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Aéroport de Stansted, Solweig se presse au milieu de la foule. Elle s'engouffre dans la rame de jonction. « Vite ! Ne pas manquer la correspondance pour Madrid. » Solweig, femme suractive, est responsable de projet marketing pour un groupe de médias. Elle partage son temps entre les bureaux parisiens et les succursales étrangères. « Dans deux jours, je me poserai un peu dans mon bureau » se disait-elle tout en finissant de rédiger un ultime e-mail à ses collaborateurs.

En fait, son retour à Paris ne fut pas du repos : planifier la tournée de promotion dans toutes les villes branchées d'Europe et définir la maquette du clip de démonstration. Son mode de vie était en staccato-presto ; elle ne s'était encore jamais offert de congés.

Rentrant le soir dans son studio, elle se disait : « Toujours en déplacement, je dors dans un hôtel différent chaque nuit et au final, quoi ? » La réponse était simple : « Rien... Tout au moins pas grand-chose... Au mieux, j'améliore mes connaissances en géographie à chaque voyage, mais en fait, je ne découvre quasiment rien des pays que je traverse. Juste les zones de bureaux et les hôtels. »

Face à son écran qui ne lui montrait que des tableaux monotones de chiffres, elle se mit à son clavier et tapa deux mots clefs : « voyager » et « autrement» .

La réponse fût immédiate : des milliers de résultats, tous potentiellement porteurs d'horizons nouveaux et insolites. Au fil des liens proposés, Solweig consulta des propositions en Irlande, puis au Bouthan, ensuite en Sibérie et enfin dans les eaux du golfe du Bengale... Certes, il s'agissait d'un dépaysement, mais au combien frustrant, réduit à quelques photos et brochures virtuelles.

Le lendemain, Solweig se rendit à ses bureaux parisiens, l’esprit un peu moins au travail que d’habitude. En fait, elle avait pris sa décision: « Dans un mois au plus tard, je sollicite une année sabbatique. Je pars, je ne sais pas encore où, mais je pars ! »

Le soir venu, Solweig se remit de plus belle à ses recherches : Islande, Sumatra... Cependant, plus elle cherchait de l'exotisme et moins elle y trouvait goût. Ces horizons lointains prenaient une teinte de plomb.

Deux jours et un week-end suivirent. Solweig continuait sa quête de « la » destination, mais en vain.

C'est le lundi matin, alors qu'elle effectuait des recherches en vue d’un évènement phare de l'été, qu'elle tomba sur un message incitatif. Le slogan animé affichait clairement sur la page web : « Tentez une expérience jamais rencontrée, voyagez autrement sans quitter votre domicile ! »

Son naturel curieux, voire un peu aventureux fit le reste ; Solweig cliqua sur le lien.

Rien de bien spectaculaire de prime abord, quelques photos lumineuses et colorées comme on trouve dans tous les catalogues et vitrines d'images. Cependant, la bannière expliquait qu’en en installant l'application proposée, le vrai voyage commencerait.

« Bon ! Je ferai cela un autre jour ; il me faut à présent me préparer pour mon déplacement de demain... Berlin ».

L'idée ne la quittait cependant pas. Durant son vol, elle rêvait au travers des hublots en promenant son regard sur la mer de nuages qui pourtant était devenue si banale pour elle au fil des années.

A l'atterrissage, elle ne pût se contenir plus ; dans le court laps de temps de transport en navette, elle prit son smartphone et entra l'adresse du lien. Là, son petit écran s'anima et une galerie d'images exotiques s'afficha en un kaléidoscope hypnotique. Le regard de Solweig était captivé. L’appareil vibrait en résonance avec le flot de vues, renforçant la sensation de transport.

Elle dût s'astreindre à ranger sa boîte magique ; il fallait prendre le taxi.

C'est le soir que, dans sa chambre d'hôtel, elle se remit à ses explorations. Solweig connecta son ordinateur an réseau wifi et à peine après avoir saisi son identifiant, fût accueillie par un chaleureux « Bonne soirée, Solweig et bienvenue à Berlin ! ». De prime abord stupéfaite, elle comprit que l'application qu'elle utilisait depuis déjà trois jours l'avait identifiée et qu'elle se posait à présent comme un assistant avenant, un e-sherpa prêt à la guider à l'autre bout du monde.

