Blog : Le Journal (pas) intime de Max. Post n° 11 : Il bastardo e il costretto

6 minutes de lecture

Le voyage s’est plutôt bien passé, même si j’étais passablement nerveux à l’idée de voir mon père et lui dire ses quatre vérités. J’ai quand même réussi à m’endormir (oui, encore...). Il faut dire que le train a un effet apaisant sur moi, et bercé par le rouli régulier des rails qui défilent, en plus d'être doucement bercé, je m’ y endors très facilement. J’ai déjà réussi à m’endormir durant un trajet de dix minutes, et j’ai manqué mon arrêt. En plus, j’étais toujours sous l’effet de la soirée qu’on avait passée la veille.

J’ai été réveillé par des cris. Quand j’ai ouvert les yeux, Jake était en train d’enguirlander son téléphone portable comme si c’était un petit personnage. Il le tenait dans sa main, le pointant du doigt en chuchotant nerveusement “Tais-toi ! Mais tais-toi ! “. Les gens autour le regardaient comme s’il était fou. Il m’a expliqué que son IA commençait à devenir vraiment flippante, qu’elle avait trouvé le moyen de parler avec une voix synthétisée et qu’elle voulait qu’on l’appelle “Penelope”.

C’est rigolo de voir que Jake ne contrôle pas sa propre IA… Lui qui semble d’habitude si sûr de lui, le voir désarçonné par un ordinateur me donnait envie de sourire.

Nous sommes arrivés à destination plus vite que je le pensais, et le moment que je redoutais arrivait à grand pas. Dans la voiture que nous avons louée pour nous rendre chez mon géniteur, mes genoux tremblaient nerveusement.

Jake n’a pas arrêté de me rassurer, de me faire répéter ce que je voulais dire. Sa voix un peu rauque et calme avait un effet apaisant, confortable.

Et voilà, nous étions arrivés. Mon père habitait une maison quelconque dans un quartier connu de Liège pour sa diversité culturelle, composé d’habitations, de commerces, et de diverses infrastructures. J’ai soufflé un grand coup et j’ai sonné. Une dame, blonde et corpulante, les yeux cernés de crayon noir, est venue ouvrir et elle a plissé les yeux d’un air méfiant en nous demandant qui nous étions. Je n’ai pas eu le temps de répondre qu’un homme, la soixantaine, trapu et affublé d’une fine moustache, apparut dans son dos. Mon père, Paolo Ficarazzi, blêmit en me voyant. Il inventa une excuse à sa femme, pretexta que mon ami et moi étions venus voir la voiture qu’ils étaient en train de vendre et il fit mine de partir avec nous, laissant sa femme sur le seuil, qui referma aussitôt la porte.

“Qu’est ce que tu fais ici ? gronda mon père avec son accent sicilien et sa voix éteinte. Il ne faut pas venir comme ça ! Non, il ne faut pas !

- Il fallait que je te voie, ai-je répondu. Rassure-toi, ce sera la dernière fois…”.

Il s’arrêta et me regarda, attendant ce que j’avais à dire. Son air agacé réveilla de vieilles blessures en moi. Après toutes ces années, il n’était même pas content de me voir. J’étais tellement en colère que j’en avais la nausée. Toute nervosité avait disparu en moi, ne laissant place qu’a de la détermination à lui cracher au visage ce que j’étais venu lui dire.

“-C’est la dernière fois que tu me vois… parce que je ne peux pas continuer à m’en vouloir comme ça pour quelque chose que tu as fait il y a des siècles. Ce n’est pas de ma faute si tu es parti. Ce n’est pas de ma faute si tu as brisé le cœur de ma mère. Si elle a dû m’élever, malgré sa maladie, malgré ses envies de suicide, malgré les fins de mois sans de quoi manger ! Je n’ai pas à me sentir coupable, parce que tout est de ta faute ! C’est à cause de tes décisions que je me sens si mal, que j’ai l’impression que je ne suis pas complet, que je n’arriverais jamais à être un homme, un vrai ! C’est de ta faute si j’ai l’impression d’être de trop, de ne jamais être à ma place ! Mais maintenant j’en ai fini. C’est fini de m’en vouloir. je vais commencer à vivre. Et ça se fera sans toi. Tu peux dormir sur tes deux oreilles, parce que tu n’auras plus jamais à craindre que je vienne dévoiler ton petit secret à ta famille. Tu n'existes pas. Je n’existe pas non plus. Tout va bien. E basta !”.

