Bénis soient ceux qui acceptent.

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Noyés par les dunes mouvantes, nous nous aggripâmes aux ruines. Nid opportun, d'où nos kalashs piaillaient sévèrement leurs cris de sombres promesses ; projetés sur des murs où résonnait l'oubli. Qui de nous avaient trompé l'ennui de ce lieu ? De cette carcasse de cité pourrissant tranquillement au soleil ? Rares étaient les vagabonds qui, dans cette embouchure de roche et de gravat, se croisaient par hasard. Il n'y avait rien ici, ni personne. Bien plus rares encore ceux qui, de bonne volonté, les mains ouvertes, allaient au devant d'inconnus, d'étrangers voilés, avec une ferme intention de fraternité. Nous tirâmes, probablement, les premiers, mais de qui venait l'écho ? Les Salamides ? Les Guirzhiens ? Au milieu du vacarme de nos armes nous criâmes " Les autres ! Les autres nous tirent dessus !" puis les autres cessèrent, alors nous cessâmes.

La confusion se tut. nous reprîmes nos souffles et le contrôle de nos mains. Nous posâmes nos armes sur les amas de béton armé. Appuyé contre, j'observais de ma lucarne le camp adverse. Avaient-ils fui ? Peut-être avaient-ils décidé de passer ailleurs ; ce pays de poussière était assez grand : inutile de se marcher sur les pieds. Quand le droit de passage s'avère trop élevé, il vaut mieux bifurquer. Privilège de l'errance. Nous, nous payâmes le prix malgré tout. Couché sur le dos, les mains portées à sa gorge, dans un ultime refus, baroud d'honneur du vouloir-vivre, Tagür luttait. Pas longtemps. Quelques sifflements en guise de dernières paroles, des bulles de sang pour tout adieu. Il était mort. Abattus par sa perte, nous nous jetâmes à ses pieds, mêlant nos larmes à la saleté de nos visages éplorés. Nous les tournâmes ensuite vers Eli qui ne s'était pas approché. Nous nous précipitâmes vers lui, trainant à terre, nous accrochant à ses manches.

— Prophète ! Ressuscite-le ! lui mendiâmes-nous à l'unisson. Le livre le dit ! Les gens du livre et du verbe l'affirment ! Aux prophètes sont accordés les miracles. dit l'un d'entre nous plus fort que les autres.

— Tu le dis, lui répondit Eli.

Il continua :

— Le miracle aura lieu.

Nous jubilâmes à ses mots.

— Ôtez-lui ses effets et partagez-les selon vos besoins, équitablement.

C'est ce que nous fîmes respecteusement selon ses commandements. Il regardait le ciel, en silence. ll le brisa une fois que nous eûmes mis Targür a nu et croisés ses bras sur sa poitrine :

— Portez-le à la vue de tout ce qui vit.

Nous ne comprîmes pas ces paroles et nous nous regardions les uns les autres, curieux. Il nous indiqua un endroit sans ruine ni toit. Du sable et du soleil. Nous y portâmes le corps. Il gisait au milieu de rien. Nous attendions la chose promise ; le retour parmis nous de notre camarade tombé au combat.

— Bénis soient ceux qui acceptent ce qui va suivre, car là est la révélation, dit le prophète en s'asseyant à l'ombre de débris gigantesques.

Nous l'imitâmes, les yeux rivés vers le corps à peine visible. Nous nous fatigâmes à le fixer ; une nuit passa sur notre peine puis une aurore. À la faveur du petit jour s'étaient amassés autour de Targür, vautours et charognards. Nous nous levâmes afin de le protéger de cet outrage en chassant de nos bras les profanateurs.

— Pourquoi ne l'as-tu pas ressuscité ! Ne l'aimes-tu pas ?

Nous reprochâmes cela à Eli alors que certains des notres allèrent chercher le corps afin de le mettre en terre.

— Je l'aime, répondit Eli, non sans une profonde tristesse, mais est-ce que mon amour pour lui m'autorise le déni ? Qu'allez vous faire de ce corps ? L'inhumer ? Pour qui faites vous cela ?

— Pour lui ! Pour son honneur ! Pour son âme !

Nous lui criâmes ces paroles. Il hôcha sa tête en signe de compréhension puis se leva lentement.

— Vous le faites pour vous. Pour mettre six pieds de terre entre vous et votre propre chute ; vous niez votre fin et incombez au mort cette volonté. Hypocrites ! Enterrez-le ou ne le faites pas, peu importe, mais en vérité je vous le dis, la transmutation aura lieu en dépit de vos rituels et de votre morale. Rejouissez-vous de cette nouvelle. Targür vivra. Il vivra à travers toute chose qui vit, qui veut vivre.

Eli saisit son aka, la porta à son épaule et se remit en marche. Nous fûmes subjugués, sans trop savoir quoi faire. Nous offrîmes malgré tout, sans vraiment savoir pourquoi, une modeste sépulture à Targür, en ayant toute fois l'impression d'agir contre nous. Honteux et coupables. Nous reprîmes la marche la tête basse et le cœur alourdi par le doute.

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