CHAPITRE 16

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Entouré de deux soldats, Halotus patiente devant la porte des appartements d’Agrippine. Il jette des coups d’œil derrière lui, ses nerfs à vif le font sursauter dès le moindre toussotement, il se fige au moindre bruit de souris d'un esclave qui passe au loin dans les couloirs. Dans le fond du couloir, la silhouette trapue du geôlier attend également. Halotus a été prévenu. Les conséquences sont claires dans son esprit : s'il n'arrive pas à persuader Agrippine de le gracier avant le lever du soleil, son gardien le reconduira à la niche. Cette fois, plus de recours possible, toute tentative de corruption sera inutile.

L’attente s'étire, interminable. Halotus transpire, ses mains moites tremblent. Le manque de pavot et d’action se traduisent en tics nerveux qu'il ne peut dissimuler malgré ses efforts. L'obscurité des nombreuses fenêtres donnant sur l'Esquilin devient imperceptiblement mois dense. Le dieu du Soleil se prépare lentement à monter sur son char. Le moment venu, il déversera sa lumière sur Rome, une lumière synonyme de mort pour Halotus.

“Mais que fait-elle ? enrage Halotus, les yeux rivés vers la porte avec une intensité si forte qu’il espère scruter l’intérieur. “Peut-elle juger notre entrevue inutile, malgré le message que je lui ai fait transmettre ?” se questionne-t-il en triturant la lune au bout de son collier. “Impossible”, tente-t-il de se rassurer. “Je lui ai promis de tout lui révéler sur l’assassinat de Claude, elle serait folle de refuser…”

Pour chasser ses doutes et occuper son esprit, il élabore les différents scénarios de son entrevue avec Agrippine, imagine les questions et les réponses, tente de se mettre dans la peau de cette sorcière, vicieuse et calcutrice afin d'anticiper ses réactions et de réagir en conséquence.

Alors qu'il envisage le scénario désagréable où Agrippine, pour l'humilier, lui demande de se dénuder et de danser avant de parler, la porte s’ouvre brusquement. Il retient sa respiration. Un jeune homme l’observe de la tête aux pieds l'air absent. A son visage lisse et joufflu, ses grands yeux tristes et son pendentif en forme de croissant, Halotus reconnaît immédiatement l’un des siens.

  • Agrippine vous attend, annonce l’eunuque de l’impératrice de sa voix fluette.

Halotus lâche un soupir de soulagement et s’engouffre derrière l’esclave qui file tel un courant d’air dès l’apparition d’Agrippine.

Agrippine, entourée de quatre esclaves sensuelles, vêtues uniquement de bracelets et de torques dorés, se tient devant lui. Halotus prie intérieurement pour ne pas être obligé de se dévêtir comme les jeunes femmes autour d'elle.

Silencieuse dans sa robe écarlate, la tête surmontée d’un imposant postiche blond probablement confectionné à partir de cheveux d’esclaves de Germanie, elle l'observe avec un regard perçant . “Il y a plus d’épingles dans ses cheveux qu’il n’a fallu de poignards pour tuer César”, pense Halotus.

Le blanc de céruse appliqué sur son visage accentue la dureté de ses traits. Ses sourcils noircis à la cendre ainsi que le fard à paupières vert donnent à son regard une puissance redoutable. Halotus a l’impression qu’elle lit en lui.

Mais, ce qui frappe le plus le goûteur n’est pas tant son apparence que le parfum qu'elle dégage. Elle est nimbée d’un nuage irisé, mélange de fragrances de marjolaine, d’olive, de rose, de nard, de myrte et probablement d’autres ingrédients venus d’Orient qui agrémenteraient à merveille le poulet à la Parthe.

Jamais il ne l’a vue autrement que maquillée et apprêtée. C’est sa manière d’imposer sa supériorité à ses interlocuteurs. “Voilà pourquoi j’ai attendu si longtemps. Elle se préparait comme un gladiateur avant d’entrer dans l’arène. Moi aussi, je suis prêt, j’ai eu le temps de fourbir mes armes”, pense Halotus, déterminé.

Les froncements de nez répétés de l’impératrice indiquent que le parfum dégagé par Halotus l’indispose. Il doit reconnaître que sa fréquentation des thermes a connu un arrêt soudain depuis son arrestation, son odeur doit se situer à mi-chemin entre le marché aux bovins et la sortie des égouts une nuit de banquet.

“Les femmes ne portent pas leurs parfums coûteux pour elles-mêmes, car elles finissent par ne plus le sentir. Elles ne s’oignent que pour le plaisir des autres et l’admiration qu’ils leur renvoient”, philosophe Halotus. “En revanche, leurs parfums délicats ne les préservent pas de la puanteur des autres.”

