La commande (scène de vie 13)

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Les deux téléphones sonnent sans arrêt. La demoiselle chargée d’y répondre reste calme. Sourire aux lèvres, elle interroge d’une voix douce son interlocuteur et tandis que le deuxième téléphone sonne, elle lui demande de patienter deux petites secondes, décroche le combiné et annonce le nom de la société qui l’embauche ainsi que son identité. Les traits de son visage fin ne trahissent aucune lassitude. Elle semble s’amuser de ces coups de fils répétés au cours desquels les échanges sont pauvres et limités. Elle porte une casquette et un uniforme aux couleurs enthousiastes de l’entreprise. Les produits vendus autant que les employés doivent être époustouflants et gais.

Fixée au plafond, une télé allumée sur une chaîne sportive diffuse du football. Entre deux courts extraits de match, des spécialistes aux faux airs de prophète palabrent à n’en plus finir. Sur un présentoir, végètent les journaux du jour. Il y a aussi une table haute cernée par trois tabourets de bar aux coussins volumineux. Rien n’est assez confortable pour le client qui attend. Vient enfin mon tour. Je m’approche de la caisse. Le vendeur me regarde à peine. Je semble déjà le fatiguer avant d’ouvrir la bouche. Peut-être croit-il puérilement m’impressionner avec son air de dur, genre je suis à la caisse mais je m’en tape, tu vas me dire ta commande mais je m’en tape, je vais quand même la prendre mais je m’en tape. Fixant l’employée qui prépare les pizzas, je souris, genre : un jour, il faudra dire à votre collègue qu’il est ridicule dans son rôle de bad guy vendeur de pizzas. Elle me sourit à son tour genre : ouh non surtout pas, il est tellement drôle comme ça.

Débute la commande. Et là, je bafouille. Je n’ai pas l’habitude d’aller dans ce genre de commerce. Une même pizza peut avoir trois ou quatre pâtes différentes. Il y a je ne sais pas combien de sortes de pizzas. Et puis comme il est plus avantageux de prendre des menus, il faut donc les examiner. Avec ou sans salade ? Pizzas moyennes ou grandes ? Une ou deux ? Accompagnées d’une grande boisson ou pas ? J’en ai le cerveau qui fume. Et je me sens largué comme si j’avais fait tout à coup un bond en avant dans le temps d’une dizaine d’années. Tapant sur un écran tactile ma commande hésitante et maladroite, mon vendeur gangsta sourit. Telle une girouette, le ridicule s’est déplacé, me revêtant.

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