L'Envol

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À tous ceux qui ne croient pas en l’amitié, la vie et l’espoir. Tous les morts qui avaient raison.À tous ceux qui ne croient pas en l’amitié, la vie et l’espoir. Tous les morts qui avaient raison.

Ceci est un conte. Et un conte commence par « Il était une fois », alors…

Il était une fois une petite fille qui vivait dans une grande ville. A côté de cette grande ville, il y avait une forêt, où son père y était bûcheron. Sa mère, elle, était lavandière. Tous deux travaillaient beaucoup, alors cette petite fille se sentait bien seule. Elle se nommait Azelma. La vie était difficile pour elle, marquée par le malheur. Sa grande soeur s’était noyée deux ans auparavant et son petit-frère était mort de maladie durant l’hiver précédent. Azelma n’était plus l’une de ces petites filles joyeuses et insouciantes. Les autres enfants l’évitaient, elle errait seule dans les rues de la ville et ne s’amusait jamais. Comment être heureux, après tels malheurs ? comment être heureuse, alors que personne ne s’occupait d’elle ? Comment vivre comme avant, alors qu’elle avait perdu sa soeur et son frère en si peu de temps ?

Qu’elle était étrange, cette petite fille aux cheveux noirs et aux yeux bleu-gris, de la même couleur que la mer durant une tempête ! Elle n’avait que 11 ans, mais ses yeux semblaient hantés par des ombres qu’un enfant n’était pas censé connaître. Elle était pâle et des cernes noirs cerclaient ses yeux. Son esprit était sombre, de douleur et de tristesse. Cette enfant ressemblait bien trop à un adulte, marqué par les tragédies, avec un corps de fillette. Personne ne faisait attention à ce fantôme, sauf les mères pour dire à leur progéniture de ne pas s’en approcher.

Un jour, une famille de fleuristes emménagea dans la ville, juste en face de la maison d’Azelma et ses parents. C’était un couple généreux et travailleur qui avait une merveilleuse boutique, disait-on. Ils avaient un fils, un petit garçon qui devait avoir le même âge qu’Azelma.

La mère d’Azelma envoya sa fille porter un peu de bois aux nouveaux arrivants en guise de bienvenue. Azelma alla donc toquer à la porte des fleuristes, son paquet de bois sous le bras. Une femme souriante aux cheveux blonds comme le blé lui ouvrit : « Bonjour ! Que veux-tu ?

  • … Bonjour, madame. Hum, ma mère m’a envoyée vous donner ceci. »

Azelma lui donna le paquet de bois et s’apprêta à repartir. Mais la dame blonde la retint : « Attends ! Merci. Je m’appelle Louise. Et toi ?

  • Azelma, madame.
  • Quel joli nom ! Exotique, inhabituel, unique ! Entre donc, Azelma. »

Louise lui sourit, de nouveau. Azelma ne pouvait pas refuser, ce serait impoli. Elle entra donc. La maison était haute, mais pas très large. La pièce dans laquelle Azelma entra sentait le parfum floral, et pour cause, il y avait des fleurs, séchées ou fraîches, de partout. C’était la boutique, là où les gens venaient acheter fleurs, bouquets, et parfois quelques parfums. Azelma était intriguée par la douceur et la bienveillance de Louise.

« Ici, c’est la boutique, expliqua Louise. C’est là que nous préparons les fleurs, et aussi là que nous les vendons. Viens, allons en haut. Il y a la cuisine et les chambres. »

Louise lui indiqua un escalier en bois dans le coin de la salle. Azelma suivit la maîtresse de maison dans les marches grinçantes de l’escalier. Elle entra dans une pièce chaude et douillette. Les murs et le sol étaient sombres, mais il y avait une grande cheminée, dans laquelle flambait un bon feu. Devant le feu, un tapis usé, une chaise en bois sur laquelle avait été déposé un panier de fleurs séchées. À droite la cuisine, et au centre de la pièce une table de bois sombre, marquée par les ans. Un homme aux cheveux bruns y était attablé devant des croquis de bouquets, des crayons à côté de lui.

