France

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Assise au comptoir du Full Moon Café, je sirote une coupette de champagne. Fred, le DJ vient de lancer un morceau de Roni Size que j'adore mais il est encore tôt, l'ambiance est mitigée : pas trop de monde, quelques habitués mais personne sur la piste pour l'instant...

Tiens, un nouveau, je ne l'ai jamais vu celui-ci...

À l'ancienne le mec : pantalon de trekking noir, chaussures montantes, veste en velours côtelé, tombant sur une chemise col Mao beige débraillée du pantalon, comme il se doit pour tout rêveur has been qui se respecte. Le style bohème tête en l'air, peintre, sculpteur ou ce genre de truc. Pas totalement connecté à la réalité, un peu perché. Il plairaît à Elsa, c'est sûr ! Pourtant, il ne manquerait pas grand chose pour mettre en valeur ces jolis yeux bleus, un peu de couleur dans sa tenue vestimentaire, peut-être, et une once de modernité, assurément !

Il m'observe et me fixe d'un regard insistant. Et si c'était un détraqué ? Un de ces pervers qui vous déshabille d'un regard obscène avant d'aller se masturber aux toilettes ? Ou pire, un salaud qui vous emboîte le pas discrètement à la sortie et qui vous coince derrière une poubelle dans la première ruelle isolée ? Il manque le petit rictus malsain, il a une bonne bouille mais bon... Méfiance ! Tiens, qu'est-ce qu'il peut bien noter sur son carnet ? Bizarre... Et le voilà qui recommence à me fixer, mais qu'est-ce..... Ahhh, j'y suis, ok ! Encore un illuminé qui croît aux énergies, à la télépathie, ce genre de trucs ; comme si on pouvait tenir une conversation à dix mètres de distance avec ce volume sonore, n'importe quoi !

— Ok, tu veux jouer, coco ? On va jouer !

— Eh bien si c'est toi qui le propose, ça semble plus facile que je ne l'imaginais...

— Hop, hop, hop, mon mignon, t'emballe pas ! T'es pas mon genre.

— Je pourrais citer Molière mais je préfère mes propres vers : votre beauté n'.......

— Nan, je le crois pas, c'est le pompon ! Un poète... c'est bien ma veine ! Bon allez, je finis ma coupe et je file, moi.

Le mec finit son verre, se lève et s'approche du bar pour en commander un autre. À ma grande surprise, Jean-Phi, le barman, me ressert de sa part. Pour être tout à fait honnête, cette attention me flatte, je l'ai peut-être mal jugé, moi qui pensait que tous les artistes étaient fauchés... Cependant, restons pragmatiques, le "À ma grande surprise" était de trop. Le coup du verre offert, on ne peut pas dire qu'il ait fait dans l'originalité. Mon cul vaut bien plus que huit euros cinquante, coco, tu peux toujours te la coller derrière l'oreille ! Je le remercie malgré tout d'un signe de tête en levant ma coupe, comme pour trinquer à distance...

Merde, le voilà qui rapplique ! Bon pas de panique, on est dans un lieu publique, je suis en sécurité. Au moindre doute, j'appelle Tony, le videur, et il me débarrasse de ce boulet à coups de pompe dans le cul.

— Bonsoir, me fait-il en arrivant, j'espère que le verre offert ne vous a pas semblé trop cavalier...

Tiens, tiens... plus courtois que je ne l'aurais cru, le mariolle. Allez, laissons-lui une chance et voyons comment il s'en sort.

— Bonsoir. Non, c'est une attention que j'apprécie, merci. Un verre n'engage à rien.

— Exact ! Et ça permet de faire connaissance. Enchanté, je m'appelle Mathieu.

Oh punaise, un prénom d'apôtre ! Si ça se trouve, c'est sur une bible qu'il prenait des notes, tout à l'heure... Allez ma grande, panique pas, reprends-toi ! Tony est là, pas loin, de toutes façons...

France, enchantée. Vous êtes du coin ?

— Pas vraiment, je suis de passage. On pourrait peut-être se tutoyer ?

Je feins alors la surprise et la curiosité :

— Ah bon ? Et vous... enfin, tu viens d'où comme ça ?

— De Reims, jusqu'à mes dix sept ans...

— Et ensuite ?

— Ensuite, j'ai cru à l'amour quelques années... Depuis, je baroude à droite à gauche. En fait, je suis toujours de passage, où que je sois...

Hummm... Dans le mille, un perché bohème ! Pourtant, ce mystérieux bonhomme m'intrigue. Y'a pas à dire, ce mec dégage un certain charme. Au moins, il ne me raconte pas la messe comme tous ces mielleux soupe au lait qui prétendent être amoureux au premier regard !

Je vois... Et tu fais quoi dans la vie ?

