CHAPITRE 1

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Les paupières de l’homme s’ouvrent sur le néant, telles des portes sur une nuit sans étoiles. Il pivote la tête, écarquille les yeux en quête d’une lueur, en vain. Tout autour, l’obscurité l’enveloppe, un noir sans nuance. Il ne discerne même pas ses mains qu’il agite devant lui avec frénésie.

Son cœur s’emballe, tambourine dans sa poitrine. Vient-il de rejoindre le royaume ténébreux de Pluton ? Des messagers de l’au-delà, tapis dans l’obscurité, lui tendent-ils la main pour l’inviter à rejoindre les âmes défuntes dans leur lente procession ? S’apprête-t-il à embarquer sur le Styx vers un monde inconnu et glacé, sous les lamentations aigres des fantômes ?

Sa respiration s’accélère à l’évocation de la Mort et du mystère insondable des dieux. Il suffoque s’agite, cherche de l’air comme un poisson sur le pont d’un bateau. La panique s’empare de son corps, il pousse des hurlements aigus qui ne reçoivent que le silence en écho. Il remue les jambes, un bruit de chaîne résonne. Aussitôt, il arrête ses gesticulations. Ses chevilles sont entravées. Paradoxalement, cela le rassure. On n’enchaîne pas les spectres. Ces fers prouvent la réalité de son existence. Un nouvel optimisme l'envahit, mais le soulagement est fugace. Il pense à Prométhée, le Titan qui a volé le feu aux dieux pour l’offrir aux hommes, condamné par Jupiter à être enchaîné à un rocher pour l’éternité, jamais résigné à subir son sort.

Si, comme pour Prométhée, la mort ne l’a pas cueilli, il est captif. Et à Rome, sous le règne de Claude, quand on vous emprisonne, c’est dans l’attente de vous exécuter.

Où se trouve-t-il ? Est-il aveugle ? Qu’a-t-il fait pour arriver dans ce trou ? Quel sort l’attend ? … et surtout, qui est-il, à part un mort en sursis ? Comment s’appelle-t-il ? Son impuissance à répondre à cette simple question l’étonne autant qu’elle l’afflige. A l’intérieur de lui, l’obscurité règne aussi. Il se recroqueville, ploie sous le poids de son ignorance, il a l’impression de redevenir un nourrisson inapte à la réflexion. Chaque tentative pour démêler ses pensées aboutit au nœud inextricable de son identité oubliée. Si Thésée était parvenu à quitter le labyrinthe grâce au fil d’Ariane, lui se retrouve empêtré dans celui d’une réflexion désordonnée. Un moucheron pris dans la toile d’une araignée, incapable de bouger.

Les larmes s’invitent. Il ferme les yeux pour en réduire le flot. Cette obscurité consentie l'apaise. Voilà enfin quelque chose qu’il parvient à maîtriser. Il se concentre. Puisque sa vue lui fait défaut, le toucher s’y substituera et l’aidera à répondre à ses interrogations. Utiliser un deuxième sens pour répondre à sa quête de sens.

Il masse son crâne, sent sous ses doigts une bosse de la grosseur d’un œuf, douloureuse comme une morsure, qui émerge de son crâne rasé. On l’a assommé. Il ignore s’il l’a mérité, mais il connaît à présent la raison de son amnésie. C’est un début, il vient de placer une première pièce sur la mosaïque de son portrait. Sa main s’aventure sur son front, presse ses paupières, sent ses globes oculaires intacts, glisse avec plus de confiance sur l’arête de son nez, bute sur une saillie. Un liquide visqueux et tiède s’écoule. L’homme grimace face à la douleur aiguë. Machinalement, il porte le doigt à sa bouche, fait claquer sa langue contre son palais, garde longtemps le liquide en bouche, gonfle ses joues. Aucune sensation de goût. L’homme replonge son index dans la plaie, goûte à nouveau, toujours rien, c’est comme s’il avalait sa salive. Une curieuse mélancolie s’empare de lui, il ne parvient pas à comprendre l'origine de cette soudaine affliction. Son incapacité à reconnaître la saveur du sang le perturbe plus que la fracture de son nez. Malgré la déception, il continue l’inspection de son corps, parvient à son menton, lisse et doux comme le marbre d’une statue. Quel âge a-t-il exactement ? Au toucher, son visage semble si jeune, ses traits si fins et délicats, presque féminins. Sa main descend à nouveau le long de son cou, caresse une tunique fine, légère, puis entre en contact avec un objet froid attaché à son cou par une chaînette. Un pendentif en forme de croissant de lune. La lune de la déesse Cybèle, la déesse mère venue de l’Orient, la mère de tous les dieux.

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