6 - Arthur

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— Dis donc, ça fait deux heures que je parle de moi. On avait convenu d’échanger !

— Je n’ai rien à raconter, c’est sans intérêt.

— Alors je vais parler à ta place !

— Si ça t’amuse !

— Voilà ! Je m’appelle Arthur et je viens d’une famille catholique traditionaliste…

— C’est moi qui te l’ai dit !

— Laisse-moi continuer ! … traditionaliste, où il est défendu de parler de sexe. J’étais dans une école privée, et ils avaient supprimé les cours d’éducation sexuelle.

— Pour les remplacer par du catéchisme. Comment tu le sais ?

— Bref, je n’y connaissais rien au sexe et je me posais beaucoup de questions. Contrairement aux autres garçons, les filles ne m’intéressaient pas. Je préférerais mes camarades, surtout…

— Alfred, soupira-t-il.

— … car il était mignon et doux.

Et puis, il s’est passé quelque chose de douloureux…

— …

— … dont je ne veux pas parler. Résultat, je suis resté très solitaire, n’osant pas approcher mes camarades, de peur qu’ils devinent…

— …

— … qu’ils devinent mon secret. En dernière année, j’ai fait mon stage chez T*. Mon maitre de stage était un mec super cool…

— C’est vrai !

— … super sympa, super beau, super intelligent… tu m’arrêtes si tu n’es pas d’accord !

— Super modeste surtout !

— Un jour, je ne sais pas pourquoi, il m’a dit qu’il vivait en couple avec un homme. J’ai compris qu’il était homosexuel. J’aurais aimé pouvoir parler de ça avec lui, mais je n’ai pas osé lui demander. Aussi, quand il m’a proposé de boire un verre, j’ai accepté avec joie. On a beaucoup parlé, il m’a raconté plein de choses intimes sur lui, et je ne suis pas plus avancé.

— C’est vrai !

— Arthur, regarde-moi. Je viens de te dire que tu es attiré par les garçons.

— Peut-être, mais je n’ai pas le droit de le faire.

— On en reparlera. Raconte-moi Alfred.

— Rien à dire. Un copain.

— Celui que tu admires. Copain ou plus ? Comment il était ?

— Très fin de corps et de visage, avec beaucoup de cheveux blond foncé. Les autres le surnommaient « fifille », pour le taquiner.

— Le harceler, plutôt, non ?

— Il venait souvent à la maison, ou j’allais chez lui, et on dormait ensemble.

— Continue…

— On aimait bien se chamailler et ça finissait toujours par une bataille. En fait, je pense qu’on se battait pour ne pas se toucher. Tu comprends ? C’est bizarre de dire ça.

— Arthur, vous étiez attiré l’un par l’autre, avec interdiction d’avoir une amitié particulière. Injonctions contradictoires ! Celles qui rendent fou !

— Tu as raison ! Mais je n’ai pas le droit. Cela détruirait ma famille, je serais le fils maudit.

— Arthur, je vais t’aider.

— Tu es trop gentil. Je crois que je dois savoir, pour de vrai, que je rencontre un mec gentil qui me montre…

Je le voyais venir !

— Arthur, c’est non ! Pas moi ! D’abord, tu es trop jeune pour moi.

— Nous avons sept ans d’écart ! Tu n’as pas trente ans, tu n’es pas si vieux que ça !

— Et puis, si j’aime bien avoir des relations poussées avec mes collègues et mes collaborateurs, pas de sexe ! Ni de sentiments.

— Mais je ne suis pas un collaborateur, je suis un stagiaire. Dans deux mois…

— Tu travailles avec moi et je pensais poursuivre par une embauche. Tu as toutes les qualités que nous cherchons.

— Oh ! Merci.

— De toute façon, maintenant, ça va être difficile !

— Pourquoi ?

— Parce que nous sommes allés trop loin ce soir. Tu sais, tu me touches énormément. J’ai ressenti très vite une grande affection pour toi.

— Tu… m’aimes ?

— Oui, un peu. Beaucoup. Mais comme un frère, un père, un ami. J’ai vraiment envie de t’aider. Je sens que tu vas y arriver. Et que tu vas devenir une belle personne, épanouie.

— Jérôme, tu sais, moi aussi j’ai tout de suite ressenti quelque chose. Comme une confiance absolue, ou la bouée qui va permettre de s’en sortir.

Nous étions allés trop loin. Je ne voulais pas d’une telle intimité, car il m’affolait. J’appartenais à William. Pourtant, je me devais à Arthur, le petit frère que je n’avais jamais eu.

— Arthur, tu me dis.

— Il n’y a rien d’autre !

— Le secret…

— Tu l’as deviné. Je suis gay.

Il me l’avait lancé avec force, me vrillant de son regard.

Je lui saisis les mains.

— Je suis fier de toi. Tu commences à accepter. Je veux l’autre, celui qui te bloque, celui qui te blesse.

Je n’avais pas le droit d’exiger un tel aveu. De plus, mon ignorance de la psychologie était un danger : je ne saurais pas gérer les conséquences. Mon intuition me disait qu’il était prêt et que retrouver cette occasion ne se représenterait pas. Je serrais fort ses mains. Il me fixa, tellement désemparé.

— Tu veux venir dans mes bras pour parler ?

Il secoua la tête.

— Ferme les yeux. Je t’écoute.

— Tu vas me mépriser !

Je lui écrasais la main, avant de les relâcher. Nous y étions !

