Chapitre 5 : Quam minimum credula postero

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  Les pieds des gentes dames et des gentils damoiseaux battaient la mesure. Ils dansaient ainsi pour favoriser les bonnes récoltes. Une coutume ancienne et que l'on retrouvait ici, à la Cour du Roi Henri.

  Ses humeurs avaient fini par être moins sombres, surtout depuis qu'il avait répudié Anne de Clèves, sa quatrième femme. Un mariage sordide, arrangé pour des visées politiques et religieuses. Cette quatrième rose, enlevée de son propre chef de sa boutonnière, était restée intacte et dans un de ses moments d'égarement, l'avait donné à la pauvre reine infortunée qui n'avait pas compris le geste. Aujourd'hui, il ne lui restait plus que deux fleurs. Et tout était pour le mieux.

  Une toute jeune femme habillée d'une somptueuse robe rouge évoluait sur la piste de danse avec une énergie et une grâce comme il en avait rarement vu. Sauf, peut-être, quand il y avait Anne Boleyn et son sourire. Le roi, avec difficulté, se leva de son siège et tituba un peu sous le propre poids de son corps. La blessure à sa cuisse l'avait rendu de plus en plus inactif, préférant la bonne chair et la boisson, aux activités physiques comme la chasse qu'il aimait tant pratiquer dans sa jeunesse. D'un pas lourd et maladroit, il fit face à l'assemblée qui se tut. Cette dernière regarda le souverain se retirer, songeant qu'il n'était plus que le pâle reflet de ce qu'il fut autrefois. Loin de la figure solitaire et tyrannique qu'il incarnait à présent.

 — Votre Majesté…

  La jeune fille à la robe vermeille s'inclina avant de commencer à dénouer son corsage, dévoilant deux petits seins d'une blancheur virginale. Or, les gestes de Catherine Howard ne possédaient pas l'inexpérience que pouvaient avoir les pucelles. L'art de l'amour n'avait pas de secret pour cette demoiselle d'à peine dix-huit ans.

 — Notre rose sans épines…

  Car elle paraissait si douce et si innocente qu'il en avait oublié l'un des avertissements de la sorcière des brumes. Cousine de sa seconde épouse Anne Boleyn, Catherine Howard s'était fait remarquer alors qu'elle était demoiselle d'honneur d'Anne de Clèves. Divorcé d'elle, il ne leur fallut que trois semaines pour contracter un nouveau mariage et ainsi faire d'elle la femme la plus importante du royaume. Les Howards et en particulier l'oncle de Catherine, Thomas Howard, 3e duc de Norfolk, se complaisaient dans cette union, leur blason redoré après l'affaire d'Anne Boleyn.

  Même si l'on considérait la nouvelle souveraine comme une ingénue, elle œuvrait pour la cause catholique et excellait, comme sa cousine, dans les domaines de la mode et de la danse. La Cour redevint sous son influence, un endroit plus joyeux, plus radieux où la folie du roi semblait s'être muselée.

Henri retrouvait auprès d'elle, le goût de vivre. Un second souffle qu'il pensait perdu. Lui faire l'amour, en plus d'être un exercice des plus agréable, faisait renaître le jeune lion du passé. Elle ne tarderait pas à être enceinte et à lui donner un fils, un second pour être rassuré…

 — Répétez-nous votre devise ma mie…

  Couchée sur le ventre, la femme-enfant serra les couvertures entre ses mains, se mordant la lèvre inférieure alors qu'il la pénétrait avec rudesse. Elle finit par entrouvrir sa bouche en même temps qu'une larme échappait à sa vigilance. Catherine Howard avait d'autres rêves, dont un qui berçait ses nuits.

 — « Non autre volonté que la sienne »

  Ses pensées se tournèrent loin de ce roi rustre, obèse et repoussant. Vers un homme bien plus jeune et galant : Thomas Culpeper. Ces deux mots qu'une agréable voix venait de lui susurrer à l'oreille. Puis d'autres, qu'elle répéta sans s'en rendre compte :

 — Quam minimum credula postero.

 — Que dites-vous ?

  Catherine sursauta avant de sourire et de refermer les yeux pendant qu'il achevait sa besogne. Quam minimum credula postero, carpe Diem : « cueille le jour présent sans te soucier du lendemain ».

  Et c'était bien là l'idée de la rose sans épine.

  Dans une cellule froide et humide, une ombre blanche s'avançait vers un billot. Elle avait une démarche à la fois altière et résolue, semblait répéter des mouvements maintes fois exécutés. Comme une danse, une représentation. Sa dernière.

 — Quam minimum credula postero.

  Ses lèvres tremblaient. Ses jambes se dérobèrent sous elle et elle se mit à pleurer longtemps, la tête posée contre le bloc de bois.

 Demain, Catherine Howard sera exécutée.

 — Thomas…

  Henri l'observait dans un silence profond, macabre. Elle ne pouvait pas le voir, elle ne le pourrait plus jamais. Ses doigts n'étaient plus que des nœuds de phalanges blanchies. Cette traînée l'avait trahi pour un chien misérable alors qu'elle possédait le lion ! Indigné et aveuglé, le monarque fou n'allait pas se résoudre à lui offrir son pardon. Il n'y aurait pas de rédemption pour Catherine Howard.

 — Qu'elle aille en Enfer.

 — Tu la rejoindras bientôt, roi maudit.

  Au lieu de tourner la tête et de réagir, Henri se contenta de regarder la sorcière qui venait d'apparaître à ses côtés.

 — Vous semblez de plus en plus vieille à mesure que vous nous apparaissez, sorcière.

  L'intéressée eut un sourire.

 — Je ne suis qu'un reflet de ta personne.

  Les épaules de l'homme s'affaissèrent. Était-il aussi repoussant que cette créature ? À bien la regarder, le roi fut saisi par sa laideur. Il se souvenait de sa première apparition parmi les roses de son jardin.

 — Vous êtes comme les roses que vous nous avez données.

  Le sourire de la dame s'accentua.

 — Tu commences à comprendre.

  Il se voûta, cacha sa figure entre ses paumes.

 — Mais c'est trop tard. Et elle doit mourir. Ne nous a-t-elle pas trahis ?!

  Sombrement, la magicienne se retira, le laissant de nouveau seul face à sa folie.

  Demain, Catherine Howard sera exécutée. Le matin, en sortant de sa cellule, elle découvrirait avec horreur, la tête tranchée de son bien-aimé, l'expression figée dans une douleur perpétuelle. Ainsi qu'une rose blanche et rouge dont la tête avait été séparée de sa tige.

  Et lui, pauvre roi soumis aux élans de son cœur malade, ne connaîtrait plus que la décadence et l'ombre lointaine de sa grandeur maculée de sang et de larmes.

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