Éclipse mémorielle

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Le ciel azuréen, lit naturel de nuages duveteux, était zébré d’éclairs scintillants. Le vent charriait des bourrasques algides, la voûte céleste commençait à pleurer. Quelques volatiles timides tentaient de virevolter. Au sol, un couple de personnes âgées se baladaient main dans la main le long de la plage, une large étendue de sable blanc sur laquelle siégeaient pléthore de magnifiques coquillages et de brillants galets. Alors qu’une épaisse écume mousseuse se formait au loin sur l’estran, la grève habillée de sablon restait calme, témoin silencieux d’un amour qui se fane.

La nuit entamait sa danse obscure et le couple sentait la fatigue s’emparer d’eux. Leurs muscles frêles les brulaient, ne pouvant plus les porter. Après plus de soixante années de vie commune, les amoureux sentaient le poids de l’âge. Les années commençaient à les rattraper, le sablier du temps se fissurait. Cela faisait maintenant quelques mois que leurs souvenirs fuyaient leur esprit, si bien qu’ils s’endormaient sans savoir qui ils étaient et se réveillaient dans une brume opaque et sombre où des bribes de mémoire virevoussaient dans leur imaginaire.

Les médecins avaient tenté d’annoncer la nouvelle avec tact, mais apprendre que l’on avait la maladie d’Alzheimer n’était pas quelque chose que l’on pouvait assimiler sans sourciller. Cette horreur assoiffée de mémoire et de temps pillait sans vergogne les souvenirs, ces reliques nostalgiques empreintes de mélancolie, ces trésors que l’on doit choyer à chaque instant. Depuis lors, ils essayaient tant bien que mal de retenir les réminiscences de leurs passé, le présent se délitant seconde par seconde. Ils étaient condamnés à oublier l’autre, à s’oublier.

Muets depuis la traversée du rivage, les amants se regardaient fixement.

  • Je ne veux pas t’oublier mon amour, je ne veux pas, martelait Martine.
  • Moi non plus mon ange. Embrasse-moi et profitons de ce moment tant qu’il est encore là, répondit Jean.

Leurs bouches se rapprochèrent et ils échangèrent un baiser passionné mais tendre, humide car les larmes venaient s’y joindre. Assis sur le ponton surplombant la mer agitée, le baiser commençait déjà à s’effacer. Il ne subsistait plus qu’une rémanence feutrée, une souvenance fébrile qui s’envolait. Il ne restait plus que deux inconnus, abandonnés face à la cruauté du temps et de la vie. Ils s’observaient, quelque chose dans leur esprit leur disait qu’ils se connaissaient, mais … rien n’y faisait.

  • Bien le bonsoir, s'éleva une voix doucereuse et mélodieuse. Belle soirée n’est-ce pas ?
  • Euh … oui, firent distraitement les amoureux oubliés.
  • Je pense que je peux vous aider. Êtes-vous prêts à me faire confiance et à me laisser m’imprégner de vos souvenirs ?
  • De quoi parlez-vous jeune homme ? Et d’ailleurs, qui êtes-vous ?
  • Je suis le collecteur de souvenirs.

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