Trauma

6 minutes de lecture

2 Mois auparavant

- Sérieux K tu m'inquiètes tu sais !

- Gus... répondis-je agacé, qu'est ce que tu comprends pas dans la phrase "Il faut que je bosse là !"

Nous étions tous deux installés dans la bibliothèque du campus. Moi assis à une table, lunettes sur le nez, plongé dans mes cours de proba. Lui, assis SUR la table avec ses vieilles rangers posées sur la chaise.

- Donc en gros tu veux me faire croire que le petit cul moulé de Jenny Styles, se trémoussant sur le court de tennis dans son petit short (mouillé de sueur) te fais pas bander ? reprit-il à haute voix, de la manière nonchalente et enjouée qui le caractérisait.

J'avais envie de lui dire de la fermer pour de bon, mais je ne savais plus quel langage utiliser avec mon "vieil ami". La seule parade qui me restait était de l'ignorer. Enfin, essayer tout du moins, car Gus avait ce don inégalable pour mettre les gens mal à l'aise. Quant à lui, rien ne semblait l'atteindre, il se foutait de tout. Difficile de croire que deux personnes aussi diamétralement opposées puissent être meilleurs amis. Et pourtant, depuis la primaire nous étions connus pour être les inséparables : Kevin et Gus, plus soudés que le fromage et la tomate sur une pizza. Même si la vie nous avait poussé sur des chemins différents, encore aujourd'hui on vivait en coloc sur le même campus. Lui, après avoir redoublé deux fois, avait décidé d'aller faire semblant de prendre des cours de langue à la fac, parce que c'était "infesté de jolis p'tit culs" comme il aimait me le rappeler. Il se voyait comme un loup infiltré dans la bergerie, mais à mon avis il était plus souvent une victime dans ses relations que l'inverse... Quant à moi, mon chemin avait été tracé depuis le collège, j'étais plutôt doué en tout, mais il avait été décidé que faire un cursus scientifique était la meilleure option...

- Je t'ai pas raconté au fait ! Hier pendant le cours en amphi avec Mme Stone, Sarah, la brune aux gros seins un peu salope là, elle avait soi-disant "égaré" son bouquin, donc forcément à qui elle demande de partager ? Genre la nana elle croit qu'elle va me la faire ! Je peux te dire qu'elle m'a bien chauffé à se coller à moi, toujours à réajuster son décolleté, effleurer mon bras... Tin un moment elle a fait tomber son stylo j'ai cru qu'elle allait essayer de me sucer la queue au passage genre "oups" ! Enfin ça m'aurait pas déplu !!

Gus rigolait à gorge déployée dans la bibliothèque. Des étudiants nous regardaient bizarrement de côté ou alors s'écartaient l'air de rien. Malgré l'affection que j'avais pour mon pote, je les comprenais. Pas étonnant que les gens l'aient affublé du surnom "DisGustave". Pour moi aussi c'était la goutte qui faisait déborder le vase.

- Putain tu fais chier Gus ! J'ai pas la tête à ça là ! Tu me saoules, je me casse, dis-je en pliant mon pc portable et mes affaires.

- Oh ça va princesse ! C'est pas parce que toi t'as pas de couilles qu'on peut pas rigoler un peu !

- Toi et moi on est vraiment pas pareil. Je te demande pas d'essayer de comprendre, je sais que le seul truc dont tu as quelque chose à branler, c'est ta bite.

Je lâchai cette dernière réplique avec un certain mépris exagéré, tout en me dirigeant vers la sortie. Gus sauta de sa table, choppant son sac militaire miteux au passage, et me rattrapa. Il n'était pas susceptible ni rancunier.

- K ! Attends moi ! Allez mon Kev c'est bon !

Il accéléra légèrement le pas pour me dépasser à la sortie de la bibliothèque. Là il plaça ses bras sur mes épaules et me fixa dans les yeux avec ce sourire cool qui faisait glisser la colère.

- Excuse-moi, je sais que tu t'en fous des autres nanas, je me moquais pas. C'est vrai que je sais pas comment tu fais, mais je trouve ça beau de se réserver juste pour l'amour de sa vie.