Le spadone n’éprouve aucune honte à paraître ainsi, bien au contraire. Il compte sur son apparence misérable pour endormir la méfiance d’Agrippine. Une tactique digne de Claude pour manipuler l’impératrice et l’amener à le libérer.

Il se prosterne jusqu’à toucher le sol en marbre avec son nez.

  • O, Agrippine céleste, rivale de Diane en beauté et de Minerve en sagesse, je vous prie de m’excuser pour le dérangement à cette heure dont on ne peut dire si elle est tardive ou précoce. Assurez-vous que vous serez payée à la hauteur du dérangement.
  • Debout, Halotus. Je déteste parler à un tapis.

Halotus se relève, mais relâche ses épaules pour afficher la posture voûtée d’un vieillard. Courbé, la mine déconfite, il arbore un air délibérément servile.

  • Cela tombe bien, je déteste moi aussi converser avec le sol, répond-il en se maudissant aussitôt pour ce trait d’esprit incompatible avec l’image qu’il souhaite laisser paraître.
  • Nous allons bien voir ce que tu as à m’offrir, reprend Agrippine. Alors, la perspective de la mort t’a délié la langue ?
  • Oui, impératrice divine. Je suis si lâche et si faible. La mort m’effraie plus que tout. J’ai décidé de tout avouer. Mais d’abord, pourriez-vous demander à vos esclaves de nous laisser seuls ? Le secret que je m’apprête à révéler ne doit pas tomber dans de mauvaises oreilles.
  • Mes esclaves viennent des quatre coins de l’empire et n’entendent rien à notre langue. Parle, je t’écoute.

Le moment est enfin venu de se mettre dans le rôle qu’il a en tête. Cette fois-ci, il ne jouera pas la carte de l’honnêteté comme avec Britannicus. Sa partition sera plus subtile, plus risquée aussi.

S’il mène bien sa barque au milieu des récifs, il arrivera à bon port, libre et blanchi. Sinon, le naufrage l’attend.

Halotus baisse les yeux, autant pour donner l’impression de faiblesse que par honte du mensonge qu’il s’apprête à prononcer. Un mensonge à quitte ou double, sans retour en arrière possible.

  • J’ai bien empoisonné le plat de champignons, déclare-t-il. J’ai utilisé de la belladone, un poison indétectable et d’une efficacité redoutable.
  • Ca, je le sais, répond Agrippine sèchement, et tu ne m’apprendras rien au sujet des poisons. Penses-tu vraiment que cet aveu va te sauver la vie ?

Avis de grand frais. Halotus sent un frisson lui parcourir le dos. Il pensait mener la barque, le vent souffle plus fort qu’attendu. La navigation s’annonce houleuse, mais il maintiendra le cap. Il suivra son idée jusqu’au bout.

  • Bien sûr que non. Je suis également conscient que le fait de ne pas avoir agi seul ne réduit en rien ma culpabilité.
  • Ah ah, un complice, je m’en doutais !
  • Pas un complice, un commanditaire, corrige Halotus en levant un index professoral.
  • Et tu as obéi, toi, le fidèle serviteur de Claude ? Toi, son fils adoptif, son petit protégé qu’il emmenait partout comme un animal de compagnie ?

La comparaison touche le goûteur en plein cœur. N’était-il qu’un vulgaire chiot pour Claude ? Il se reprend, masque ses sentiments. Tenir fermement la barre, affronter les vagues. Il mime de caresser une pièce imaginaire entre son index et son pouce.

  • La somme proposée n’était pas… refusable.
  • Ah, l’argent, le plus vieux mobile du monde, grommelle Agrippine. C'est toujours l'argent qui fait la différence chez vous, les hommes... chez les semi-hommes aussi, apparamment.

Halotus approuve de la tête. Pour avoir l’air cupide, il sourit en montrant les gencives et en se frottant les mains. “J’espère que je n’en fais pas trop”, pense-t-il.

L’impératrice passe la main dans une de ses boucles blonde et la triture machinalement, avant de lancer, l’air de rien :

  • Mais dis-moi, tu es déjà plus riche que la plupart des sénateurs de Rome… oui, j’ai mes informateurs. Pourquoi aurais-tu accepté de trahir mon époux pour quelques pièces d’or de plus ?

Alerte dans l’esprit d’Halotus, récif en vue. Elle a touché juste. Il n’avait pas pensé à cette attaque perfide.