« James, nous avons de la visite, lui dit Louise. Je te présente Azelma. Elle nous a apporté du bois. Azelma, voici James, mon mari.

  • Je suis la fille des voisins d’en face, ajouta timidement Azelma. Mes parents m’ont envoyée vous donner du bois.
  • Eh bien enchanté de te connaître, Azelma.

James se leva et lui serra la main. Ses doigts étaient doux, son travail ne les abîmaient pas. Azelma s'aperçut que le mari de Louise avait des yeux verts, d’un très beau vert.

  • Merci de nous avoir apporté du bois, continua-t-il.
  • Tu veux boire ? Manger ? proposa Louise à son invitée.
  • Non, c’est bon, merci, refusa poliment la jeune fille.
  • Si si, j’insiste. Je vais te donner un verre de lait chaud. Je te trouve bien maigrichonne, tu sais.

Louise partit vers la cuisine et s’affaira.

  • Tu sais, nous avons un fils, dit James à la jeune fille.
  • C’est ce qu’on dit.
  • Il a la santé fragile. Il a… eu quelques soucis. Et... Je pense qu’il serait content de devenir ami avec quelqu’un de son âge.

Tout en parlant, le père inquiet regardait Azelma. A présent, il la regardait d’un regard inquisiteur, attendait qu’elle réponde. Mais que dire ?

  • Il… il n’a pas d’ami ?
  • Non. Il ne sort pas souvent, et en général, les autres enfants l’évitent, l’ignorent. C’est un enfant sensible, il ne dit rien, mais je sais qu’il en souffre.

À ce moment-là, Louise arriva en souriant avec un verre de lait chaud.

  • Tiens, ça te fera du bien, dit-elle à Azelma. »

Puis elle se tourna vers son mari. James, ne lui parle pas de nos problèmes. C’est une enfant, il ne faut pas lui mettre d’autre lourd fardeau sur ses frêles épaules.

« On peut bien parler de notre fils, bien-sûr, mais…

Elle ne continua pas. Louise, douce mère. Tendre, protectrice et pleine de bonté. James se passa la main dans les cheveux, les ébouriffant au passage.

  • Oui, tu as raison. Excuse-moi, Azelma.

On voyait bien que ces gens étaient braves, mais s’inquiétaient énormément pour leur fils. Que lui était-il arrivé ? Azelma n’osait pas le demander. Elle réfléchit à ce qu’elle pouvait faire pour les remercier.

  • Je peux voir votre fils ? Oh, et je ne connais pas son nom. Comment s’appelle-t-il ?
  • Il s’appelle William, dit Louise après quelques instants. Tu veux le voir ?
  • Oui.

Azelma n’en avait pas tellement envie, mais elle voulait vraiment faire plaisir à ces parents inquiets. Elle ne voyait pas de meilleur moyen pour les remercier, à sa façon, discrète.

  • Eh bien suis-moi, alors. »

Azelma lui emboîta le pas dans un autre escalier menant à un autre étage. Il y avait deux étages, donc celui-ci devait être le dernier et mener aux chambres. Après l’escalier, il y avait un petit couloir avec trois portes. Deux à gauche et une à droite. Louise toqua un bref coup à celle de droite et entra. Azelma la suivit dans une pièce sombre, dont les rideaux étaient tirés. La pièce était plutôt grande pour ce type de maison. Un lit assez grand était au centre. À côté, une table de nuit, sur laquelle il y avait une bougie, allumée, ainsi qu’un baquet d’eau dont un gant était posé sur le rebord. Dans le lit, en bois, on pouvait distinguer la forme d’un enfant, sous le draps et la couverture. En approchant, Azelma vit un garçon, frêle et mince, sûrement de son âge, dont la tête reposait sur un oreiller. De la sueur coulait de son front, il avait les yeux fermés, les traits légèrement crispés. Louise tira une chaise qu’Azelma n’avait pas vue dans la pénombre et la positionna près du lit. Elle s’y assit, pris le gant, le trempa dans l’eau, l’essora et essuya le visage du jeune garçon. Azelma se tenait debout à côté de Louise, bien droite en regardant celle-ci essuyer tendrement le visage de son fils. La petite fille observa ce garçon à la silhouette si frêle. D’abord, il était pâle, très pâle, comme s’il ne sortait jamais, ce qui ne devait pas être loin de la vérité. Il avait les cheveux blonds comme le blé, comme ceux de sa mère. Le garçon ouvrit les yeux. Azelma vit alors qu’il avait les yeux verts, comme son père. Comment la nature avait-elle fait un mélange si parfait et égalitaire de deux êtres ? Mais le blond de ses cheveux, le vert de ses yeux, la blancheur de sa peau étaient plus pâles, d’une couleur moins vive que les autres. On pouvait voir de gros cernes sous ses yeux, de même que l’on voyait aisément ses os sous sa chemise. Louise sourit et fit un geste vers moi.