« Solweig, j'ai détecté à proximité plusieurs appareils qui pourront améliorer votre expérience. Voulez-vous que je m'en occupe ? »

Elle esquissa à peine un hochement de tête, mélange de curiosité et d'étonnement et le système s'exécuta. Tout d'abord, les plafonniers s'éteignirent, puis la grande lampe de chevet dotée d’un abat-jour en papier s'alluma doucement. L'écran de télévision se colora d'un fond chamarré. Les teintes formaient comme des ballets d'ondulations, en prélude à un spectacle extraordinaire. Ensuite, la mini-chaîne entra en jeu, elle jouait un fond musical apaisant, mélange de litanies lointaines et de vocalises cristallines.

« Voyez-vous Solweig, tous ces appareils sont connectés. Ils se mettent à mon service pour votre bien être. Et moi, je suis à votre disposition. Parlez et j'obéirai à vos ordres ; bougez la tête, clignez des yeux, je sais interpréter vos gestes grâce à l'image que votre webcam me transmet. »

Aussitôt, l'écran afficha le globe terrestre tel qu’il est vu de l'espace. Solweig, à la fois pétrifiée et terriblement excitée de cette expérience, comprit immédiatement l'effet du mouvement de ses yeux. Il lui suffisait de viser un continent pour que le globe s’oriente et le lui présente. Un petit mouvement en avant et l'image grossissait en une descente vertigineuse. Elle choisit de viser l'île de Sri-Lanka. Au fur et à mesure de son approche, les sons diffusés devenaient concrets. Le buisssement du vent, les chants des oiseaux, les discussions animées dans la foule devenaient audibles. Solweig se retrouva au beau milieu du marché d'un petit village en plein centre de l'île. Elle fut surprise de sentir la chaleur moite de cet endroit tropical. Effectivement, e-Sherpa, génie électronique et maître de cérémonie, avait pris soin de prendre le contrôle de la climatisation ; elle était à présent réglée à 35°. Solweig se promena ainsi durant des heures. Elle était au milieu de la foule, elle entendait tous les bruits autour, les klaxons, les cris, les aboiements. Elle se surprit même à tenter de communiquer auprès de la vendeuse d'une échoppe ; elle voulut demander le prix d'une superbe étoffe de soie qui était exposée.

« Solweig, vous n'êtes actuellement pas assez entraînée pour communiquer dans le cadre de notre expérience, dit e-Sherpa. Je vous invite à patienter. Pourquoi ne pas aller visiter d'autres lieux ? »

C'est ainsi que Solweig passa le reste de sa nuit à découvrir le monde : les fjords scandinaves, la prairie argentine, les atolls polynésiens, les îles éoliennes et le Stromboli toujours actif. Durant sa nuit blanche, elle dut faire une dizaine de fois le tour du globe. Elle ne se sentit pas fatiguée pour autant, toute émerveillée qu'elle était quand elle se préparait au matin pour sa journée de travail.

Le soir suivant, e-Sherpa ne se manifesta pas. Le lien ne pointait plus sur un site viable. Frustrée, mais en même temps épuisée depuis sa précédente nuit de voyages artificiels, elle alla vite se coucher et sombra rapidement dans un profond sommeil.

Retour à Paris, reprise des habitudes de trajet : métro, RER, marche à pied dans la grisaille jusqu'aux bureaux.

Rentrant chez elle après cette nouvelle journée, elle trouva un colis dans sa boite à lettres. Pas d'expéditeur, pas d'affranchissement, le paquet pouvait éveiller de la méfiance ; cependant, Solweig souhaita l'ouvrir. Dedans était disposé un petit appareil criblé de quantités de petites lampes et flanqué d'un évent conique. Tout autour, une dizaine de fioles étaient rangées. Elles contenaient un liquide transparent, voire coloré pour certaines d'entre elles. Sur cet appareil insolite, une étiquette portait l'inscription « synthétiseur aromatique et visuel ». Ceci mit Solweig en confiance ; elle qui, native de Grasse, raffolait des parfums !