Son plan mis en danger, il doit rapidement trouver une solution, chaque seconde perdue décrédibilise un peu plus son mensonge. Doit-il plaider l'avarice ? Un penchant pour le jeu ? Une fréquentation assidue des maisons de plaisir coûteuses ? Inventer une dépense exceptionnelle que sa fortune ne couvrirait pas ? Ou, sacrilège, changer sa version et justifier sa trahison envers son maître pour un autre motif, comme par exemple un comportement inapproprié de Claude à son égard ? Non, Agrippine détecterait l’un de ces mensonges et cela le mènerait de Charybde en Sylla. De plus, il s’en voudrait de salir la mémoire de son maître.

“Il n’est pas de meilleur mensonge qu’une demi-vérité”, pense-t-il avant de répondre, d’une voix fêlée par la tristesse :

  • Le commanditaire m’a également promis la liberté que Claude s’est toujours refusé à m’offrir.

C'était la réalité. Claude n’avait jamais accepté d’affranchir son esclave. Sans doute avait-il peur que son loyal serviteur profite de la liberté pour s’en aller et le laisser seul. Et pourtant, si Halotus rêvait de liberté, ce n’était pas pour partir, mais pour rester encore plus près de son maître, ne plus lui parler en esclave, mais en ami. Seul le statut d’esclave lui pesait, lui qui était né libre et voulait mourir libre. Il redoutait par dessus tout de se voir abandonné sur l’île Tibérine, avec les autres esclaves hors service.

  • Qui est ce mystérieux commanditaire ? demande-t-elle.

“Agrippine a accepté l’existence de cet homme imaginaire. La première partie de mon plan fonctionne”, pense Halotus en essayant de masquer son soulagement.

  • Patience, ô divine maîtresse. Je dois d’abord vous expliquer pourquoi je le trahis aujourd’hui.
  • Cela me semble évident. Une fois que tu as commis le crime, il n’a pas tenu sa promesse, il t’a laissé tomber. Un classique.

Agrippine baisse les yeux vers les chaînes à ses pieds. “Parfait, elle complète d’elle-même”, pense-t-il. “C’est le moment de passer à l’offensive”.

  • Effectivement, ô céleste Agrippine. Jusqu’au dernier moment, j’ai attendu qu’il se manifeste et paie son dû. Hélas, il n’est jamais venu. C’est une grossière erreur de sa part, car il ignore que j’avais pris… quelques précautions.
  • Quelques précautions ? s’exclame Agrippine.

Une lueur d’intérêt brille dans ses yeux. Elle mord à l’hameçon. Il n'y a plus qu'à remonter la ligne.

  • Après avoir accepté son offre, j’ai surpris une conversation entre lui et un autre sénateur.
  • C’est donc un sénateur ?

Halotus sourit intérieurement, il amène Agrippine exactement là où il le souhaite. Il continue.

  • Votre sagacité n’a d’égal que votre beauté, ô, Agrippine. Mais laissez-moi continuer mon récit, la suite va vous intéresser. En l’écoutant à la dérobée, j’ai compris que cette crapule était en possession d’un document fort compromettant pour vous. Un document écrit de la main de Claude lui-même et qu’il comptait présenter au Sénat le jour du couronnement de Néron…
  • Qu’y a-t-il dans ce document ?
  • Claude souhaitait exclure votre fils de sa succession et mettre Britannicus sur le trône.

Un tic nerveux fendille imperceptiblement la couche de maquillage d’Agrippine. Halotus poursuit.

  • La divulgation de ce testament le jour du sacre de Néron, provoquera votre chute ainsi que celle de votre fils. Fort heureusement, vous avez évité le piège, puisque vous avez opportunément retardé l’annonce du décès de votre époux.
  • Où se trouve ce document ? demande Agrippine d’une voix aussi tranchante qu’un glaive.
  • Quand j’ai appris son existence, je me suis dit que je devais entrer en sa possession au cas où le sénateur envisageait de me trahir. J’ai profité des recoins de la nuit pour échanger l’authentique document avec un faux qui ne trompera personne.

En prononçant ces paroles, Halotus trouve le mensonge grossier, il craint qu’Agrippine ne flaire l’entourloupe.

  • Où se trouve ce document ? insiste Agrippine.
  • Bien en sécurité.

Halotus pense au geôlier à qui il a confié le précieux papyrus, moyennant la promesse d’une nouvelle somme. Son salut repose sur la confiance placée en cet homme cupide. Pourvu qu’il tienne sa promesse !

  • Donne-le moi, exige Agrippine en tendant la main.
  • Vous pensez bien que je ne vous le confierai qu’en échange de ma grâce et de la liberté que le sénateur me promettais. Je veux que les gardes soient témoins de la grâce impériale.
  • Et si je refuse ?