Je tremblais et mon cœur battait à en sortir de ma poitrine. Jake me regardait, silencieux, le regard plein de compassion. En face de moi, Paolo Ficarazzi me regardait fixement, sans broncher. Puis soudain une larme a pris naissance dans son œil et s’est mise à couler sur sa joue.

“C’est bien, a-t-il répondu. Il faut des coglioni pour venir me dire ça en face. Jamais personne n’a osé le faire. Tu es bien plus un homme que ce que tu crois, Max. Maintenant, je me rends compte de la souffrance que je t’ai causée. Et, crois-le ou non, mais je suis sincèrement désolé. Je sais que tu ne me pardonneras pas, mais je regrette amèrement de vous avoir abandonnés . Quand ta mère est tombée enceinte, j’ai paniqué, parce que ta mère, pour moi, c’était juste une copine. A cette époque, j’avais du succès… Des filles comme ta mère, j’en avais plusieurs… Et oui, c’est vrai, je suis parti, j’ai été lâche. J'ai fait comme si tout ça n'était jamais arrivé. Puis j’ai rencontré ma femme, je me suis rangé et on s’est vite mariés. Un an après, elle est tombée enceinte. Et là, je ne sais pas pourquoi, je me suis remis à penser à toi. J’ai réalisé quel crétin j’avais été. J’ai voulu te retrouver et j’en ai parlé à ma femme. Mais elle en a parlé à son frère, Peppino. È Peppino… il faisait partie… Mmh… Est-ce que tu sais ce qu’est la Cosa Nostra ? Oui, tu le sais. Je le vois dans tes yeux. Il était dangereux. Il est venu me trouver. Il m’a dit que je devais m’occuper avant tout de ma famiglia et pas d’un bastardo… Il m’a dit qu’il ne faudrait pas que ta mère et toi ayez des problèmes… Alors j’ai préféré éviter le pire. Même si ça vous a valu beaucoup de souffrance. Je porte ça sur mon dos depuis tout ce temps… Encore une fois, je ne cherche pas d’excuse. Je veux juste te donner des réponses, même si elles ne sont pas valables à tes yeux. Maintenant, Peppino est mort. J’ai voulu te retrouver. On m’a dit que tu étais parti chez les Anglais… Et te voilà, devant moi, devenu un homme, beau et fort. Je suis très fier de toi.”.

Je suis resté sans voix. Donc mon père avait voulu, quoi… nous sauver la vie ? Mouais… Pratique, quand même. Et s' il essayait de me mener en bateau, s’il inventait cette histoire pour s’en tirer à bon compte ? Ça collait bien au personnage… Je ne savais plus quoi penser. J’ai regardé Jake. Il fallait que je parte. J’en avais fini. Je me suis retourné, j’ai regardé mon père et je ne lui ai rien dit. Je lui ai juste fait un petit signe de la tête. Cette histoire était enfin finie. Tout avait été dit. C’est tout ce dont j’avais besoin. Il m’a adressé un dernier regard, mélange de regret et d'affection. C’est comme ça que j’ai quitté l’homme qui avait été à l’origine de tant de malheurs dans ma vie, et qui pourtant gardait une énorme place dans mon cœur. Je savais que nous ne nous reverrions jamais, et c’était mieux comme ça. J’étais enfin en paix. J’avais vidé mon sac. J’ai regardé Jake, plein de reconnaissance. C’est grâce à lui que tout cela avait été possible. C’est là que j’ai décidé que même si j’avais écrit une histoire pleine de malheur pour mon meilleur ami, je devais faire quelque chose pour essayer de l’aider et, pourquoi pas, de réparer mes erreurs.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Joey Bastardo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0