« William, je te présente Azelma. C’est nôtre voisine, elle habite en face. Elle a ton âge.

Le petit garçon sourit, calme et paisible.

  • Ravi de te connaître, dit-il a Azelma en souriant plus encore.
  • De même, répondit-elle. »

Il lui tendit une main fine, qu’elle sera précautionneusement, de peur de la casser tellement elle semblait fragile. À présent, il souriait d’un sourire qui illuminait tout son visage, jusqu’à ses yeux. Azelma admirait ce garçon qui, malgré ses problèmes de santé, souriait, restait calme et paisible. Il profitait de la vie, même si elle ne lui offrait pas grand chose. Et tout cela, Azelma le voyait même si elle ne le connaissait pas. William s’adressa à nouveau à elle : « Dis, cela t’embêterait-il d’aller me chercher mon violon, posé sur la commode, là bas ? »

Il désigna un coin de la pièce, où il y avait en effet une commode, faite dans un bois sombre. Une boîte était posée sur le dessus, ce qu’Azelma supposa être l’étui de l’instrument. Elle se dirigea vers la commode, pris l’étui, et revint vers le lit. Elle déposa doucement l’étui sur le bord.

« Merci » dit William.

Doucement, il ouvrit l’étui, et en sortit un violon. Un petit sourire étira ses lèvres et il se mit à jouer, heureux. Azelma n’osait plus bouger, tellement elle était subjuguée par la musique. Celle-ci était douce à certains moments, enjouée, triste, lugubre, gaie à d’autres. Entêtante et magnifique. C’était la plus belle chose qu’Azelma n’ai jamais entendue. La musique de William était expressive, il parlait à travers elle. La jeune fille ne la comprenait pas vraiment, mais elle souhaitait pouvoir le faire, un jour. La musique redevint douce, puis s’arrêta. Azelma ne bougeait toujours pas. Elle souhaitait que la musique ne s’arrête pas, continue. Maintenant que la musique s’était tue, il semblait manquer quelque chose dans cette chambre, devenue trop silencieuse. Cinq minutes passèrent. Il fallait du temps à Azelma, le temps qu’elle se dise qu’elle n’avait ni rêvé ni fait un tour au paradis.

« Ça va ? demanda Louise, inquiétée par son silence;

  • Oui oui, bredouilla Azelma. C’est juste que… je n’ai jamais entendu quelque chose d’aussi beau. Ni vu, d’ailleurs. C’était… bien mieux que magnifique.

William avait rangé son violon dans son étui et s’était appuyé contre ses oreillers, le front couvert de sueur mais les étoiles dans les yeux.

  • Merci. Je ne joue pas souvent, encore moins devant des gens que je ne connais pas.
  • Je ne peux rien faire de plus pour te remercier que de te dire merci. Alors, merci, merci énormément.

William sembla vouloir dire quelque chose mais se ravisa. À la place il sourit, et Azelma lui sourit en retour. Si William ne jouait pas souvent, Azelma souriait encore moins souvent.

