Pierre disparaît, la gêne s'installe

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Au pied de la maison, je m’aperçois qu’elle est à l’abandon depuis beaucoup plus longtemps que je pensais. Apparemment, Elisabeth a la même impression car elle demande à Pierre :

« Depuis combien de temps n’est-elle plus habitée ?

- Une trentaine d’années, répondit-il d’un ton léger. Cette maison appartenait à une famille étrangère, américaine je crois, qui ne venait jamais. A la mort de l’héritier le mois dernier, elle a été mise aux enchères à Londres et je l’ai achetée sans même la voir. Le commissaire-priseur m’avait présenté une photo d’il y a vingt ans et un rapport d’inspection attestant de sa bonne qualité. »

Pierre ouvre la porte, rentre et nous fait signe de le rejoindre. Je regarde Elisabeth, lui enjoins d’avancer. Elle jette un coup d’œil à l’intérieur, puis se retourne et me regarde. Elle n’a pas l’air rassurée. Je la comprends…

« Monsieur Belot, dit-elle, êtes-vous certain que c’est sans danger ? Est-ce que je peux entrer ?

- Bien sûr, bien sûr !, répond-il d’un ton convaincu, qu’il a probablement passé du temps à pratiquer. Entrez, vous êtes la bienvenue ! Il n’y a rien à craindre ! Donnez-moi quelques secondes que je trouve l’interrupteur. »

Sur ce, je l’entends chercher à tâtons puis, finalement, la lumière fut ! Encore un regard inquiet d’Elisabeth. Même éclairé, l’intérieur n’a pas l’air rassurant. Je lui fais un signe de tête d’un air que j’essaie aussi confiant que possible. Il a dû être assez convainquant puisque finalement elle s’avance.

Je pénètre ensuite dans la maison. Après avoir passé la solide double-porte en bois, nous nous retrouvons dans un immense hall, avec des portes sur les côtés menant à des pièces adjacentes, et au fond un escalier à double révolution menant à l’étage.

« Comme je viens de le dire, continua Pierre, la maison a subi une inspection complète il y a deux mois. L’aspect paraît rebutant mais les fondations sont solides et elle sera encore debout dans longtemps. Le bois est sain et la chape est encore en état… »

Pierre continue de vanter les mérites de sa maison mais je n’écoute déjà plus. Je me suis mis en retrait et essaie de sentir l’atmosphère dans cette maison. Je ressens l’âge des pierres, la solidité du lierre qui parcourt les murs, la maturité des poutres, et une autre impression, bien trop diffuse pour que je puisse la comprendre. Peut-être que cette maison n’est tout simplement que vieille et abandonnée et qu’un lifting suffirait à la rendre plus avenante ?...

Nous avançons tandis que Pierre continue à débiter son discours, d’un ton assuré du vendeur qui connaît bien son affaire. Elisabeth écoute, posant des questions de temps en temps, mais on voit qu’elle n’est pas emballée.

De mon côté, je regarde brièvement dans les pièces adjacentes. Dans la troisième, mon regard est attiré par une grande peinture au fond. Elle représente une femme assise à son boudoir, relativement belle, brune et les cheveux relevés dans un chignon. Elle porte une robe de soirée avec des demi-manches à frou-frous et qui finit en drapé. La couleur est fade mais je pense que c’est du rouge. Bien que le style de peintre date de pas mal de décennies, la robe s’arrête juste au-dessus de la poitrine, laissant la gorge dénudée et parée d’un collier de perles blanches. C’est un peu vieillot à mon goût mais je trouve que c’est réaliste.

J’en étais à mes réflexions quand soudainement, la lumière disparaît, nous laissant dans le noir complet. Elisabeth, dans la pièce principale, pousse un petit cri, mais Pierre la rassure aussitôt :

« Ne vous inquiétez pas, c’est probablement un fusible qui a sauté. Comme je vous l’ai dit, ce manoir nécessite quelques réparations, incluant une petite remise aux normes de l’électricité. »

Je souris au mot « petite ».

« Tenez cette torche, continue Pierre. Je vais aller changer le fusible au sous-sol. Restez avec Monsieur Guilhem jusqu’à ce que je revienne. »

Puis, j’entends les pas de Pierre s’éloigner. Elisabeth me rejoint dans la pièce. Elle tient une énorme torche électrique, si puissante qu’elle pourrait faire concurrence à un phare. Dans cette ambiance, Elisabeth paraît encore plus pâle.

Elle remarque à son tour la peinture.

« Beau tableau, n’est-ce pas ? », dit-elle, plus probablement pour combler le silence que discuter art.

