Je t'aimerai toujours

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Il me reste très exactement deux heures pour faire capoter le mariage de James. Il va falloir être efficace. Je vous vois déjà hausser les sourcils et vous demander quel genre de fille je suis pour vouloir faire une chose pareille. Mais vous ne comprenez pas. James, c’est l’homme de ma vie. Je ne peux pas le laisser faire ça.

Il ne nous aura fallu qu’un seul regard, une seule bouffée de cigarette partagée pour tomber fou amoureux. Nous ne nous sommes plus quittés après cette soirée chez Alix. Des milliers de textos échangés, des soirées à danser, lire ou discuter. Des nuits, serrés l’un contre l’autre, à partager chaque recoin de notre âme. Le véritable conte de fées en somme.

Malheureusement, quand on dit que l’amour dure sept ans, c’est vrai. Personne ne vous prévient que les étoiles et les paillettes, ça s’arrête du jour au lendemain. Un matin vous pensez innocemment que votre couple va bien, et le soir, vos clés ne tournent plus dans la serrure. Sans aucun signe avant-coureur, James s’est mis à m’éviter, à ne plus répondre à mes appels, jusqu’à prétendre ne pas me voir lorsque j’étais juste devant lui. J’aurais pu lui jeter un parpaing en pleine tête qu’il aurait continué à m’ignorer. Pas un mot, pas une explication. La pilule la plus dure à avaler de toute ma vie.

Des mois après, je l’ai vu rencontrer une autre fille. Je les ai vus partager ces précieux moments qui n’étaient qu’à nous, étaler aux yeux de tous leur bonheur éclatant, le genre de bonheur que l’on trouve puant chez les autres mais dont on rêve tous. Et aujourd’hui il se marie. A moins que mon intervention ne soit couronnée de succès. Une sorte de cadeau de Noël avant l’heure. J’ai été très sage cette année, je mérite bien ça.

Appuyée sur le meuble de la salle de bains, je me demande comment j’en suis arrivée là. Tout le monde vous dit qu’un cœur se répare, qu’avec le temps tout passe, mais c’est faux. Parfois on reste bloqué, et on se retrouve en mission au mariage de son ex.

J’en profite pour remettre un peu de rouge à lèvres, mais dans le miroir, la seule chose que je vois c’est la robe blanche de sa fiancée, suspendue devant la fenêtre. Un élégant corsage en dentelle fleurie et une montagne de tulle en guise de jupe. J’ai bien envie de faire accidentellement tomber mon rouge à lèvres dans cette direction. La princesse, ça devrait être moi aujourd’hui. C’est moi qu’il devait épouser, pas une autre. Il me l’avait promis.

Heureusement, la future mariée n’est pas là. J’espère égoïstement que le camion du fleuriste a pris feu ou que le traiteur est tombé en panne. Imaginez la scène si j’étais entrée dans la pièce alors qu’elle se préparait. Les demoiselles d’honneur en bouclier, au cas où j’essaierais de m’en prendre à elle. Tirée par les cheveux hors de la pièce, poussée dans l’escalier, humiliée devant tous. Devant James. Le cœur et la jambe, brisés.

Je sais. On m’a toujours diagnostiqué une imagination fertile, mais cela aurait très bien pu arriver, vous en conviendrez. Je serais même tombée amoureuse du pompier qui serait venu à mon secours, et alors oubliés James et sa nouvelle vie. A moi les mojitos sur une plage dorée, en lune de miel avec mon Apollon.

Allez reprends-toi ma belle, il ne te reste plus qu’une heure quarante-cinq pour retrouver l’homme de ta vie. La maison est étrangement calme. L'effervescence est encore loin d’être à son comble. Renoncules, camélias et roses, dans un dégradé de blanc : le fleuriste est en train de faire sa mise en place. Pas de catastrophe à l’horizon et cela me fait mal de l’avouer, mais la future mariée a bon goût. Il fallait s’en douter en même temps.

