Matinée

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"La vie... Qu'est ce que cette chose particulièrement improbable qui caractérise un astre unique perdu au milieu de l'immensité de l'Univers, ou plutôt des Multivers ? Un astre qui pourtant n'est que rigide et dur comme n'importe quel autre astre qui danse et tournoie dans un mouvement de balancement incessant autour d'un amas incandescent de gaz dont on perçoit à peine la colère, la beauté et la douleur. Cette planète que l'on appelle communément "Terre", et dont la forme est l'une des plus imparfaite qui puisse être, n'a rien de spécial à première vue, et pourtant elle est le berceau de la plus parfaite des réactions physiques et chimiques qui puissent exister. Ou plutôt, de la plus belle aberration, fruit de la complexité de multiples formules et d'équations finement pensées et lancées dans ce qui semble être le plus grand des hasards, sans but ni objectif défini. Et si la vie n'était au final qu'un calcul, une expérience pour vérifier et valider de manière empirique l'absurdité de cette équation primaire, imaginé par une intelligence infinie qui ne connait pas ses propres limites ? Une équation primale, appelée Evolution, jalonnée par des gardes, et qui s'entretient et se corrige d'elle-même au fur et à mesure que son amant, le Temps, s'écoule. Une équation contradictoire qui crée à la fois l'aventure la plus formidable et la plus frustrante par le fait qu'elle existe et n'existe pas à la fois, l'Alpha et l'Omega du tout et du rien. Cette équation qui a donné lieu à la Vie, à la diversité, et surtout à une machinerie récursive des plus incroyables appelée Homme. Les Hommes sont particulièrement intéressants, parmi toutes les Créatures que l'Univers a à observer, par ce qu'ils engendrent. Ils créent et auto-entretiennent la création, sans en être conscient, par leur espoir, leur rêve, leur interrogation. Et..."

Le tic-tac qui résonnait depuis bientôt 4 heures s'arrêta. K. avait arrêté de penser devant sa feuille blanche. Il leva les yeux vers le noir du Ciel et contempla les petites lueurs qui clignotaient doucement ici et là. Le jeune homme allait avoir 28 ans d'après la norme, et pourtant cela ne lui convenait pas. Rien ne lui convenait en réalité, son cerveau était en permanence bourré de ces chimères qui n'avaient arrêté de le poursuivre depuis sa plus tendre enfance. Du moins, aussi loin qu'il s'en rappelait, il avait toujours été habité par cette énigme dont personne d'autre ne semblait avoir conscience. Il était pourtant persuadé qu'il n'était pas seul, et se mit à rêver de ces Êtres dont il ne pouvait définir précisent l'existence, faute de mots et d'idées pour les qualifier. Il était simplement persuadé qu'il était l'un d'entre Eux. De quoi au-juste ? Qui étaient-ils ? Existaient-ils réellement ? Alors qu'il s'interrogeait, perdu au milieu de la nasse de ses idées, un éclair frappa et illumina le ciel. Un bruit assourdissant siffla dans ses oreilles. Presque instantanément, dans un geste de reflexe, il posa ses deux mains sur ses récepteurs auditifs afin de limiter cette sensation insupportable. Son visage se crispa, il ferma les yeux et se mit à crier.

"Assez, Assez... Je ne veux plus, non assez...."

Lorsqu'il ouvrit les yeux, son bras droit était douloureux. Il avait l'impression que des millions de petites fourmis avaient remplacé son membre, puis qu'il l'avait perdu. Il agita subitement et énergiquement sa main molle qui ne répondait plus, sans pouvoir retenir sa panique et ses larmes. Puis, petit à petit, les fourmis accélérèrent jusqu'à qu'il puisse enfin bouger les doigts, non sans difficulté. Le soulagement le gagna peu à peu, et il retrouva son calme au bout d'une à deux minutes qui lui avaient semblé être une éternité. Son téléphone vibra à nouveau, ce qui ne manqua pas de le surprendre. Il regarda brièvement autour de lui. La montre de son écran posé face à lui, seule source de lumière dans sa chambre plongée dans l'obsucrité, indiquait 3h42. Il souffla lorsqu'il comprit que pour la n-ième fois il s'était endormi sur son clavier. Il passa machinalement la main sur sa joue marquée par les traces que les touches avaient imprimées sans pitié, puis s'affala bien au fond de sa chaise. Il se saisit de son téléphone lorsque celui-ci vibra pour la troisième fois, se demandant brièvement combien de temps il était resté endormi, même si ce détail n'avait que peu d'importance. "Qui peut bien encore m'écrire à cette heure..." soupira-t-il. Ses yeux se dilatèrent à la lecture de la notification, ses mains se mirent à trembler, et la sueur apparût sur son visage. Son coeur battait subitement la chamade à nouveau alors que son index s'approchait du rectangle grisâtre.