“Ne pas tomber dans le piège de la menace. Menacer, c’est se montrer dangereux.” pense Halotus. Il marche sur un fil ténu qui peut casser à tout moment.

  • Je ne comprendrais pas pourquoi vous refuseriez ma proposition. Grâce à moi, vous pourrez enterrer votre époux dignement, votre fils sera couronné et vous serez la personne la plus influente de tout l’empire, vous le méritez amplement. Bien évidemment, je garderai ma langue dans ma bouche et ce secret demeurera entre nous.
  • Je pourrais te tuer sur-le-champ, le résultat sera le même.

Halotus avale sa salive. Il sent son coeur tambouriner dans sa poitrine plus fort que les prêtres de Cybèle sur leurs percussions. Il devine des ombres mouvantes derrière les rideaux, imagine des sbires d'Agrippine prêts à lui régler son compte pour de bon au moindre signal de sa part.

Finalement, il devra bien répondre à la menace par une autre menace. Pour se révéler efficace, celle-ci doit être subtile.

  • En effet, approuve Halotus. Mon commanditaire n’est plus en possession du testament et n'a plus de moyen de pression. En revanche, si je venais à mourir malencontreusement, le document authentique serait révélé au monde, j’ai pris mes dispositions. Nous n’arriverons pas à cette extrémité, n’est-ce pas ?

L’impératrice ne parvient pas cette fois à masquer son agacement.

  • Entendu, tranche-t-elle.
  • Je suis heureux que nous soyons arrivés à un acc…
  • A une condition.

Désarçonné, Halotus déglutit avec difficulté, sa gorge sèche réclame une petite dose de pavot, rien qu'une petite dose... il pensait être arrivé à bon port, mais un dernier écueil se présente face à lui.

  • Tu me donnes le nom de ce sénateur, il sera châtié.

Vite, réfléchir, Halotus se maudit de ne pas avoir imaginé cette requête, il était pourtant évident qu’elle allait demander la tête du commanditaire !

  • Je ne veux pas vous donner son nom, répond-il.
  • Pardon ? Tu ne veux pas ? Insolent !
  • Je le peux, mais je ne vous le donnerai pas, car j’ai une idée que vous allez adorer et qui vous permettra de satisfaire votre désir légitime de vengeance. Je vous propose de le laisser se ridiculiser lorsqu’il brandira fièrement le faux testament. Vous aurez le plaisir de découvrir son identité et j’aurai le même plaisir à le voir tomber.
  • J’aime cette idée.

Halotus se félicite pour son improvisation. Il trouvera bien un ennemi d’Agrippine à qui fournir un faux document. Si le pigeon se laisse plumer, il sera responsable de sa propre chute. Sinon, il n’aura qu’à affirmer que le sénateur a renoncé au dernier moment. Il avisera à ce moment-là, son imagination le sauvera. Agrippine continuera à enquêter sur ce sénateur traître. Quand on cherche, on finit toujours par trouver.

Au moment de sceller leur pacte par une poignée de mains, Halotus se rend compte qu’il s’est habitué au parfum de l’impératrice et qu’il ne le sent plus. De son côté, Agrippine ne semble plus incommodée par sa puanteur. “Chacun s’est accommodé de l’autre, un équilibre est né.”, se réjouit Halotus.

xxx

Comme convenu, sa grâce se déroule une demi-heure plus tard. Ce délai permet de réunir un petit comité de témoins, parmi lesquels Burrus, le préfet du Prétoire, mais aussi le geôlier, qui semble sincèrement heureux pour son ancien prisonnier. Un prêtre de Cybèle, aux yeux maquillés à la hâte et vêtu de ses habits sacerdotaux à l'envers, complète ce groupe hétéroclite. Halotus note avec étonnement l'absence de Néron.

La cérémonie, se déroule dans un petit jardin, sous l'éclat du Soleil qui s'invite pour l'occasion. Le dieu Sol tant redouté est arrivé à point nommé pour saluer Halotus.

Le prêtre de Cybèle s'avance solennellement vers lui en portant une urne d'or remplie de braises fumantes. Issues de plantes rares et odorantes, elles emplissent l'air du petit matin et picotent les narines. Leur fumée purificatrice s'enroule autour de lui en une danse envoûtante, comme pour chasser son ancien statut d'esclave.

D'une voix morne, le prêtre prononce des incantations sacrées, puis déroule un long papyrus et décrit les nombreux privilèges et devoirs nouvellement accordés à Halotus en tant qu'homme libre, la liberté de circulation, le droit au mariage, à l'héritage, à la citoyenneté, à un procès équitable, le devoir de s'acquitter des impôts.... Chacun de ces droits est énoncé avec une solennité et une lenteur qui laissent à Halotus le temps de réflechir à son avenir.

