Attentats de novembre (scène de vie 9)

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Je suis dans métro de la ligne 5, lorsque les nouvelles sur les attentats commencent à tomber. Elles ne sont pas encore très précises, on parle de fusillades aux terrasses des cafés, on ne sait pas encore à combien s’élève le nombre de blessés et de morts. À l’intérieur du wagon, deux pouffes très excitées bavassent à haute voix. L’une a des gros seins et porte un ensemble blanc avec des chaussures à talons pailletées, une dinde sortie d’un songe psychédélique au rabais. L’autre, plus insignifiante avec son chignon et ses couches de peinture au visage sert d’écho à la précédente, approuvant et répétant chacune de ses paroles bêtes, tel un affligeant perroquet, un piètre second rôle qu’on ne reprendra plus. Elles sont de sortie et elles le font savoir à toute la rame bondée. Bourrées également et prêtes à allumer la nuit et les mecs sans vergogne. Près d’elles, une jeune SDF passe, la voix geignarde et les rangers flapies, ce qui provoque chez la bimbo avantageusement poumonée, une étonnante réaction : « Eh, nous aussi on est pauvre et on n’a pas d’argent ! » hurle-t-elle pour justifier son manque de générosité. Assis sur une banquette latérale, un jeune homme lui lance alors qu’elle est la honte de l’espèce humaine.

Sonnée quelques secondes par la remarque acerbe, la miss reprend petit à petit du poil de la bête. Elle ricane d’abord avec sa potesse en prononçant à plusieurs reprises « honte de l’espèce humaine » sur le ton de la moquerie. Puis elle zieute son portable pour voir où en sont les événements de la soirée (sa copine fait de même). Malheureusement, aucun de leurs appareils ne capte quelque chose. Le réseau est saturé. Tout le monde manipule son smartphone, avide d’informations nouvelles, informations qui s’emballent et se multiplient comme les flammes d’un incendie de forêt. Cependant, un grand noir parvient quand même à recevoir les dernières infos. Il les lit à voix haute, le visage solennel : Le bilan s’alourdit. Il y a maintenant 28 morts, ils ont tiré sur les clients d’un restaurant asiatique… » Alors qu’il s’apprête à poursuivre, le conducteur de la rame l’interrompt et annonce aux passagers que les stations où ont lieu ces faits ne seront pas desservies. Demi tollé dans le wagon. Quelques passagers qui devaient sortir aux arrêts supprimés s’agitent. Parmi eux, un jeune couple qui examine scrupuleusement le ridicule plan de métro au-dessus des strapontins comme si c’était leur dernière planche de salut. Les pouffes, elles, sont extatiques. Elles descendent à Bastille ! Maintenant, le wagon bourdonne des conversations sur ce qui se déroule à l’extérieur. Le mot attentat revient dans toutes les bouches. On affirme également qu’il y a une prise d’otages dans une salle de concert. Quant au nombre de morts, il s’est accru. Un nouveau SDF arrive et se mêle à la discussion des bimbos portant sur le sujet. Il est petit et trapu avec une face rougeaude. « Encore les arabes » lâche-t-il, le sourire haineux tandis que les demoiselles filent sur le quai à toute allure. Les portes se referment. « Pourquoi tu dis ça, connard ? » grogne soudain un arabe dégarni et bedonnant. L’homme quitte sa place et se dirige vers l’autre, situé maintenant à une extrémité du wagon. Long échange d’insultes censurées en partie par les bringuebalements colériques de la rame. Puis l’arabe retourne dans son coin, proférant encore des injures à voix basse.

Tous les deux sortent à la station suivante, laissant le peu de passagers restant dans l’hébétude visqueuse d’un réveil difficile.

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