JE DIMANCHE

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Bruine. Exhalaison funeste. Je couine par semelles de crêpe, je grince par arthrose complexe. Le chandail en berne sur ma peau nue suinte le gras de ma chair flasque. Je trébuche de flaques en boues. Les tags flashent, le ciel glisse du noir au gris. Le périple est long entre ces vieux cons qui disent non et ces laiderons trop effarés pour être regardés.

J’épouvante !

Par terre et par fange, mon pantalon traîne. Il ramasse. Mégots, caillasses, cadavre…jamais une richesse. Il va finir par s’user à se démener ainsi. Aujourd’hui c’est vase. Ça le lavera. L’horizon est encore loin mais voici le pont sous lequel je vais fumer une ultime clope. Au courant d’air, le rouge se consume.

J’évente.

La fumée filandreuse tournicote comme un tortillon à moustiques. Du ruban bleu descend l’arlequin. Un rire à la main, le grand peinturluré s’embrasse les pieds. Il allume un feu dans un bocal délaissé. Le rouget s’est échappé au fond d’un lac acide. Le pantin s’imprime sur les arches par face entière. Il éternue le vert, il crache le jaune. Le sourire me disparaît. Putain de tuberculeux.

J’invente.

J’épouse le dernier chemin, cœur battant, impatient. Il pleut plus fort sur ma tête sans cheveux. Ils se sont barrés au moment où j’en avais le plus besoin. On n’embrasse pas un chauve, encore moins on ne l’épouse.

Quatre derniers mètres trop longs au milieu d’anciens boulons. On décharge ici…ce qui fut. Des noces de fer pour bagnards d’acier. Je tambourine des pieds les tôles allongées. Ça change des clapotis.

Le portail bleu apparaît enfin. De la peinture qui tient du bois. Ça me résiste et je ne supporte pas. Je secoue la poignée, je frappe de la godasse jusqu’à faire carillonner la cloche.

« Putain ! Tu vas laisser mon portail.

- Veut pas s’ouvrir.

- C’est l’humidité qui le fait travailler. Laisse faire sinon tu vas le casser ».

Je pénètre dans la cambuse. Tout est de travers, ça doit travailler comme son portique. La baraque pue le chien mouillé à en écorcher les narines.

« T’as un clebs ?

- Ouais. Il mijote dans la cocotte.
- Tu me fais goûter ?
- Y en a que pour un. C’est du chihuahua ».

Je détourne mon sourire, des fois qu’il le prenne en otage. Le living-room a tout de la pièce où crever. Un canapé cuir éventré, une télé couchée, de la bière giclée et les fenêtres cassées. La brume étouffe l’espace.

« Qu’est-ce que tu veux ?

- Six soleils.
- T’as de quoi payer ?
- J’ai douze lapins dont deux femelles enceintes, des coquelicots et de l’herbe sauvage.
- Y sont où ?
- Sous le pont. Ils aiment pas la pluie.
- J’te suis ».

Il m’accompagne, son haleine dans le cou comme un revolver dans les côtes.

« Ils sont tout rabougris.
- Ouais mais y en a douze, peut-être même seize. J’ai pas pu les engraisser. Pas eu les moyens.
- Ça vaut pas plus de trois soleils.
- Putain ! Y en a deux enceintes.
- Qui te dit que les nouveaux ne seront pas morts nés. Faut s’en occuper un peu mieux de tes animaux. C’est trois ou rien.
- Ok ça roule ».

J’ai accroché mon soleil dans ma piaule qui dégouline le papier peint mal collé. Il éclaire ! Il illumine les lés arrachés !
Les murs reculent. Les brouillards s’enfuient par les fenêtres. Une pelouse ondoyante recouvre le lino flétri. Les tapisseries s’ouvrent sur des vallées chatoyantes. À l’est s’élèvent des montagnes à collerettes blanches tandis qu’au sud une prairie de coquelicots se berce aux vents rares. Je me couche au pied d’un pommier offrant mon corps nu au bienfait de la lumière solaire. Mes cheveux repoussent, ma peau se retend. Mes dents ne tremblent plus devant la pomme offerte. Je respire à pleins poumons libérant ma carcasse des contractures humides. Mes muscles saillent, ma voix tonne, mes maux se pansent. Le plafond libère un ciel lumineux. Son bleu forme un cours d’eau non loin de moi. Je cours m’y abreuver avant que tout ne disparaisse. Je ne puis trop me prélasser. Vite, il faut chasser. L’antilope saute de gerbe en gerbe. Je patiente, je traque, j’attrape. Les canines plantées dans les chairs chaudes, j’éructe des soupirs cannibales. Mais déjà la lumière décline. Mon soleil perd de sa vigueur. Les brumes guettent. Je m’endors fourbu.

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