Dehors, la neige tombe à gros flocons. Le monde entier pourrait bien avoir disparu, personne ne le saurait. Le regard perdu, je reste quelques instants devant le paysage immaculé. Des images me reviennent. Une randonnée sur les hauteurs de Keswick. Le lac en contrebas aux reflets violacés, mêlés de touches d’orange. Les sommets enneigés tout autour. Sa main essuyant un flocon sur ma joue, rougie par l’effort et la morsure du froid. J’avais trébuché en l’embrassant et nous avions fini, tous deux, les fesses dans la neige. En se relevant, il avait gardé un genou à terre : « Veux-tu faire de moi l’homme le plus chanceux de l’univers ? Veux-tu devenir ma femme ? » m’avait-il alors demandé. J’avais répondu oui, les larmes aux yeux. Je revois nos bottes en train de sécher devant la cheminée. Les chocolats chauds fumants, que l’on a finalement bus froids, après s’être réchauffés sous un plaid, nos vêtements éparpillés un peu partout. Ce furent nos derniers moments ensemble. Au retour de vacances, tout a changé. Chaque jour, je me demande ce qui a foiré entre nous. Ce que j’ai pu faire pour qu’il me raye de sa vie du jour au lendemain. Aujourd’hui, je compte bien avoir une réponse. Aujourd’hui ou jamais comme on dit.

J’entrouvre une porte et tombe sur un placard à balai au contenu surprenant. En dessous des étagères sur lesquelles sont entreposés des produits ménagers, l’une des demoiselles d’honneur est affairée avec un jeune homme dont je ne vois pas le visage. Voilà un mariage qui commence fort. Je sens que cette journée restera dans les annales. A peine le temps de m’amuser de la situation, que j'entends le reste des demoiselles d’honneur remonter l’escalier en compagnie de la fiancée. Ça y est. Mon heure est venue. Je vais me faire griller avant même d’avoir pu apercevoir James. Par réflexe, j’attrape un vase de fleurs et fait semblant de les arranger en espérant me fondre dans le décor. Elles n’y voient que du feu, j’aurais pu être espionne !

Il ne reste plus qu’une dernière porte au bout du couloir. Si jamais James n’est pas là, je ne sais pas ce que je vais faire. Peut-être vider les réserves de champagne ou bien sauter d’un pont. Ou les deux. Mais non, jackpot. Il est là. Toujours aussi beau. Je ne peux m’empêcher de mordiller ma lèvre inférieure en l’observant. Costume bleu et nœud papillon couleur moutarde. En train de se recoiffer, il n’a pas remarqué mon entrée. Mon cœur s’emballe. D’un coup, je ne suis plus sûre de moi. Est-ce que j’ai le droit de lui faire ça ? J’avance d’un pas ferme. Lui ne s’est pas demandé s’il en avait le droit, lorsqu’il a piétiné mon cœur. Mais avant que je ne puisse lui dire quoi que ce soit, Richard, son meilleur ami, débarque dans la pièce.

C’est un peu grâce à lui que nous nous étions rencontrés. Il avait traîné James à cette fameuse soirée. Il avait assisté aux balbutiements de notre histoire. Et maintenant il allait l’accompagner devant l’autel, être le témoin de son amour éternel pour une autre. Quel traître.

— Alors mec, comment tu te sens ? Prêt à faire le grand saut ?

Blême, James s’assoit sur le divan en velours vert. J’ai toujours détesté le velours, ça attrape toute la poussière et les poils de chat.

— Tu crois qu’Estelle est vraiment la femme de ma vie ? demande James.

— T’es pas sérieux ? Tu te poses vraiment la question ?

— C’est juste que depuis ce matin, je ne peux pas m’empêcher de penser à Juliette.

Mon cœur saute un battement. Il parle de moi ! Il pense à moi ! J’ai presque envie de sauter sur place d’excitation.

— Arrête, tu te fais du mal. Il faut laisser le passé derrière toi et avancer. Estelle est une femme géniale. Je suis sûr que même Juliette, où qu’elle soit, te dirait la même chose. Vous serez heureux tous les deux, il n’y a pas de doute.

— Oui, tu as raison. Nous serons heureux…nous serons heureux, répète James.

Il se relève et serre son ami dans ses bras. Si seulement Richard savait que je suis juste à côté, à deux doigts de voler son fiancé à cette Estelle. Non mais pour qui il se prend à présumer de mon approbation ? J’irai lui dire deux mots tout à l’heure.

— Tu peux me laisser un moment s’il te plait ? lui demande James.

