L'accident.

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On s’est tous retrouvé au matin, sauf Fabienne qui était déjà partie à la fac. Maman avait pris sa matinée, et d’après ce que j’ai compris, Papa avait dû interrompre un chantier à cause d’intempéries.

Trop de pluies empêchaient un séchage normal de la construction. Il devrait repartir demain, ou après-demain, en fonction de la météo.

« Bon, raconte-moi fiston. Ta mère a vu le principal, et si tu ne fais pas profil bas, je t‘emmène avec moi sur les chantiers. Tu vas comprendre ce que c’est que de travailler tout en bas de l’échelle. »

J’ai expliqué du mieux que je pouvais, pourquoi, comment et à cause de qui. Je crois qu’il a compris, un peu mieux que maman, qu’il interrompait, à chaque fois qu’elle voulait faire une remarque. Il m’a écouté jusqu’à la fin, juste en hochant de la tête en prenant son café.

« OK fiston. C’est à mon tour maintenant. Premièrement, je soutiens ta mère. Ce genre de débordement est inadmissible. Si tu te fais virer du lycée, plus aucuns diplômes, personne ne voudra d’un bagarreur. Que tu défendes la fille de Jérôme, c’est tout à ton honneur, c’est une gentille fille, mais, il y a un mais. Tout ce que tu crois juste, il n’y a que toi qui le voit. Donc tu règles tes affaires en dehors. »

Ma mère n’a pu s’empêcher :

« Mais tu lui dis quoi ? De se battre dans la rue ? »

« S’il te plaît, je n’ai pas fini. »

« Donc, tu aurais dû faire passer ces mots au professeur, et c’est ce fameux Bastien qui aurait été puni. Tu n’as pas à réagir en cours, tout se règle après les cours, ce que je voulais dire. »

« Je ne suis pas une balance papa. »

« On est bien d’accord, seulement Bastien est en cours et toi tu es viré. Réfléchis à ce que je te dis. »

Il a raison, tellement raison.

« Ta mère t’as supprimé la console et les sorties. Déjà, les jeux, je n’aime pas ça, mais elle a bien fait. Le problème est donc réglé, ta mère et moi sommes d’accord. Tu travailles en classe et je suis avec toi. Tu fous le bordel, je suis contre toi. J’espère qu’on est d’accord. »

J’ai les yeux baissés, parce qu’il a raison. Mon père ne se met jamais en colère, il explique, sans doute comme sur ses chantiers.

« Je préfère expliquer, le pourquoi du comment, les gens comprennent mieux quand on travaille ensemble. »

La phrase préférée de papa, je crois que je saisis ce qu’il me dit, j’ai agi sur un coup de tête. Je trouverais une vacherie a faire pour le gros Bastien. Je m’en tire bien je trouve. Un mois sans console ni sorties, il n’a pas doublé la sanction, une bonne chose, je vais compter les jours. J’ai fini mon bol de céréales, ils ne parlent plus de moi. Pas de jeux, pas de télévision, je vais aller faire un tour dans le jardin.

Les deux voitures étaient garées autour d’un massif entouré de grosses pierres. On tournait juste autour pour ne pas faire une marche arrière en repartant. C’est le rôle de maman d’entretenir les quelques plantes rabougries. Elle n’a pas beaucoup de temps à s’y consacrer, et papa n’est pas vraiment là. À part au moment des vacances, quelqu’un vient entretenir et couper les haies, élaguer mon « refuge secret ». C’est le nom d’une petite cabane en bois que papa m’a construite quand j’étais plus jeune, au milieu des branchages de l’immense marronnier. Il était déjà là avant que je ne naisse. Il avait plus de quinze ans et devait mesurer vingt mètres de haut. Pendant les journées chaudes d’été, on s’installe dessous pour profiter de l’ombre au moment des repas. Pour l’instant, une grande bâche en plastique recouvre la table et les chaises en fer forgé. Des feuilles et des fruits pourris entachent le dessus. Cinq ou six barreaux d’une petite échelle en bois, me permettent d’accéder à mon refuge, il y a longtemps que je n’ai pas grimpé. Il y avait de la mousse verte partout, je manque de glisser plusieurs fois. Tout est noirci à l’intérieur, comme rongé par de l’humidité, de toute façon je ne viens plus, c’est pour les enfants. Je retrouve des peluches et des jouets, aussi sales que le reste, je les avais complètement oubliés. Je vais essayer de grimper plus haut, avant je n’avais pas le droit, les branches énormes sont sèches, protégées par le feuillage sans doute. Je vois le toit de la cabane d’où je suis, noir tout taché de saletés. Je continue de monter, les branches sont plus petites, mais encore solides, je les remue pour vérifier, je ne sais pas si je vais arriver à voir la campagne autour, trop de feuilles. Mon pied dérape sur une branche qui se tord, je me rattrape de justesse. Je vais redescendre, ça devient dangereux et je commence à avoir un peu faim. J’essaie de m’accroupir pour voir ou m’accrocher, c’est un peu plus compliqué. Une branche se plie, je ne tiens plus rien, j’attrape une poignée de feuilles à portée, elles s’arrachent de l’arbre.

Je me met à crier :

« Papa . »

Je tombe sur une autre branche, j’entends craquer.

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