d’Arthur les impressionnait beaucoup, le positionnant au-dessus d’eux dans leur hiérarchie homosexuelle.

Son changement d’attitude, son éblouissement, furent mal vécus dans sa famille. Pour envenimer les choses, il afficha des positions politiques ou sociales outrancières, révulsant ses parents. Il le faisait avec gentillesse et respect, jouant le petit garçon sage qu’il n’était plus. Quand il les entendit parler de folie, il fut heureux. Les emmener au bout de leurs contradictions le faisait éclater de rire.

Il fit ce que je lui avais interdit : il téléphona à Fabien. Il lui exprima son souhait de recommencer dans d’autres conditions. Fabien repoussa violemment cette suggestion, l'accusant de l'avoir séduit, obligeant à des actes contre nature. Il le menaça de révéler les propositions qu’il venait de recevoir. Cette dénégation et cette menace blessèrent Arthur et j’eus du mal à lui remonter le moral. Il n’y avait que lui qui pouvait agir sur son traumatisme, lui rappelai-je, car, sinon, chacun de ces appels rayonnait d'une joie enfantine.

Heureusement qu’Arthur m'ensoleillait, car, à côté de cela, je flottais dans une insatisfaction totale. Les activités du club, après l'intérêt de la nouveauté, s’avéraient insuffisantes pour me transporter où j’aimais aller.

L'activité de William avait permis au club d'augmenter notablement le nombre de ces adhérents et donc ces revenus. Les responsables en avaient profité pour acquérir une maison de maitre, dans un parc et l'équiper. Cet été-là, nous passâmes beaucoup de temps dans ce nouvel endroit qui présentait l'avantage de permettre de longues séances, notamment le confinement dans une cage minuscule, dont on ressortait ankylosé, avec un dépliement insupportable. Malgré tout je n'arrivais pas à ressentir les choses assez fortement et à m'évanouir dans la douleur. Je n’osais pas demander à William de reprendre nos exercices, qui étaient à la limite du raisonnable.

Il s’amusait beaucoup des aventures d’Arthur, mais il comprit que je n'allais pas bien. Un soir, il revint avec un grand objet emballé et un sourire sur le visage. Il leva la tête vers la poulie et, avant sa première parole, je me trouvais nu, en dessous, prêt. Il me lia les poignets directement avec la corde, qui déjà entaillait ma peau. Il me laissa les pieds libres. C’était donc autre chose !

Il commença à me lever, me laissant sur la pointe des pieds et je retrouvais mon bonheur. Il se positionna devant moi et, lentement, me fixant, il déballa le contenu. Je n’en revenais pas quand il brandit un fouet.

— Jérôme ?

Je ne dis rien, attendant sa volonté. J’attendis avec anxiété l’effet du premier coup. La brulure dépassa largement les coups de cravache. En déséquilibre je me tortillais, augmentant la douleur dans les bras. Il reprit avec un nouveau coup puis un autre encore, me plongeant enfin dans cette douleur qui éteint les pensées.

Je revins à moi sur le lit, alors qu'il pansait les longues zébrures. Il ne prononçait aucun mot, son visage n'exprimait rien. Je repensai à sa réflexion sur le foulard et je me demandai s'il avait pu contrôler ces coups, ou si ses pulsions avaient dépassé sa raison. Je m’endormis enfin apaisé.

Le lendemain, je ne pus pas prendre de douche : j'étais lacéré. J’avais dû recevoir une vingtaine de coups de fouet. Mon corps me brulait partout et c'était une véritable jouissance qui perdurait, se rappelant à chaque respiration. Ce n’est que le surlendemain que nous retournâmes à la maison du club. Ma tenue, comme toujours, était minimale. En plus de me permettre les activités, je m’offrais aux caresses et tripotages de tous. J’adorais devenir leur objet, recevoir leurs fantasmes, leur mépris, car je pouvais alors être plus loin. Les marques attirèrent tous les regards, mais aucun n’osa poser la question de leurs causes.

Est-ce pour cela que quelques jours plus tard le mot fut prononcé ? Ce ne fut pas William qui en parla, mais ses yeux brillèrent en l’entendant. Je sus, à cet instant, la fin de mon destin. Cette première fois la conversation n'alla pas plus loin. Mon esprit ne pensait plus qu’à cette révélation.

