Bienvenue ! Bienvenue ! Bienvenue !

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Bienvenue à vous Inuits, de la Sibérie au Groënland Tunngasugitsi !

Vous les peuples de la glace, de la pêche et de la chasse, vous les hommes aux kayaks effilés, aux traineaux rapides venus de Nunavut et Kalaallit Nunaat ! Bienvenue, bienvenue ! Bienvenue ! Frères ! Yupiks de Bering, de Saint Laurent et d’Alaska ! Quyana, ô peuple chasseur de baleines !

Bienvenue, bienvenue ! Yakoutes des monts boisés, des fleuves recouverts de glâce, chasseurs d’élans, chevaucheurs de cavales dans le blizzard !

Bienvenue ! Aléoutes aux maisons enterrées, manieurs de harpons ! Sublimes dans l’art du tissage, des paniers, des bateaux, de tous les arts, manieurs d’armes affutées ! Et vous, Tchouktches et Koriaques de la mer d’Okhotsk et de l’Anadyr, Bienvenue ! ô lanceurs de flèches dont l’oeil brille au vu des rennes galopants ! Nenets ! Princes de la toundra ! Du Yamal au Taymir, qui verra votre lieu ? Toujours mouvants dans la steppe, la tente est votre patrie, le vent des saisons votre aiguillon, le museau des bêtes votre horizon, vos frontières !

Enètses ! Qui luttez pour votre survie tout au bout de Krasnoïarsk, bienvenue ! Khantys et Mansis de l’Okroug de Iougra, riches en pétrole ! Dont la langue se parle même dans les rues de Budapest dit-on, bienvenue ! Et vous frères Nganassanes, et vous frères Selkoupes ! Tous de la branche Samoyède, bienvenue ! Sames ! Que certains appellent Lapons, de Norvège, Suède, Finlande et Russie, votre vue nous comble et dilate nos cœurs ! Que vos rennes vous apportent bonheur et prospérité ! A vous tous, Evènes, Evenks, kètes, à tous les peuples de l’Alliance Actique, bienvenue !

L’orateur, un vieil homme à longue barbe blanche et cheveux broussailleux, aux pommettes saillantes, habillé à la mode des Aïnous de Hokkaido, marqua une pause. L’assemblée, recueillie, comblée, écoutait toutes oreilles pointées ces préliminaires glorieux, petites oreilles rondes des Nenets et des Yakoutes, grandes oreilles poilues à lobes tombants des Kètes. Tous regardaient de leurs yeux en amande ou arrondis, sous des sourcils épais, broussailleux, minces, relevés en pointe sur les côtés, ou joints par le milieu, selon son peuple et la mode du moment.

Le vieil homme, satisfait de son petit effet, regardait, attendri. Il y avait le vieux Noum, des Nénets du Yamal, qui le considérait en souriant d’un sourire léger. Noum, avec qui il avait bu le sang des rennes lorsqu’ils étaient plus jeunes, auprès de la carcasse éventrée et fumante. Il y avait aussi Josh l’Aléoute, toujours occupé à des travaux répétitifs et de construction, doué en chants de travail et mélopées traditionnelles, un brin taciturne, toujours sentant le feu et la graisse, mais fidèle depuis ce jour où ils s’étaient découverts un goût commun pour la chasse à la baleine, harpon à la main, restant des heures à épier l’horizon frémissant de la mer. Et puis Boris, le Khanty, à qui il devait sa plus effroyable beuverie, à moitié mort d’avoir trop bu de Vodka, à errer en 4x4 sur les pistes défoncées de la russie centrale. Et puis tous les autres, Markku le Same, Frederik de la côte est du Groenland.

Il y avait aussi le Yakoute. Un problème, ce Yakoute, rival que tout le monde soupçonnait de renseigner les services russes. Mais, qui n’y allait pas de son entregent personnel pour obtenir qui un crédit, une subvention, une adaptation des règles de chasse ou de pêche, une meilleure prise en compte des intérêts fonciers ? Le Yakoute avait perdu aux dernières élections du conseil. Il ne s’en remettait pas. D’ailleurs le « problème » commençait à bouillir, à fumer, et il n’y avait qu’à compter jusqu’à trois pour qu’il prenne la parole. Le vieil homme compta, tout en terminant la tournée des sourires et des regards.

