Chrysalide

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Ses yeux se noyaient dans le fracas des vagues. Le bateau tanguait dès lors que celles-ci s'écrasaient contre sa coque. Betsy scruta le ciel étoilé de la nuit. De la nuit ? Pas vraiment.

La vieille femme se sentait libre, après ces longues années de bons et loyaux services, en tant que médecin. Ses cheveux gris volaient au gré du vent.

— M'amie, interpella une voix derrière d'elle.

Elle se retourna vers l'homme qui se tenait derrière elle. Son mari, Kazimir. Il lui souriait. Un sourire si contagieux qu'elle sourit à son tour. Elle riait même. D'un geste de la main, elle l'invita à le rejoindre. Une fois, à côté d'elle, il inclina la tête.

— Pourquoi rigoles-tu ? questionna-t-il, amusé.

— C'est ton sourire qui me fait rire, ricana-t-elle timidement.

Il se contenta d'un simple haussement de sourcils. Elle replongea aussitôt son regard dans les vagues. Elle prit appui sur la rambarde du bateau, et enfonça sa tête dans ses bras croisés. Elle observa la mer, les yeux perdus dans le vide. Son rire s'arrêta net. Elle demeura silencieuse après ces dernières paroles. Kazimir n'aimait guère, le silence de sa femme. Ce fût un homme qui aimait discuter, rigoler, ne pas se prendre la tête. Un homme bien simple.

Cela semblait bien contradictoire à son statut d'aristocrate. Un prince. De nos jours, les familles royales de Mirèna n’avaient plus de poids sur la politique et les influences culturelles. Depuis une centaine d'années, la population a adopté le régime démocratique.

Il considéra sa femme gravement. Un flot incessant de larmes roulèrent sur les joues de Betsy, sa cage thoracique tressauta secouée par les sanglots.

— Hé, non, ne pleures pas. C'est Olivia ? interrogea-t-il, en posa sa main sur la taille de sa femme.

Elle l'observa un long moment en reniflant. La bouche de son époux se crispa. Il comprit immédiatement. A son tour, ses yeux se remplir de larmes. Kazimir s'approcha un peu plus d'elle, il l'a pris dans ses bras. Elle enfonça sa tête dans le creux de l'épaule de son compagnon.

— Oui, marmonna-t-elle en sanglotant, j'aurais préféré partir de ce monde avant elle.

Il ne sut pas quoi répondre. Il se contenta de l'écouter. Il plongea son regard sur les lointaines cotes d'Enir. Il détestait entendre sa femme parler ainsi. Il fronça des sourcils dès lors qu'il remarqua une silhouette se distinguant en haut des falaises. Une silhouette si lumineuse, si éblouissante. De là où il était, il ne pouvait pas distinguer ses yeux. Cependant sa couleur violette se démarquait des roches de calcaire. Des nuages sombres recouvraient le ciel. Ceux-ci stagnaient au-dessus du spectre. Il n'avait jamais rien vu de tel.

Il mit un terme à son étreinte. Il tapota l'épaule de sa femme et lui montra du doigt la forme qui se dressait en haut du belvédère. Elle sourcilla.

— Etrange..., lâcha-t-elle seulement.

— Tu le vois ? questionna-t-il.

— La tempête ? retorqua-t-elle.

— Non, la personne en haut de la falaise, désigna-t-il avec un geste du menton.

— Il n'y a personne en haut de la falaise, assura-t-elle.

Était-il le seul à voir cette personne ? Était-ce une ombre ? Un spectre ? Une hallucination ? Il n'en savait rien, de si loin il ne pouvait pas distinguer grand-chose. Il écarquilla les yeux, lorsqu'il vit le spectre se jeter à l'eau. Puis plus rien. Les nuages recouvrirent la voute étoilée de son voile noir en amenant avec elle une forte averse.

— Rentrons... déclara-t-elle en tenant le bras de son mari.

Ses yeux scrutaient les vagues à la recherche de la personne qui s'y était jetée. Il se dégagea le bras, il secoua la tête et il refusait de partir tant qu'il n'a pas retrouvé le corps. Il se dirigea vers le gouvernail, il barra le bateau en direction des falaises. La pluie battante. La forte houle. Le vent violent.