Après la cérémonie, il retournera sur les lieux de son calvaire, non pas par nostalgie, mais pour rendre visite à son géniteur qui moisit encore dans le cachot. Il lui annoncera la nouvelle de sa grâce et de son affranchissement. Son père le maudira, frappera le vide avec ses poings, crachera son venin. Halotus le laissera s'égosiller. Quand son père sera à bout de forces, que son flot de haine sera tari, il lui annoncera qu'il le pardonne et qu'il renonce à la vengeance. Son père enragera davantage, mais Halotus n'en retirera aucune jouissance. Il lui rétorquera simplement qu'il aura tout le temps de réfléchir à ses actes, car il restera enfermé au Carcer Tullianum jusqu'à la fin de ses jours. Le geôlier a déjà accepté de conserver son pensionnaire ad vitam aeternam, moyennant rémunération, évidemment. Son père suppliera Halotus, peut-être même s'excusera-t-il et multipliera les promesses comme autant de mensonges, mais il sera trop tard. Devant le refus catégorique de son fils, il frappera les murs de rage et l'agonira d'injures

Miséricordieux, Halotus l'est. En revanche, naïf il ne l'est point : savoir son père dans la nature, toujours prêt à comploter contre lui, nuirait à sa sérénité.

Halotus n'oubliera pas non plus de rendre hommage à ceux qu'il considère comme ses véritables parents. Dès demain, il sacrifiera un bœuf en l’honneur de Cybèle et lui rendra visite tous les jours dans son temple jusqu'à sa mort. De même, il visitera Claude dans le mausolée d'Auguste où il sera inhumé aux côtés de ses ancêtres. Peut-être lui promettra-t-il alors de cesser la consommation de pavot somnifère qui, d'une certaine manière, a causé tant de souffrances alors qu'il était censé les supprimer.

Quant à son futur d’homme libre, Halotus hésite encore entre se lancer dans les affaires ou la politique. Son goût pour les mots, sa connaissance des intrigues et son intelligence font de lui un candidat idéal à ces fonctions. Il se voit déjà gravir les marches du cursus honorum, oeuvrer à un monde meilleur. Un jour peut-être parviendra-t-il à convaincre Rome de renoncer à l'esclavage ?

Des coups de tambourins ramènent Halotus de sa rêverie. Le prêtre lève le pileus vers le ciel, comme un trophée, marmonne de nouvelles formules, puis dépose le bonnet sur la tête d'Halotus. Les yeux cernés, le corps meurtri, Halotus accueille ce couvre-chef avec émotion et parvient à sourire, enfin. Libéré, délivré. Des applaudissements nourris accueillent l'événement. Une larme coule le long des joues du geôlier. Agrippine reste de marbre.

Une fois la cérémonie achevée, l'ancien esclave confie le papyrus à Agrippine, comme promis. L’impératrice le parcourt en silence, laisse éclater un rire de sorcière, puis le jette au feu avec mépris. Les flammes dansent et consument le document. Personne n’a l’outrecuidance de demander ce qu’il contenait.

Jamais les dernières volontés de Claude ne seront respectées, les flammes les ont dévorées.

Désormais, la voix est libre pour Agrippine et son pantin de fils, Néron.

Le cauchemar est enfin dans le dos d'Halotus. Une nouvelle existence pleine de promesses s'ouvre devant lui, sa troisième après sa vie d'enfant, d'eunuque, et désormais d'homme libre.

Du moins, c'est ce qu'il croit, car au moment de se séparer, Agrippine s’approche de lui et glisse à son oreille : “tu es beaucoup plus habile que je ne l’imaginais”.

Halotus remercie l’impératrice pour le compliment, mais lorsqu’il se retrouve seul dans sa chambre, les yeux fixés au plafond, il cogite et comprend la menace voilée derrière ces mots. Si Agrippine les avait accompagnés d’une offre de collaboration, il aurait considéré la proposition avec intérêt malgré son aversion envers elle. Mais là, ses paroles prennent la forme d’un avertissement qu’il ne peut négliger.

Il a échoué à dissimuler son intelligence. Agrippine se méfie de lui, le perçoit comme une menace. La partie n'est pas encore terminée, une ombre plane au-dessus de lui. Halotus se rend compte qu'il doit maintenant assurer ses arrières. Un dernier coup reste à tenter, une manœuvre astucieuse pour déjouer les intentions de l'impératrice et garantir sa propre sécurité.

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