Le sang des cendres

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Les mots blessés tentent de briser la barrière de mes lèvres.

En vain.

Coincés dans ma gorge, ces sentiments brisés ne cessent de me tourmenter, si bien que ma respiration se saccade alors que l’horloge délabrée égrène ses heurts ponctués par ce tic-tac funeste. Un rythme décousu, à l’image de mes pensées, incapables de se mettre en place tant le spleen me scie les nerfs, triture mes neurones, ronge mes entrailles. Les lettres se chevauchent, s’entrechoquent dans mes abysses ; même mes mots ne veulent plus rien dire. Comme si les définitions n’existaient plus, comme si le sens même de mes maux prenait le pas sur ce que je suis.

Impossible d’aligner les syllabes, elles s’écorchent dans un brouhaha inaudible que seul mon esprit entend. Ma conscience s’étiole dans la brume et je me contente de fixer un point invisible, le voile funeste du destin s’emparant de mes iris perdus. Placide et éteint, mon visage ne s’illumine plus depuis des lustres ; l’interrupteur de la bonne humeur et du bien-être n’est plus qu’un ramassis de câbles dénudés et mâchouillés par mes ombres. Ces mêmes ombres qui habitent chacun de mes traits semblent me dévorer de l’intérieur, à tel point que même mes rides ne sourient plus.

Tremblant, un cortège d’idées noires suit mes pas.

Des réminiscences amères s’affolent dans mes plaies d’esprit.

Les paysages défilent à trop grande vitesse entre les limbes.

Et moi je les regarde, comme une vache folle qui tente d’admirer le train qui passe.

Mes chaînes ne peuvent se briser, en haillons je m’évertue à gravir l’éternel escalier de la déréliction, trainant au passage le thrène de mon existence. Cet appel mortifère si intense que les dernières feuilles d’octobre tombent lourdement et s’égratignent dans l’oubli ; ce glas d’agonie murmuré à l’indicible et crié de par les sombres tombeaux.

En équilibre sur un fil, je ne suis qu’un funambule en manque de stabilité. Un seul souffle acide de plus et c’est la chute. Mes idées lacérées ne sont plus que des lambeaux putrides qui collent à ma peau, une peau d’albâtre en quête d’un semblant de chaleur qui ne vient jamais. Je n’écris presque plus, ma plume auparavant florissante se transforme en panache défraîchi d’où s’écoulent des relents d’abandon, des remugles d’échecs. Je m’écris encore moins, et pourtant, par à-coups, je réussis à cracher des bouts de mon âme défaite, des morceaux fades vomis sur le chemin des ténèbres.

Quotidiennement, je m’efforce de ne pas noyer dans ce lac de merde sans fond qu’est ma vie. Enlacé par les bras diaphanes de la solitude, j’erre tel un fantôme égaré dans la fange du monde. Quotidiennement, je coule et ne dois ma survie qu’à la fatigue qui a raison du mal-être qui m’environne et me drape de son manteau d’effroi. Je ne suis plus qu’un ciel sans étoiles, une mer sans eau, un avenir sans possibles. Morosité et spleen s’entremêlent dans un amas visqueux de terreur, et moi je suis là, inerte, impassible, ineffable, simple spectateur d’une vie qui n’est plus la mienne, acteur muet d’un film sans couleurs.

Voilà tout ce que j’aurais dû dire en réponse à ce « ça va ? », mais je ne peux que souffler un sourd « hum » que chacun prend pour un « oui » (ignorant le « non » sépulcral qui devrait alors retentir) pour conclure par le poli mais laconique « et toi ? ».

Tous les jours, je me dis qu’un jour j’ôterai mon masque et confesserai mes douloureuses vérités. Vient alors la très attendue vêprée, le seul moment où les bruits du monde se font silence le temps d’un instant. Je renais alors comme je peux, triste phénix dépourvu de ses dons. De ces espoirs du soir, ne restent plus alors que le sang des cendres au petit matin.

Tous les jours, au réveil, j’oublie et me renferme derrière les remparts friables érigés au fur et à mesure que le temps passe et que ma force trépasse. Je ne suis plus que souvenance qui se délite, rêve qui s’oublie. La géhenne s’embrase et m’embrasse à nouveau, les souffrances m’érodent, moi qui ne suis plus qu’un pauvre mur de lamentations ruiné, qu’une pauvre étoffe ternie et loqueteuse.

J’érige alors – à l’usure – les drapeaux noirs et m’enfonce un peu plus dans la Nuit.

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