Quelques jours plus tard, le sujet revint et j’appris que cette pratique ultime, fantasmée par tous nos semblables, n’était plus pratiquée depuis quinze ou vingt ans. Très prisée jadis, le nombre de morts l’avait stoppée. Cela n’était pas sorti du petit cercle des adeptes de l’extrême, mais on parlait d’un sur deux, ou même de tous, qui ne survivait pas à l’épreuve. Plus ils en parlaient, plus je voyais l’inexorabilité de cette fin, le seul moyen d'atteindre la plénitude, selon moi. Durant ces conversations William gardait le silence. Mais quand Eustache remarqua que la maison et son parc, isolés, se prêtaient parfaitement à une reprise de cette activité, il entra dans une grande colère, les traitant d'imbéciles et d’irresponsables. Sa diatribe me fit énormément de peine, car je compris que, finalement, il n'était pas encore prêt.

Le sujet fut abandonné. Le feu couvait cependant, et il ressurgissait régulièrement, en l’absence de William et de ses emportements. Je ne voulais plus y penser, trop déçu. Pourtant, lors d’un échange dont je me tenais éloigné, j’entendis une curieuse conversation.

— Ici, il n’y en a qu’un qui pourrait survivre ! Il nous dépasse tous ! Il supporte tout, sans un gémissement, sans une grimace.

— Tu sais bien qu’il ne peut pas !

Les deux loustics veillaient à ce que je les entende.

Mon cœur s’emballait. Ils voulaient tous que j’avance, car plusieurs fois, ces échanges se déroulaient dans ma proximité. Quand un maladroit évoqua cette possibilité trop à proximité de William, ce dernier entra dans une colère noire. Il m'interdit dorénavant de venir au club ou à la maison.

Je me retrouvais seul dans l’appartement attendant qu'il rentre, espérant une punition qui me permettrait d’oublier mon insatisfaction. C’était la période pendant laquelle Arthur pérégrinait, loin de tout, et surtout de moi.

Mon abattement, qui tournait à la dépression, laissait de glace mon mari, figé dans son indifférence et ses positions. Il pensait compenser ma frustration par des séances de fouet de plus en plus fréquentes. La situation empirait, mes plaies suppuraient : le recours à un médecin s’imposa. Heureusement, dans les membres du club, se trouvaient deux toubibs, dont Mathys, en dernière année, qui vint prendre soin de moi. Il fut horrifié de ce qu’il vit et engueula William d’avoir continuer avec acharnement. Le fautif, peu habitué aux remontrances, fut profondément vexé. Il me délaissa pendant une semaine entière, ayant disparu, alors que je pouvais à peine bouger.

Quand il revint, il me parut abattu. Il me demanda pardon, non pas pour m'avoir réduit à cet état de loque physique, mais pour ne pas avoir entendu mon souhait. C’était la première fois qu’il portait attention à un de mes souhaits : j’en étais gêné.

— Jérôme, il est trop tôt. Mais si cela doit se faire, alors je serai avec toi.

À mon retour au club, l'annonce fit grand bruit. Aussitôt, les plus experts et les médecins étudièrent un plan pour arriver avec sécurité à ce final.

Pourtant, je ne m’étais pas décidé. Étais-je vraiment prêt à affronter cette épreuve démoniaque ? En mourir ne me faisait pas peur. En revanche, ne pas la supporter sereinement devenait ma crainte. Pas vis-à-vis des autres, mais par rapport à moi. Avais-je envie de connaitre mes limites ? Il y avait le côté physique, celui que je pensais vaincre. Mais il y avait surtout le côté psychologique : comment accepter de subir cela ?

Je ne me sentais pas d'y aller seul aussi, je mis comme condition d'être accompagné par deux autres volontaires. J’avais dit deux, car je voulais qu’au moins un aille au bout avec moi.

Beaucoup s’étaient réjouis du spectacle à venir, sans penser et participer. La déception générale fut grande. J’avais pris ma décision. Le moment ne comptait pas.

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