"LANCEMENT DU PROJET L.U.N.A..." s'afficha à l'écran, suivi d'un sablier qui se mit à tourner inlassablement, tandis qu'une barre de chargement avançait à un rythme beaucoup trop lent à son goût. En vérité, il n'avait absolument aucune idée de ce qu'était L.U.N.A mais il avait le sentiment profond qu'il s'agissait de quelque chose d'important et de familier. Une chose qu'il avait oublié...

"FELICITATIONS ! SI VOUS AVEZ REUSSI A LANCER CETTE APPLICATION, C'EST QUE VOUS AVEZ ETE SELECTIONNE POUR FAIRE PARTI DU PROJET L.U.N.A. DE PLUS AMPLES INFORMATIONS VOUS SERONT COMMUNIQUEES ULTERIEUREMENT." Un petit chibi qui lui rappelait une de ses figurines Nendoroid tournayait en dessous avant de lui faire un clin d'oeil, le tout parfaitement synchronisé avec un son qu'il trouvait à la fois mignon et insupportable.

"Qu'est ce que c'est que cette blague..." se demanda K. en soupirant. Il ferma les yeux, se sentant idiot, et sans trop essayer de comprendre ce qui l'avait mis dans cet état. "Allons bon, mon téléphone a encore choppé un malware... C'est bien ma veine..." Il jeta son téléphone sur le bureau, éteignit son écran et s'affala sur son lit, las et épuisé.

Une agréable chaleur lui caressa la joue, tandis qu'une lueur jaune l'éblouissait. Au bout de quelques secondes, il se rendit compte qu'il était en train de cuire et ouvrit péniblement ses paupières. Le soleil venait de se lever, et la montre de son chevet indiquait 6h42. Fébrile, et d'un mouvement paresseux, il se redressa et tâta les alentours à la recherche de sa paire de lunettes. Après s'être frotté les yeux et giflé deux-trois fois pour se réveiller, le jeune homme se prépara en vitesse. Salle de bain, toilette, changement de vêtements, et le voila reparti dans sa routine quotidienne. Comme à chaque fois lorsqu'il prenait son petit déjeuner, K. alluma la télévision, bloquée sur la chaîne d'information DECTV depuis bientôt une dizaine d'années, bien qu'il ne l'appréciait guère. Jude Demonfin et son compère Dick Lassé s'égosillaient comme chaque matin.

"Et ce soir, on vous rappelle notre émission spéciale en direct du centre d'observation d'Honolulu. Une méga-Lune pourpre sera visible sur toute la surface de la planète à partir de 18h, un phénomène exceptionnel d'après tous les spécialistes. On retrouve notre envoyé spécial....."

K. ne prêtait guère attention, s'attelant à verser soigneusement son café dans une tasse à moitié-propre, avant de plonger son croissant dans le breuvage tiède. Il croqua à pleines dents dans la patîsserie, pendant que son autre main s'agitait à bouger la souris. Il passa rapidement en revue chaque instant-news publié par les utilisateurs. Moonter lui semblait sur le moment plus agîté qu'à l'accoutumé. Il devait surement s'agir d'une de ses périodes où le réseau social s'animait et s'enflammait pour un tout ou un rien, un peu à l'image de la panique qui saisissait les gens les soirs de pleine lune, de peur d'être envahi par les loups-garous. Il nota avec dédain que certains avaient encore sûrement trop bu. La citation la plus bizarre du jour provenait d'aileurs d'un mystérieux ghost : "La lumière unique du néant arrive". La pensée qu'il y avait de sérieux cas sociaux dans ce monde lui traversa brièvement l'esprit. Déjà, physiquement, la lumière ne pouvait pas provenir, par définition, du néant, un espace où il n'y a rien, et puis, bordel, même métaphoriquement cela ne signifiait absolument rien. D'un soupir, teinté d'un certain désespoir, il ferma la fenêtre sans remarquer qu'un message privé l'attendait.

K. finit son café et s'affala à nouveau au fond de son siège. Il ne s'en rendit pas compte, mais il se mit à fredonner, plongé dans ses soucis, alors qu'il passait en revue dans sa tête le fil de la journée qui l'attendait. Il était comme ça, il anticipait chacun des détails qui allaient lui arriver. Il s'avérait par ailleurs qu'il ne se trompait quasiment jamais, ce qui renforçait sa confiance et son assurance dans le fait que prévoir à l'avance tous les cas possibles lui conférait un avantage certain. Ainsi, il ne pouvait jamais, à aucun moment, être pris par surprise ou au dépourvu. Une fois sa besogne accomplie, il se leva et enfila une veste. Il ramassa ses clefs et sortit de son appartement... Un cliquetis se fit entendre.

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