« Un, deux… »

  • Si je puis me permettre, Toshiro, ce changement à l’ordre du jour aurait dû être annoncé. Nous avons tant de sujets à débattre et tu nous rajoutes une absurdité. Le Père Noël ! Cette légende ne vient pas des ancêtres, et il faudrait encore nous en mêler ? Défendre le père Noël - Créature de l’Occident ! - alors que tant de petits peuples luttent pour leur culture, leur langue, leur survie !

Il y eu des murmures d’approbation.

Depuis quelques temps déjà le petit et timide représentant des Thuléens gigotait sur son siège, remuant les lèvres en silence sous l’emprise d’une pensée qui semblait lui venir du plafond.

  • Les chinois, les chinois… Avez-vous pensé aux chinois ? Toshiro, j’ai préparé une motion sur l’importance du tourisme en arctique. Les Thuléens croient au chinois. Avec leur nombre, leur technologie et leur pouvoir d’achat, et puis les problèmes de surpopulation, c’est sûr, ils vont venir en masse visiter nos pays vierges ! Voir nos beaux paysages, les taïgas immenses, les marais, les banquises ! C’est une honte inadmissible que les infrastructures ne suivent pas. On empêche le développement. Il nous faut des routes, des autoroutes même ! Des hôtels de luxe, quatre étoiles, non ! Cinq ! Le chinois est délicat. On en a eu un, une fois, arrivé en hélicoptère de Krasnoïarsk, il voulait voir le pays et vivre sous la tente. Mais il n’a pas supporté la viande de renne séchée, il a fallu l’évacuer après qu’il se soit vidé les tripes dans nos prairies. On a dû déménager les tentes. Depuis, on appelle le coin « le caca du chinois » et on l’évite. On le dit aux enfants, et puis aussi, pour qu’ils surveillent le bétail, sinon on va devoir l’abattre : « là-bas, il faut pas y aller, c’est le Caca du Chinois ». Alors on fait comment pour avoir des chinois ? Et des roubles chinois ? Vous les américains, vous savez construire des hôtels cinq étoiles !

Le représentant Inuit se gratta l’arête du nez, pensif.

  • Si vous croyez que c’est facile ! Le dernier hôtel, on l’a fait en glace. Tout Hollywood venait dormir sur nos peaux d’ours. De la belle glace d’eau bien propre, tu tapes dedans, ça résonne comme un cristal ! Mais y’en a qui a un qui a voulu monter la température, pourtant bien réglé sur – 4° Celsius, parce qu’ils viennent pour faire des tourne-retournes avec des demoiselles. Alors ils aiment pas le froid, ils sont pas habitués comme nous ! Ils se sont retrouvés à patauger, à poil. L’assurance n’a pas voulu marcher. Pourtant y'avait marqué « dégât des eaux » sur le contrat. Mais ils ont dit qu’y avait pas de fuite, alors pas de « dégât des eaux » ! La clause « incendie » ça marchait pas, la glace ça brule pas. Oui mais ça fond on leur a dit. " Défaut de construction", ils ont dit. Quoi ! Nos igloos, défauts de construction ! On a fait un procès à la compagnie d’assurance. Le gars d'Hollywood était bien embêté d’avoir foutu en l'air notre bel igloo traditionnel, pour son image, alors il a conseillé l'avocat, tout payé net ! Et on a gagné ! C’est la jurisprudence « Inuit Council vs Marsh and Mac Lennan Companies » Ils apprennent ça dans les universités, ça doit bien les faire rigoler. Depuis, l’hôtel a complétement fondu. Et là c’est pas le poêle, ni l’igloo - top construction de mon beau-frère – c’est le climat. C’est pas nos maisons qui ont un défaut, c’est le climat. C’est ça qu’on doit dire à l’ONU !

"Oui, s’écria l’assemblée, oui, bravo !"

  • Ha ! Mais voici le shaman enquêteur que nous attendions.

Dans la salle entra un petit homme. Il enleva son capuchon de fourrure, secoua la neige poudreuse qui recouvrait sa tête. Il venait d’entrer par le sas extérieur et n’avait pas pris le temps de se changer, considérant étonné l’assemblée disparate qui venait de se lever.

  • Bienvenue à vous, chaman Arthur Tungalik ! Je vous présente notre meilleur agent.

Le Yakoute ne put s'empêcher d'intervenir.

— Il me semble, Toshiro, que tu n'as pas dit l'essentiel. Quelle sera donc sa mission ?