Je n’en reviens pas. Moi qui pensais m’être lancée dans une folle aventure en débarquant ici, et voilà que mon cher amour hésite à se passer la corde au cou. Le timing n’aurait pas pu être plus parfait. Je vais peut-être avoir le droit à mon happy end finalement. Alors que je commence à partir dans mes divagations – James et moi en fuite, la pièce montée renversée sur notre passage, le vrombissement de la Rolls Royce derrière laquelle est accroché un panneau en bois Just Married – je l’entends s’adresser à moi. Je ne pensais pas qu’il m’avait vue.

— Juliette…je ne sais même pas par où commencer. Je suis tellement désolé.

Je sors de ma cachette et le laisse continuer. La gorge serrée, l’air me manque. Le sol est devenu mou comme de la guimauve, il faut que je m’assoie.

— J’ai rêvé de toi la nuit dernière, continue-t-il. De nos dernières vacances et de cette question que je t’avais posée. On était tellement heureux.

Je le rejoins sur le divan. Une larme coule sur sa joue.

— Dès la première seconde où j’ai posé les yeux sur toi, j’ai su que j’allais te demander en mariage. J’avais déjà imaginé le prénom de nos enfants. Si on avait eu une fille, on l’aurait appelée Rose et pour un garçon, j’aimais bien Léonard.

— Qu’est-ce qui s’est passé James ? chuchoté-je.

— Je ne peux pas m’empêcher de penser que tout est ma faute, répond-il.

— Rien n’est irréversible. Tu n’es pas encore marié, partons.

Il tourne la tête et je ne peux plus scruter son visage pour un signe. Un timide rayon de soleil entre dans la pièce. Les yeux fermés j’en profite un instant. Ou bien est-ce pour retenir mes larmes que mes paupières se sont closes ? Sa voix est hachée de sanglots, lorsqu’il poursuit :

— Combien de fois j’ai repassé cette journée dans ma tête, me demandant ce qu’il se serait passé si j’avais choisi une autre balade, si nous étions passés par un autre endroit. Tu ne peux pas savoir comme je m’en veux.

— Mais de quoi tu parles ? On est rentré de vacances et tu m’as zappée, comme une vulgaire rencontre d’un soir ! Je méritais mieux que ça.

— J’ai cru que j’allais sombrer sans toi. C’était tellement dur. J’étais perdu, ma vie n’avait plus de sens. J’ai même pensé à...te rejoindre.

Sa voix se brise.

— Mais pourquoi tu as disparu de ma vie comme ça James ? Je peux tout entendre, tu sais. Explique-moi.

J’ai envie de l’attraper et de le secouer. De le frapper, de l’embrasser. Et puis d’un coup, je percute. Je me souviens. Le pont. L’impact. Ce n’est pas lui qui m’a quittée, c’est moi qui suis partie. Les murs disparaissent soudain. La gravité ne me retient plus. Ce poids que je trainais depuis si longtemps s’est envolé, mon cœur est redevenu léger.

— Quand j’ai rencontré Estelle, c’était comme si je pouvais de nouveau respirer, sortir la tête hors de l’eau. Elle a réchauffé ma vie, mon cœur…J’aimerais tellement que tu me dises que ça va, que continuer à vivre ce n’est pas te trahir mais honorer ta mémoire.

Lentement je m’approche de lui. Je sais maintenant qu’il ne peut pas me voir. Personne ne le peut. Personne ne me verra plus jamais. Je souris en pensant à mon film préféré, Ghost. Où est Odda Mae Brown, lorsque l’on a besoin d’elle ? Je pose mes mains sur ses épaules et il relève brusquement la tête.

— Juliette ? C’est toi ?

Je saisis l’occasion pour lui parler.

— Tout va bien mon amour. C’était mon heure, tu n’y es pour rien.

Il ne semble pas m’entendre. Les sens en éveil, il tourne la tête de droite à gauche, comme s’il s’attendait à me voir apparaitre, nimbée de lumière, sur fond d’Unchained Melody.

— Vis ta vie à fond, tu sais comme tout peut basculer en un instant.

Il secoue la tête.

— N’importe quoi James. Les fantômes, ça n’existe pas.

Il se relève et se regarde à nouveau dans le miroir.

— Je t’aimerai toujours mon amour, lui dis-je à l’oreille.

— Je ne t’oublierai jamais Juliette.

Il jette un dernier regard autour de lui avant de quitter la pièce, en route pour un avenir radieux, sans aucun doute.

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