Je ne m'énervais pas rapidement, mais quand on m'avait froissé j'avais du mal à redescendre. Je ne répondis pas vraiment, et tentai de passer mon chemin sans agressivité. Une façon comme une autre d'esquiver. Mais Gus ne comptait pas me laisser fuir comme ça. Nous reprîmes notre chemin vers l'extérieur, histoire de trouver quelque chose pour casser la dalle sur le campus, mais il n'en avait pas fini avec moi :

- Alors quand est ce que tu passes à l'action mon pote ? Tu sais elle va pas t'attendre toute sa vie. Et puis c'est pas sain à 20 piges de pas faire fonctionner le matos. La tuyauterie ça nécessite de l'entretien crois en mon expérience !

- Merci du conseil Einstein, j'y aurais pas pensé moi-même...

- De rien Casanova. Bon alors sérieux c'est quoi ton plan ?

- Je sais pas, j'attends un signe je crois.

- Genre l'alignement des planètes avec son cycle menstruel ?

- Genre quand j'aurai pas un parasite boulet collé à mes basques.

- Tu me fends le coeur mon p'tit K...

- Et ben j'imagine que ça doit te faire aussi mal qu'un chauve à qui on tire les cheveux alors !

Il pouffa de rire à ma dernière répartie, et je ne pus m'empêcher de sourire aussi. Qui aime bien châtie bien comme on dit.

- T'es con comme mec toi quand même hein. Dit-il en me tapant l'épaule.

Nous arrivions vers une petite caféteria dont la terrasse était bien exposée au soleil. Le campus était splendide en cette période automnale et je me voyais déjà déguster un bon sandwich et un café bien chaud tout en me perdant dans la contemplation de cette nature en pleine transformation. Mais Gus me tira hors de mes rêveries en même temps qu'il m'attrapa par le col de ma veste.

- Merde ! Regarde là bas !

De là où nous étions, nous pouvions apercevoir un attroupement d'étudiants attendant le bus de ville à une cinquantaine de mètres de là.

- Je crois qu'il est là ton fameux "signe"...

J'écarquillai les yeux de surprise. "Elle" était là bas. Mon amour secret depuis toute ces années. Celle qui m'avait rendu aveugle à toute autre silhouette féminine, sourd à toute autre voix et insensible à toute autre présence. Celle qui m'avait aidé à surpasser toutes les frustrations de ma vie, toutes les moqueries... Tous les échecs. Celle qui devait être la première et la seule pour moi. Celle qui serait la mère de mes enfants. Ma chère et tendre, ma douce Marion.

Elle était à cet arrêt de bus, mais le problème maintenant, ce n'était ni la distance, ni le silence qui nous séparait depuis toutes ces années. Non le vrai problème là, c'était ces trois types qui l'encadraient. Avec leur brusquerie, cette allure de hyènes malfaisantes jouant avec un délicieux agneau. Je ne sais pas à quoi ils voulaient jouer avec elle, mais ça puait. Je vis rouge.

- Tu crois qu'ils lui veulent quoi ? K ? Kev ???

J'étais déjà parti dans leur direction. Je n'entendais plus rien, je ne voyais plus rien d'autre, comme si ma vue périphérique s'était réduite à la visée d'un sniper. Je ne savais pas ce que j'allais faire, je ne réfléchissais déjà plus. Mais ça n'avait aucune importance, je saurais quoi faire quand j'y serais. Pour elle j'étais prêt à tout.

Pour elle, je n'avais peur de rien.

- KEV ! ATTENTION !!

Cette voix, c'était celle de Gus je crois. Je n'en reçu qu'un écho déformé. Une sorte de bruit de fond dérangeant dans mon esprit. Mais c'est la dernière chose dont je me souviens de cet instant.

A part la violence bien sûr. Ce choc, brutal, terrible qui m'arracha toute forme. Et après le flou, puis le noir total.

Non je ne me suis pas battu.

Un bus venait juste de me passer dessus sous les yeux horrifiés de mon meilleur ami.

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