« Pas de repas ce soir, je verrai à me trouver un petit boui-boui quelque part ! ». Solweig était déjà partie. Elle possédait un home-cinéma et un projecteur mural. L'expérience du voyage s'annonçait meilleure encore chez elle. Elle s'était imaginé un petit itinéraire. Elle envisageait d'abord San Francisco et ses quartiers cosmopolites, puis la cordillère des Andes pour admirer la terre vue d'en haut et ensuite les immenses plaines d’Australie. C'est arrivé dans la forêt tropicale des Caraïbes que le synthétiseur entra en action, une odeur envoûtante de jasmin et d'épices emplit la pièce. Les chants d'oiseaux fusant de toutes les directions donnaient une profondeur étonnante à la scène.

Solweig eût alors envie de découvrir l'océan. Elle se dit qu'en tournant le regard vers la mer, elle pourrait facilement y plonger.

A ce moment, e-Sherpa reprit le contrôle.

« Je suis vraiment désolé Solweig, mais notre expérience ne peut pas être sous-marine, c'est ainsi. En revanche, j'ai quelque chose qui vous plaira certainement, étant donné votre goût pour les horizons lointains.

Levez les yeux ! »

La lumière s'éteignit immédiatement.

Regardant au plafond, elle vit s’afficher le firmament comme dans un planétarium, avec un piqué jamais atteint jusqu'alors. Les étoiles scintillaient comme en hiver par vent froid, la voie lactée blanchâtre traversait la voûte de part en part, une pluie d'étoiles filantes fusait. Comme durant ses précédents voyages terrestres, Solweig jouait avec ses mouvements pour visiter l'immensité céleste. Défiant les lois scientifiques relativistes, elle pouvait se permettre de naviguer rien que par la pensée parmi les planètes du système solaire, d'orbiter autour de Vega, d'atteindre les amas globulaires tels celui d'Hercule qui si lointain, avait été l’objet d’un message radio, envoyé dans sa direction il y a 40 ans, lequel n'en était qu'au début d'un trajet de vingt-deux-mille années lumière. L'expérience avait pris une toute autre dimension. Il n'était plus question de visiter les régions de la terre, certes si belles mais plutôt de se transporter à des distances jusqu'alors jamais atteintes. Les ressources en œuvre et la facilité du pilotage étaient telles que Solweig se sentait à la fois d'une légèreté extrême et d'une conscience absolue. Tout l'univers s'offrait à elle, tout était accessible. L'écran, les murs et le plafond affichaient un défilement étourdissant d'étoiles et de constellations. Au silence de l'espace s’était substituée une musique symphonique, profonde qui apportait une sensation de bien-être absolu. Les senteurs diffusées par le synthétiseur étaient en harmonie parfaite.

La voix de e-Sherpa prononça alors : « Solweig ! Regardez près du Soleil, le long de l’écliptique ! » L'attention de Solweig fût subitement piquée alors qu’elle rêvait à cet instant en vue directe sur Albireo, magnifique étoile double bleue et orangée. Elle se retourna, fit un déplacement virtuel de plusieurs années lumière en arrière et son regard fut attiré par un panache blanc qui s'étirait sur des centaines de milliers de kilomètres. Une comète croisait en direction du Soleil. Objet cyclique, elle parcourait une immense orbite elliptique. Elle venait des contrées lointaines du nuage de Oort, énorme bulle glacée aux confins du système solaire où ces objets naissent et partent pour une immense course. L'astre approchait à grande vitesse ; son panache, opposé au Soleil, brillait d'autant plus que la distance se réduisait. Il était composé de glace qui se sublimait à mesure que l'ardeur des rayons augmentait.

« Solweig, dit e-Sherpa, j'ai un message extraordinaire à vous annoncer. »

Solweig, déjà fascinée par la beauté de l'astre volant, hocha la tête en signe d'attention.

« Solweig, vous voyez cette comète, n'est-ce pas ? Savez-vous qu'elle a parcouru des millions de kilomètres pour venir nous rencontrer ? Elle ne vient pas par hasard !

