Le tatoué

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        Oui, tout commença avec un tatoué. Ce tatoué, appelons le Armand, était un danseur sud africain trentenaire expatrié à Taïwan. Plutôt bel homme avec un visage aux traits fins, il arborait, outre ses tatouages, de nombreux piercings et un look plutôt néo-punk. Il possédait un blog très sombre, plein de sang et d’images issues de film d’horreur. Au milieu de cet ensemble très obscur, j’appréciais surtout les morceaux de musique très pointus qu’il publiait. Il aimait, entre autres, Placebo. Ceci nous rapprocha. En effet, j’avais l’habitude d’achever les chapitres du roman multimédia que je publiais sur Tumblr par un morceau de mon groupe fétiche. La voix de Brian Molko avait toujours eu un effet positif sur mon inspiration artistique. 

        Après une approche en douceur à base de quelques « like » ou de « reblog », il m’adressa la parole via la messagerie du réseau social. Comme les autres, ils voulaient en savoir plus sur moi. Après des débuts plutôt prudents, au fil de mes réponses évasives, il s’enhardit et me posa des questions sexuellement orientées. De mon côté, j’hésitai entre inquiétude et curiosité. Mais, l’occasion d’en savoir plus sur la vie d’un vrai gay était irrésistible. 

        Au delà du sexe qui se déversait en libre service à profusion sur le net, je voulais tout connaître de leurs pensées profondes, de leur histoire personnelle. En tant qu’auteure, je cherchais plus de réalisme pour alimenter mes oeuvres. En tant que femme, j’étais clairement attirée par ces hommes.    

        Cependant, comme à cette époque j’avais des difficultés côté  « dirty talk », j’indiquai au beau danseur que j’étais plutôt novice côté sexe. Il s’inquiéta une seconde que je fus mineur, mais je le rassurai un peu. Je lui indiquai que je venais d’avoir dix huit ans et donc qu’il ne risquait pas de passer pour un pédophile. Je ne sais s’il me crut, mais il continua à correspondre avec moi. 

        Les jours qui suivirent, nous poursuivîmes nos échanges via nos publications sur Tumblr. Je balançai des photos de plus en plus hot et il me répondait par d’autres toutes aussi provocantes. Ce dialogue via photos interposées me rendait dingue. Il devait se douter que cela avait de l’effet sur moi. 

        La majorité du temps, il devait se trouver dans un état plutôt désespéré, car il publiait des propos dépressifs et suicidaires. Le genre de propos qui provoquent chez moi de l’empathie. Cette putain d’empathie qui me pousse vers là où je ne devrais pas aller. Une saloperie d’empathie qui me fit répondre ce jour là : « Que puis-je faire pour toi ? ». A ces mots, il me confia être devenu « hard » rien qu’en les lisant. Je compris par la suite que c’était ça qui l’excitait, que je lui écrive les mots. Mais, à l’époque, j’avais encore trop de retenue. Ecrire « Fuck me » demandait des couilles que je n’avais pas.

    Tant bien que mal, quelques temps plus tard, je réunis assez de courage pour avoir une véritable relation sexuelle gay virtuelle avec lui. Malgré mes difficultés en anglais et le peu de mots crus que je connaissais, j’avais tout de même réussi et le résultat était incroyable.     

    Pour lui tout cela n’était qu’un passe-temps pour combler ses longs moments de solitude, mais pour moi, c’était une véritable expérience. C’était la première fois que je faisais virtuellement l’amour avec un gay. Et c’est toujours impossible de décrire l’état dans lequel j’avais fini ce jour-là. J’en garde toujours des frissons rien qu’à l’idée. Et je suis certaine que les sensations ressenties lors de cette première expérience furent pour beaucoup dans l’enchaînement des rencontres qui suivirent. Je recherchai à retrouver ces premiers émois bien réels dans toutes mes relations virtuelles suivantes.  

    Cependant, Armand était peu présent sur le réseau et cela m’énervait. Un jour n’y tenant plus, je lui balançai la vérité en pleine face : « Je suis une fille ». Sans que je pus m’expliquer sur le sens de ma démarche, Il me bloqua tout de go, sans aucune autre forme de procès. La blessure narcissique devait être trop forte pour lui. J’étais sans doute le diable incarné. 

    Après, sans pouvoir lui écrire, je trainai parfois sur son blog par nostalgie. Nostalgie de son univers, nostalgie de ses mots, nostalgie de son âme sombre qui vibrait à l’unisson de la mienne. Là, j’essayais de deviner son état d’esprit. Espérant, mais sans trop y croire, qu’il penserait encore un peu à moi. Mais, je n’y lisais rien. Je n’y voyais que la façade. Cette carapace opaque qu’il s’était forgée pour ne plus souffrir. Alors, je ne pouvais avoir que des regrets pour ce qui aurait pu et des remords pour ce qui fut. Et, je n’avais que des soupirs pour les mots que je ne lui avais pas dit et des larmes pour ceux qu’il n’avait pas compris.

    Cette situation me fit du mal, et cette fois, je ne jouai pas la comédie pas en publiant des photos et des textes tristes. Après cette expérience, je notai dans mon carnet : « Ne plus mentir mais, omettre de répondre à certaines questions. »  

   

    

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