  • Excusez-moi, mais il faut laisser William se reposer, maintenant, dit Louise.
  • Oui, bien sûr. Merci, William. Au revoir. »

Elle sortit de la chambre, Louise derrière elle. Ce garçon avait un talent immense. Mais s’en rendait-il compte ? Il s’exprimait à travers sa musique, faisait ressentir ses sentiments à son auditoire. Combien de personnes étaient capable de le faire aussi bien, aussi naturellement ? En retournant à la pièce de vie, la cuisine, Louise lui dit :

« Fascinant, n’est-ce pas ? J’ai écouté d’autres gens jouer de la musique, mais je n’en ai jamais entendue qui égale celle de William. Et je ne dit pas uniquement cela car c’est mon fils. Sa musique est magnifique, unique.

  • C’est plus que vrai, murmura Azelma.

Elles étaient maintenant dans la cuisine. James dessinait.

  • Et toi, fais-tu de la musique ? demanda Louise à la jeune fille.
  • Non. Je n’ai, à vrai-dire, jamais essayé.
  • Oh. Tu devrais peut-être essayer ?
  • Peut-être.
  • Je pense que tu devrais rentrer chez toi. Tes parents doivent t’attendre, non ?
  • Je ne pense pas, non. Mais je vais retourner chez moi, je vous ai déjà pris assez de temps comme ça. Merci pour tout, vraiment. Au revoir.
  • Très bien, alors. Au revoir. Oh, et tu peux revenir quand tu veux ! dit Louise.
  • Au revoir, Azelma, dit James en relevant la tête de ses dessins. »

Louise accompagna Azelma jusqu’à la porte et lui fit promettre de remercier ses parents de sa part. Elle ajouta :

« Tu es une bonne fille, tu sais. Tu n’as souri qu’une seule fois : à William. Et il a joué pour toi. Vous ne vous connaissez pas, mais je sens que… je ne sais pas, vous êtes faits pour vous entendre. James et moi t’aimons bien, tu sais, tu es polie, gentille, et tu peux passer quand tu veux. »

Louise sourit à la jeune fille, puis referma doucement la porte pendant qu’Azelma rentrait chez elle. Quand la jeune fille rentra chez elle, sa mère était déjà rentrée.

« Tu es allée voir les nouveaux d’en face ?

  • Oui.
  • Tu leur as apporté le bois ?
  • Oui.
  • Ils sont gentils ?
  • Très.
  • Ils ont un fils, je crois ?
  • Oui.
  • On ne le voit pas, dehors.
  • Il est malade. Depuis longtemps, je crois.
  • Pauvre enfant. Ça ne doit pas être drôle.
  • Il joue merveilleusement bien du violon. Mieux que ça, même. C’est unique, magnifique.
  • Ah bon ? Si tu prends la peine d’en parler autant, c’est que ça doit être quelque chose.

Azelma s'apprêtait à monter dans sa chambre, aussi sa mère ajouta rapidement :

  • Ton père rentrera tard, ce soir. Nous mangerons sans lui. »

Cela arrivait souvent. En effet, le père d’Azelma commençait son travail tôt et finissait tard. Ainsi, Azelma et sa mère mangèrent seules ce soir-là, comme tant d’autres. Après, Azelma alla se coucher.

Le lendemain, après s’être lavé le visage, les mains et les pieds, avoir nettoyé leur petite maison, être allée chercher de l’eau, avoir fait la vaisselle et les lits, elle décida d’aller voir les voisins, et plus précisément William. Elle ne parvenait pas à ignorer sa merveilleuse musique, qui avait prit place dans un coin de sa tête. Elle alla cueillir un bouquet de fleurs sauvages à l’orée de la forêt. Puis elle toqua à la porte des fleuristes. Louise fut heureuse de la voir. Cette foi, James n’était pas entrain de dessiner mais entrain de soigner des fleurs dans la boutique. Quand Azelma demanda à voir leur fils, Louise sourit et l’accompagna jusque devant la porte de celui-ci. Puis elle se tourna vers la jeune fille :

« Je suis désolée, je ne peux pas rester avec vous. J’ai du travail à faire, à la boutique. Passez du bon temps. »

Louise repartit, laissant Azelma devant la porte de William. Elle souffla un bon coup puis toqua.