Les comètes sont régulièrement envoyées en tant qu'émissaires auprès de vous autres terriens, pour vous permettre de voyager dans l'espace infini. Jusqu'à présent, vous avez eu la capacité de vous déplacer virtuellement, vous avez pu voir des choses merveilleuses des pays du monde, vous avez pu vivre des sensations exotiques que vous n'avez jamais senties. Vous avez même pu entamer d’explorer l'espace sidéral. »

Solweig était captivée par le discours que donnait e-Sherpa. Son origine électronique était à présent totalement oubliée. Elle buvait ses paroles, tout comme elle avait été fascinée par ces voyages artificiels qui lui avaient été permis de faire.

« Maintenant, je vais vous donner la clef pour atteindre l'infini ».

Une musique profonde se déclencha, il s'agissait d'œuvres sacrées d'orgue ; l'écho des murs d'une cathédrale était parfaitement perceptible. Le synthétiseur d'arômes diffusait de nouveaux parfums envoûtants.

***

Théos tapait nerveusement sur son clavier d'ordinateur, il scrutait tour à tour ses trois écrans dont un diffusait en temps réel les images du Soleil que le satellite SoHO relayait. La comète était en plein périhélie, elle avait atteint sa vitesse maximale tout en disparaissant derrière l'astre central. A l'issue de ce virage ultra rapide, elle allait reprendre sa boucle vers les confins du système solaire.

« Elle pourra enfin embarquer les miens, s'exclamait Théos, et moi ensuite. »

Il se projetait, tel le dieu Mercure tenant les rênes de son char flamboyant, prendre place dans le sillage de la comète peuplée des âmes de ses nouveaux disciples. Il ne manquait plus qu'attendre le signal, le moment où elle allait réapparaître au bord du disque solaire, puis reprendre son chemin en direction de Saturne que la conjonction des orbites faisait croiser.

A ce moment alors, Théos n'avait qu'à entrer une simple commande sur son clavier et ainsi déclencher chez tous les disciples connectés, une envie irrépressible de plonger dans le néant.

« Nous allons tous partir vers notre grand voyage ! »

***

Solweig ouvrit les yeux. Lumière blanche. Mal dans tout le corps, esprit embrumé. Elle distinguait un visage qui se tenait près du sien.

« Mademoiselle, m'entendez-vous ? ». Solweig hocha la tête ; elle ne pouvait pas sortir de mots.

« Vous avez eu une très grande chance, il semblerait que vous ayez été droguée. Les pompiers sont arrivés juste à temps alors que vous étiez sur le point de vous jeter dans le vide. Ce sont vos voisins, qui alertés par une musique anormalement forte venant de votre appartement, vous ont vue sur le bord de votre fenêtre. Ils vous ont appelée, mais vous ne sembliez pas les entendre. Vous souvenez vous de quelque chose ? »

Solweig essayait de remettre de l'ordre dans ses souvenirs, elle luttait pour retrouver un peu de cohérence dans ses pensées.

« Je crois, je crois me souvenir, disait Solweig en recherchant ses mots, je devais.., j'allais partir pour ailleurs... J'allais rejoindre une comète, un vaisseau vers l'infini ! »

« Ceci corrobore mes hypothèses, murmurait l'homme qui se tenait à son chevet. Grâce à l'activité soutenue que ce hacker a entretenue sur le serveur de la NASA, nous remontons la piste. »

« Savez-vous quelle était cette comète que vous deviez rejoindre ? » Solweig fit non de la tête, un peu étonnée de la question ; pour elle, le problème n'était pas là, elle avait eu un rendez-vous et elle l'avait manqué.

« Cette comète était la comète ISON, précisa l'inspecteur de police en cyber criminalité. Hier soir, le 28 novembre, elle était à son périhélie. Elle devait passer derrière le Soleil pour repartir à nouveau vers les confins du système solaire. C'est ce qui justifiait la proposition de voyage que ce gourou, caché derrière son assistant électronique, vous présentait. Cependant, la comète n'est jamais repartie. Elle s'est fait capturer par notre étoile. C'est d'ailleurs ainsi que finissent la plupart des comètes. Elle a beau avoir tenté de s'échapper, elle s'est à nouveau fait faire prendre par le champ d'attraction.

Son sacrifice vous a sauvé »

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