— J’avais quatorze ans. J’étais amoureux d'Alfred. Je ne savais pas ce que j’éprouvais, mais il me mangeait la tête. Un soir, un oncle est passé à la maison. Il était le dernier de la génération précédente et moi, je suis l’aîné de la suivante. Il avait vingt-trois ans, mon âge aujourd’hui. Mes parents ne m’avaient pas prévenu, mais la chambre d’ami étant en travaux, Fabien partagerait ma chambre et mon lit. C’était un grand lit, mais quand même, ils auraient pu me demander mon avis.

Je devinais la suite.

— Une fois dans la chambre, je me suis déshabillé en lui tournant le dos. Il a commencé à parler de mes fesses, avec des mots déplacés. Je l’entendais aussi ôter ses vêtements. Il me lança, alors que j’étais nu : « Retourne-toi, montre-toi ». Devant mon hésitation, il insista, avant de faire un pas pour venir me faire pivoter. Comme j’avais la main devant, il les écarta. « Mais tu es un homme ! C’est très bien ! » Il était prêt de moi et mes yeux baissés tombaient juste sur le bas de son ventre.

Pauvre Arthur qui n’arrivait pas à nommer ces parties. Sa voix avait changé, devenue ténébreuse.

— Après un moment de silence, je tentais d’attraper mon pyjama, pour mettre fin à ce calvaire. « Quand on est un homme, on dort tout nu. Il faut toujours être prêt. » Bien obligé, je me glissais dans le lit, en lui tournant le dos. Il se mit contre moi, me touchant, puis éteignit la lumière. Avec une voix douce et gentille, il me dit en me caressant l’épaule : « Arthur, je suis sûr que tu ne sais pas comment on fait les bébés. Je vais te montrer ! » Sa main passa sur… mon… Il se mit à me tripoter fortement, déclenchant une réaction que j’avais déjà constatée.

Il ouvrit les yeux, quémandant de l’aide. Je lui resserrais les mains. Tout en l’écoutant, je le regardais. J’avais fui cette observation, en connaissant le résultat. Il avait une vraie beauté, une grâce touchante, une finesse comme celles que j’aime. Non, il ne m’avait jamais été indifférent !

— Il se mit à me frotter, avec de grands mouvements qui me faisaient mal, car il tirait trop fort. À un moment, j’ai senti une force m’envahir et jaillir de mon… J’ai cru m’évanouir, tellement c’était fort. Il me lâcha aussi tôt. « Ça t’a plu ? Ça, c’était faire le papa. Maintenant, tu vas faire la maman, pour bien comprendre ».

— Tu peux arrêter. Je devine la suite.

Il secoua la tête.

— Il se mit à me caresser les fesses, me fit mettre sur les fesses. Il cracha dessus, faisant rentrer sa salive au fond de la raie. Plusieurs fois. Puis il me remit sur le côté et là…

Je lui comprimais les mains. Je ne voulais plus entendre.

— Il a… il m’a mis son… D’un seul coup. J’ai crié tellement ça faisait mal. Il m’a attrapé la bouche en tirant en arrière. J’ai cru qu’il allait me casser le cou. Il bougeait tellement fort qu’il est ressorti plusieurs fois, revenant ensuite en me déchirant. Il me tenait la bouche et j’avais trop peur pour crier. J’ai senti des soubresauts, puis il s’est retiré. « Tu ferais une bonne maman ! » Il s’est endormi aussitôt. Je sentais mes fesses couler. Je suis allé aux toilettes m’essuyer, mais ça n’arrêtait pas. Il y avait du sang sur le papier. Je suis resté longtemps. J’avais froid, l’envie de pleurer, mais je ne pouvais pas. Je suis retourné dans le lit près de lui.

Quels mots lui dire ? Il retira ses mains des miennes, releva la tête, me fixa et murmura :

— Cela avait été très douloureux, mais… j’avais aimé ce qu’il m’a fait.

Je lui repris les mains, lui envoyant dans mon regard tout ce que je pouvais lui donner, ma compassion, ma compréhension, mon… amour. Il inspira un grand coup, referma les yeux. Ce n’était donc pas fini ?

— Il devait rester deux jours. J’ai passé une journée horrible. Le matin, il était tout gentil avec moi, puis devant les parents. Ma mère me demanda pourquoi je marchais bizarrement. J’ai inventé une explication. Et puis, après, elle m’a humilié, parce que le fond de mon pantalon de pyjama était taché. Toute la journée, j’ai eu mal et j’ai eu peur. Toute la journée, j’ai attendu le soir, en me méprisant, en ayant honte de moi.

Il se tait.

— Le soir, tout a recommencé. Je me suis laissé faire. Il avait acheté des capotes, j’ai appris le nom beaucoup plus tard, et du gel. J’avais encore très mal de la veille, mais c’était moins douloureux. Je suis resté collé contre lui. Il me caressait partout. Je ne disais rien. C’était dégoutant et agréable. Je ne comprenais pas ce qui se passait.

Il s’arrêta de parler, en conservant les yeux fermés. Je me levais pour le prendre dans mes bras, le consoler. Il s’abandonna à moi et je sentis les larmes tomber sur ma main. Nous restâmes longtemps ainsi. Une fois calmé, je lui posais sa tête sur mon épaule, ne relâchant pas mon étreinte. Je murmurais :

— Tu as été violé, mon amour.

Il se raidit, puis cria :

— Tu n’en sais rien ! Avec des mots comme ça, tu veux détruire ma famille. Je ne suis pas ton amour. Tu n’es qu’un sale pédé !

Il se leva, attrapa sa veste et disparut.

Honteux de cette algarade, honteux de l’avoir forcé à parler et de ne pas avoir été à la hauteur, je quittais le café. Je préférai rentrer à pied, une petite heure, pour digérer mon fiasco. De toute façon, il n’y avait plus de métro.

En arrivant, triste et défait, William me gifla avec violence, me jetant :

— C’est à cette heure là que tu rentres ?

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