— Pas grand-chose... Je me contente de vivre.

....

Soudain, profitant de ma stupéfaction face à sa réponse, il s'approche en inclinant la tête pour m'embrasser. Je ne saurais dire si c'est dû à l'effet de surprise ou son audace, peut-être un peu des deux mais je m'abandonne à son baiser. Il embrasse divinement bien. Nous terminons nos verres et quittons le bar main dans la main. Il me propose sans plus de formalités de le raccompagner jusqu'à sa chambre d'hôtel.

Gonflé le mec, pour la courtoisie tu repasseras !

Non pas que ça me dérange de passer pour une Marie couche-toi là, j'ai l'habitude et c'est sans doute ce qu'il pensera demain, mais l'hôtel en question est en périphérie Lyonnaise, à plus d'une heure de marche...

En talons aiguilles, merci, sans façons !

Et puis je me sentirai plus en sécurité à la maison. Bertrand, mon voisin geek et insomniaque, un nounours de cent vingt kilos veille au grain. Nous avons mis au point un code depuis ma rupture belliqueuse avec Eric. En cas de problème, je crie le mot magique et avec les murs en papier maché, il rapplique en moins de trente secondes après avoir appelé les flics...

La passerelle Saint-Vincent nous mènerait devant ma porte en quelques minutes mais il me faut rester pusillanime et garder la tête froide. Je choisis donc un itinéraire bis, plus éclairé et beaucoup plus fréquenté. Nous longeons les quais jusqu'au pont Galliéni que nous traversons, avant de revenir sur nos pas de l'autre côté du Rhône. Avec un peu de chance, il n'y verra que du feu et prendra cela pour une ballade bucolique au clair de lune, c'est bien le genre !

J'habite au rez-de-chaussée d'un petit immeuble. En pénétrant dans le hall, j'entends Marley, mon chat, filer se planquer en miaulant. Il nous a sans doute entendus arriver. Il est assez sauvage avec les étrangers mais je l'adore. En ouvrant la porte de mon appartement, je suis sereine. Je ne peux pas croire un seul instant que Mathieu me veuille le moindre mal. Certes, c'est un marginal loufoque, un peu barré mais il est drôle et naturel... Il m'a bien fait rire sur le chemin. Rien à voir avec un sérial killer, ou alors il cache très bien son jeu... Non vraiment, je pense que Bertrand peut finir sa partie de Fortnit tranquille...

Je suis fermement décidée à laisser à mon invité un souvenir impérissable mais je ne m'étalerai pas sur les détails de nos ébats. Non pas que je sois pudique mais je trouve cela vulgaire et indécent. Je préfère laisser le lecteur faire travailler son imagination, c'est bien plus excitant.

Bon d'accord, alors juste un petit détail croustillant pour les copines. Alors voilà, quelques minutes après nos galipettes, nous sommes allongés sur le lit dans les bras l'un de l'autre. je lui susurre à l'oreille :

— Et la sodomie, c'est pas ton truc ?

Pour seule réponse, j'obtiens une respiration un tout petit peu plus accentuée que les autres. Ce con dort déjà ! Bon ok, c'était cool, on s'est éclaté, tout ça mais bon... justement ! J'aurais bien remis le couvert direct, moi ! Ceci étant, c'est une boule de tendresse, il m'a caressée les cheveux, embrassée dans le dos à chaque réveil furtif, tout au long de la nuit...

Le lendemain matin, la porte qui couine en se refermant me réveille brusquement.

Non ? Il part sans dire au revoir ? Pfff, quel connard ! J'y crois pas ! Boule de tendresse, mon cul ! Il est comme tous les autres, en fait !

Colère, je me redresse dans le lit. L'image que j'aperçois à travers la fenêtre, pourtant floutée par le rideau, m'arrache un sourire. Mathieu vient d'entrer dans la boulangerie d'en face. Je décide de jouer la fille agréablement surprise, me recouche et fais semblant de dormir. À son retour, je l'entends bricoler dans le salon sans trop savoir ce qu'il fait. Je frétille d'impatience en percevant ses pas en direction de la chambre. Il dépose le sachet dans mon dos, se redresse et ressort de la chambre à pas de loup, sans un mot.

Le couinement de la porte suivi d'un claquement froid et brutal me glace le sang. Il est parti. Je me retourne et découvre un petit mot griffonné sur l'emballage papier des croissants :

"Merci pour cette douce nuit à tes côtés. Tendrement. Mathieu."

Même pas un numéro de téléphone, putain ! Rien à foutre de tes croissants... J'aurais presque préféré qu'il ne revienne pas car au final, le résultat est le même... Il part sans dire au revoir ! Il m'avait pourtant prévenue qu'il n'était que de passage...

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