Je lui réponds par l’affirmative et nous commençons à bavarder. Au début d’art, ensuite de tout et de rien, pour combler. Puis, à court de sujets et d’idées, le silence s’installe entre nous. Imaginez cette situation incongrue ! Nous sommes deux inconnus, dans une maison digne d’un film d’horreur, dans le noir, éclairés seulement d’une lampe torche, et voilà plus de dix minutes que Pierre est descendu. Je pense que nous ressentons tous les deux le même malaise car nous brisons le silence en même temps.

« Monsieur Belot devrait déjà être de retour, non ?, fit remarquer Elisabeth, inquiète.

- Oui, effectivement. Peut-être a-t-il eu du mal à trouver le panneau électrique ?... Il serait préférable encore d’attendre. Nous ne connaissons pas cette maison et s’il y a des zones de plancher vermoulues, nous risquerions de nous blesser.

- Vous avez raison… »

Mais trente secondes plus tard, elle rajoute :

« C’est vraiment étrange… Il est parti dans le noir sans torche. Peut-être s’est-il blessé ? »

Elle me regarde, puis ajoute : « Allons-voir ! »

Préférant l’action à l’immobilité et aux silences gênants, j’acquiesce. Je prends la torche et m'avance dans la pièce. Elisabeth me suit tout en m’indiquant la direction que Pierre a prise. Nous arrivons à un escalier qui descend, probablement vers le sous-sol, et nous nous y engageons. Les marches en bois craquent sinistrement sous mon poids. J’espère qu’elles ne vont pas lâcher !

Le sous-sol se résume à trois pièces, relativement grande. L’une d’elle était probablement l’entrepôt à charbon, du temps où le chauffage n’était pas électrique. Malgré le manque de lumière, on peut encore y voir des traces noires dans les coins des murs. Les deux autres pièces sont vides, à part quelques meubles en piètre état dans un coin. Nous faisons le tour, et arrivons à localiser le panneau électrique. Je ne suis pas du style manuel, donc j’espère que le problème n’est pas sérieux. J’ouvre le panneau pour me rendre compte que le disjoncteur était à zéro. Au moment où je le relève, le panneau électrique se couvre d’étincelles. J’aurais probablement pris un sérieux jus si Elisabeth ne m’avait pas poussé sur le côté !

« Merci !, dis-je. Vous m’avez évité une sacrée brûlure !

- Ce n’est rien, répond-elle. L’électricité et les vieilles maisons ne vont souvent pas de pair. C’est vraiment dangereux !

- Oui, ajoutai-je. A mettre en tête de liste des travaux si vous l’achetez. »

Elle sourit, mais ne répond rien. Je remarque que la lumière est revenue dans notre pièce, mais pas dans celle adjacente. Je fais jouer l’interrupteur, mais rien n’y fait.

« Je pense que plusieurs fusibles ont sauté en même temps. Certaines pièces sont allumées, d’autres sont restées noires.

- C’est déjà mieux que toutes dans le noir, réplique Elisabeth, philosophe. »

Je hoche la tête en signe d’approbation et commence à chercher dans les trois pièces. Aucune trace de Pierre. Je commence à être inquiet. Elisabeth a dû comprendre aussi.

« Peut-être que Pierre est déjà remonté, dit-elle, essayant de trouver une explication. Ou sinon, il est allé chercher les fusibles dans une autre pièce…

- Remontons, proposais-je. Avec la lumière, on pourra mieux le chercher. »

Nous retournons dans le hall, et appelons Pierre. Pas de réponse. Je me concentre pour essayer de capter une émotion qui trahirait sa présence, mais je ne sens rien. C’est de plus en plus inquiétant.

« Séparons-nous, dit soudainement Elisabeth. Montez à l’étage et cherchez-le. Je vais fouiller le rez-de-chaussée. »

Je ne pense pas qu’elle s’attendait à ce que j’éclate de rire car elle en sursaute.

« Oui, vous avez tout à fait raison, déclarais-je, ironique. C’est exactement ce que feraient deux adolescents dans un film d’horreur. Se séparer, et être la proie du monstre qui les assassine les uns après les autres. »

Elle me regarde, perplexe et même un peu choquée. Je continue :

« Non, le mieux est que nous restions ensemble. Nous allons passer les pièces les unes après les autres. Deux paires d’yeux seront plus efficaces qu’une. De plus, dans celles qui ne sont pas éclairées, il faudra bien que l’un d’entre nous tienne la torche électrique pendant que l’autre cherche. »

Elisabeth n’a pas l’air enchantée, mais acquiesce. Nous commençons nos recherches.

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