Betsy regarda son mari, l'air ahurie. Elle ne comprenait pas sa réaction. Il semblait concentré sur ses eaux qui se déchaînent. Elle prêta plus d'attention aux yeux du marin. Ils étaient devenus entièrement noirs et des larmes de la même couleur roulaient sur ses joues. Elle eut un mouvement de recul, horrifiée.

Pas lui. Pas maintenant.

La peau basanée de Kazimir s'était, par endroit, craquelée. Son corps se décomposait. Des morceaux de peaux flottaient autour de lui. Il ne répondait pas aux nombreuses interpellations de sa femme. Il semblait vide. Le bateau fonça à toute vitesse vers les côtes. Le cœur de Betsy s'emballa. Le navire allait s'écraser contre les roches. Elle refusait de finir sa vie comme ça. Elle rejetait l'idée de ce concept de finitude que certains appelaient la Mort. Quelque chose de bien rare et défendue. Ce n'était pas naturel. Elle se sentait impuissante, elle ne savait pas barrer un bateau.

Ni une, ni deux, au moment où le bateau allait percuter les roches, Kazimir se jeta dans l'eau. Laissant sa femme sur le pont. Le navire s'écrasa contre les côtes. Kazimir se laissa couler dans les flots. Au loin dans les profondeurs des océans, il vit la silhouette violette qui se distinguait de l'environnement marin. Il pouvait deviner ses trois yeux or qui contrastaient avec sa peau mauve.

La silhouette se dirigea vers lui. Elle traînait derrière elle, une longue fumée mauve. Ses mains étaient démesurément grandes. Un corps cinq fois plus grand que Kazimir. Le grand corps saisit Kazimir entre ses grands bras. Le marin se sentait si petit. Dès lors qu'il l’a touché, il reprit conscience de lui-même. Il leva la tête vers le reste du bateau qui coulait au fond des mers. Il pensa à Betsy. Elle n'était plus. Son cœur se serra. Il ferma les yeux.

Le spectre serra Kazimir contre lui. Le marin glissa ses mains dans son dos. Le spectre serait-il le seul moyen de le consoler. Il n'en savait rien mais il ne pouvait que se raccrocher à lui. Il n'avait rien d'autre. Même si la créature semblait effroyable avec son long corps, ses grandes mains et ses trois yeux dorés. Kazimir trouvait à la créature, une présence chaleureuse. Rassurante. Paternelle.

Il remarqua avec effroi : sa peau qui se détachait de lui. Il comprit. Il comprit que ce fût à son tour de quitter ce monde. Et il l'acceptait. C'était ainsi. Mais il refusait de perdre sa femme comme ça. Comment avait-elle péri ? Était-elle encore vivante ? Des questions auxquelles, il ne préférerait pas penser. Les Mireniens refusaient la Mort. La décomposition du corps du marin fût la première étape de ce que les habitants de ce monde appelaient Kashir.

Il avait parfaitement conscience de ce qui lui arrivait. Son corps se métamorphosait. Même s’il fut préparé à ce départ, son cœur tambourine dans sa cage thoracique. Ce n'était que théorie, et maintenant il le vivait. Sa peau se déchirait, ses muscles se tendaient avec la métamorphose. Puis plus rien. Il ne sentit ni son cœur battre, ni ses muscles qui tiraillaient, ni sa peau se déchirer. Son enveloppe physique s'était évaporée.

Il remarqua aussi que l'endroit où il se trouvait quelques secondes auparavant, s'était, lui aussi, volatilisé. Laissant la place, un environnement hostile, des troncs d'arbres couchés au sol, la vie ne semblait pas prospère. Il était vide. Malgré l'ambiance lugubre, le lieu illuminait d'une lumière bleue éclatante. Le spectre se sépara de Kazimir et, à sa surprise lorsqu'il se rendit compte qu'il faisait la même taille que lui. Leurs corps furent composés de la même manière. Kazimir devint comme le spectre.

— Qu'est-ce que vous me voulez ? interrogea-t-il.

Sa voix résonnait dans l'espace vide.

— Moi ? Rien. Je ne sais même pas ce que je fais ici, je suis tout aussi confus que vous, déclara le spectre violet.

— Vous aussi, vous allez partir ? demanda-t-il.

— Non, regardez-moi, j'ai encore le fil doré qui me suis partout.

— Qu'est-ce que cela signifie ?

— Je suis encore rattaché à mon corps physique.

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