Toshira laissa flotter son regard sur le petit groupe avec un fin sourire, puis subitement pris le visage que son discours imposait.

— Messieurs, le Père Noël a besoin de notre aide !I Il est en danger de mort !

Le Thuléen leva le doigt avant de reposer sa main. Tous se regardèrent de surprise. Le Yakoute tapota un ongle nerveux sur la table et dit simplement,

— Ha.

Une heure plus tard, Arthur Tungalik, agent de conservation de la Faune Sauvage de seconde classe et chaman réputé, repartait, faisant claquer son fouet au dessus des chiens. Le ciel était bleu intense, et la glace crissait, nette, son corps vibrant de plaisir. Mais son oeil restait dur. Au fond de lui l’inquiétude coulait comme l’eau sous les glaces au printemps.

Partir à l’autre bout du monde ? Sauver le patrimoine immatériel du peuple arctique ? Sauver le Père Noël ? Ils avaient parlé d’évolution, de modernité, d’adaptation. D’un Père Noël menacé, loin, très loin d’ici. Tout était déjà arrangé avec le gouvernement fédéral canadien.

Quitter tout ça. Bien obligé. Il connaissait les dangers qui pesaient sur l’Arctique. L’accumulation des toxiques dans la chaîne alimentaire, les pesticides, la radioactivité, qui se retrouvaient dans la viande des phoques, baleines, et même des rennes. Le jet-stream, immense masse d’air roulant autour du globe, entre le 45e parallèle et le pôle, perdait de sa vitesse à mesure que l’on remontait sur le toit du monde. Alors, au centre de ce tourbillon redescendaient, s’accumulaient, tous les résidus de la planète. Mais il y avait plus encore.

Le réchauffement climatique était particulièrement sensible cette année, la période de chasse, était de plus en plus courte, il n’y avait plus assez de neige et de glace pour donner du plaisir aux chiens. A la place, il n’y avait qu’une transpiration infecte, les moustiques, les phoques trainant égarés dans la boue fétide. Et il y aurait plus encore. Les gaz volatils piégés dans le pergélisol et les fonds des océans allaient se retrouver libérés, accroissant l’effet de serre dans un mouvement que rien n’arrêterait.

Les cultures de l’arctique, si fragiles face aux grosses machineries des pays du Sud : Russie, Etats-Unis, Canada, Europe, avec leurs états puissants, leurs bases militaires, leur économie, leurs lois, les mines, le pétrole… Il donna du fouet au dessus des chiens et cria.

Evidemment, ils n’avaient pas l’embarras du choix. Il fallait quelqu’un qui passe à peu près inaperçu dans les rues d’une grande ville, qui parle des langues véhiculaires et ne sente pas trop le poisson, la graisse de phoque ou le renne, et puis, qui puisse voir toutes les machines de la vie moderne sans marquer un temps d’arrêt et prendre à partie le premier venu dans sa langue maternelle pour lui dire combien tout cela lui semblait intéressant. Comme ce pauvre Vanouïto qui, invité à l’ONU à la conférence des peuples arctiques, avait pris le train pour Boston. La police l’avait finalement arrêté, dans son costume Nenets traditionnel, ivre mort sur le campus du MIT, attablé avec des étudiants russophones qui s’étaient entichés de lui faire raconter les coutumes de son pays.

Il donna à nouveau un ordre bref à ses chiens, énervé par cette situation des peuples frères, les Peuples Arctiques, si divers, et pourtant si proches.

Bientôt, si les chiens avaient du cœur à l’ouvrage, il serait dans le petit monomoteur qui l’attendait sur la piste enneigée à une trentaine de kilomètres encore, sur la bordure du plateau, en lisière de la banquise.

Mais pourquoi le Notanou ? Tout était dans la lettre que lui avait remis Toshiro « A lire dans l’avion, départ de San Francisco » était-il écrit sur l’enveloppe qu’il serrait à l’intérieur de son parka rouge en micro fibres haute protection « Le must » pensa-t-il. "

« On est bien ici. Pourquoi partir ? »

"Pourquoi faire appel aux chasseurs de l'Arctique ?"

"Sauver le Père noël ? Encore une fois ? D'habitude, il fallait secourir des hurluberlus déguisés, en route vers le Pôle en traineau, avant qu'ils ne gèlent complètement."

"Mais qui était-il, celui-là, pour mériter autant d'attention ?"

"Et dans quel pétrin s'était-il donc fourré ?"

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