La parabole du vide.

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Nous nous crûmes perdus dans le désert, sans savoir que sous nos pieds dormait la source vive. À celle-ci nous emplirions nos gourdes pour peu que nous creusassions suffisament. En attendant, nous puisions l'eau, la partageant à qui soif, profitant des ombres de nos tentes. Entre elles, des rires éclatèrent ici et là. Nous eûmes alors ce rare privilège d'insouciance qui fait tant de bien aux corps. Nous sortîmes le pain, le rompant en morceau ; chacun prenant la juste récompense pour sa peine. Seul Akar avait l'oreille distraite, tendue vers ailleurs. Nous insistâmes pour qu'il accepte notre reconnaissance, comme nous avions, un par un, accepté celles des autres à notre égard. Il opposa seulement sa main nous demandant de nous taire :

— N'entendez-vous pas cette plainte qui monte ? C'est fin, inaudible, et pourtant je l'entends.

Nous lui demandâmes d'où pouvait-elle bien provenir, car nous, nous n'entendions rien. Il se leva et partit en quête d'une réponse. Nous le suivîmes tout aussi curieux. C'était de la tente d'Eli que venaient les pleurs ; un homme pendu à ses manches l'implorait la tête baissée.

— Tu veux donc retourner à Qumrân ? lui répondit calmement Eli.

— Oui... Pardonne-moi. Nous avons marché durement à ta suite. Nous t'avons fait confiance mais, à présent, nous voyons bien que tout cela n'a pas de sens ; que tout cela est...

Il fut coupé par Akar qui, avec rage, lui empoigna la nuque et jeta son corps implorant hors de la tente. Une fois au sol, il l'étouffa, lui et sa supplique, dans le sable. L'homme se débattait en vain de ses bras impuissants. Fermement, une main se posa sur le poignet du plus zélé d'entre nous ; il lâcha son emprise, honteux. Eli s'assit aux côtés de celui qui, tremblant à présent davantage, toussait de la poussière rouge.

— Pardonne vite la passion de mon ami, car maintenant tu dois m'écouter.

Il lui épousseta une épaule tout en continuant :

— Quel sens voudrais-tu absolument attribuer à ce que tu vis ? Nous tombons tous dans le vide, tous ; à quoi te servirait donc un sens entre toi et cette vérité ? Pourquoi vouloir clouer un but à tes pieds ? Ainsi fixé, stable sur ton plancher tout te semblerait plus supportable ? Mais, dis-moi, ne tomberais-tu pas quand même à nos côtés ?

En nos cœurs nous doutâmes à l'instar du vieil homme et nos hontes se chassèrent l'une l'autre quand elles vinrent se croiser dans nos regards. Nous évitions celui d'Eli. Il se leva.

— Je vous demande de plonger volontairement dans le vide. La tête la première ; les yeux grand ouverts. Gémissez, pleurez, implorez tout vos fétiches si vous le souhaitez mais soyez résolus dans la chute car je vous le dit, vous chuterez comme vous chutez.

Il n'eut pas plus de mots pour nous. Debout à l'entrée de sa tente, il fixa le vague devant lui, nous ignorant, nous et nos interrogations. Le vieillard resta avec lui.

Nous retournâmes à notre partage ; Akar accepta sa part, la mine accablée. Nous étions assoiffés par nos questions, sur ce qu'Eli nous avait demandé de faire, d'être ; nous nous abreuvions, tant bien que mal, les uns les autres de ce que nous avions compris chacun de notre côté. Nous nous couchâmes sans soulagement ; il fallait repartir ; les sangles de nos Akas tremperont dans la sueur de nos cous à nouveau.

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