« Oui ! dit une voix d’enfant.

Elle entra, un peu timide. William était assis dans son lit, appuyé contre ses oreillers.

  • Bonjour, murmura-t-elle.
  • Bonjour. C’est gentil d’être revenue. Tu dois avoir pitié de moi.
  • En fait, non.
  • Ah bon ?
  • Oui. Tu es un garçon sensible et intelligent. Quelqu’un de gentil et respectable. Un grand musicien.
  • Je ne pensais pas que quelqu’un me dirait ça, un jour.
  • Et encore, je te connais peu.
  • Apprends à me connaître, alors. Je ferai de même avec toi.
  • D’acord.

Il y eu un vide, pendant lequel ni l’un ni l’autre ne savait quoi dire. Finalement, Azelma se souvint qu’elle lui avait apporté des fleurs, pour mettre de la couleur dans sa chambre sombre.

  • Tiens, je t’ai apporté des fleurs. Je me disais que c’était sombre, ici, alors… Et je sais que tes parents sont fleuristes et qu’ils ont pleins de fleurs, mais celles-là viennent de l’orée de la forêt.
  • Merci, c’est très gentil, lui répondit William en souriant. »

Azelma avisa un vase posé par terre à côté de la table de nuit. Il était vide. Elle descendit chercher de l’eau. Elle remonta et posa le vase sur la table de nuit. William l’attendait.

« Voilà, comme ça tu auras aussi de la couleur, celle de l’extérieur, de la forêt, lui dit-elle.

  • C’est beau.
  • Oui.

Il resta pensif un moment, puis lui demanda :

  • Joues-tu de la musique ?
  • Non.
  • Chantes-tu ?
  • Non.
  • Veux-tu que je joue du violon pour toi ?

Les yeux d’Azelma brillèrent. Comme elle espérait entendre de nouveau sa musique !

  • Oui. Vraiment, oui.
  • Très bien. Alors je vais jouer. Pour toi. Amènes-moi mon violon, s’il te plaît. »

Elle alla le chercher sur la commode et le déposa doucement à côté de lui. Il sortit, avec des gestes doux et précautionneux, son violon de l’étui. Et il joua, une musique différente de celle de la veille. Elle était moins triste, plus heureuse, parlait de joie, d’amitié. Quand il s’arrêta, Azelma était émue et émerveillée.

« Tu pleures, lui signala William, étonné.

Azelma essuya ses larmes, gênée. De telles émotions se dégageaient de sa musique…

  • Ce… ce n’est rien. C’est juste que ta musique dégage pleins d’émotions fortes.

William ne répondit pas. Il avait l’air de réfléchir à ce qu’elle venait de dire.

  • Je ne savais pas, dit-il enfin. »

Ils discutèrent encore un peu, puis Azelma retourna chez elle. Le lendemain, elle revint, de même que les jours suivants. Petit-à-petit, elle l’appela “Will” et lui “Aze”. Un jour, il lui demanda :

« Tu ne voudrais pas essayer de chanter ?

  • Essayer de chanter ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais essayé.
  • Vraiment ?
  • Vraiment.
  • Eh bien je pense qu’il est temps d’essayer, alors. »

Il lui fit chanter une mélodie que Louise lui chantait quand il était petit. Il lui faire tous les exercices qui lui passaient par la tête. Azelma se débrouillait bien, voir très bien. Après, on entendait souvent sa voix filtrer des murs de la chambre de William ou de sa chambre à elle. Son chant était pur.

Ils devinrent amis, et il était difficile de les séparer. Parfois, Azelma restait dormir chez les fleuristes. Elle apprit que Will avait été victime d’un poison, alors qu’il n’avait que cinq ans. Une femme très douée avec les plantes, les potions et les philtres, peut-être un peu sorcière ou fée, avait réussi à le sauver. Mais son corps n’avait pas totalement guéri et demeurait faible et frêle.

Deux ans après leur rencontre, Azelma décida de mêler son chant à la musique de Will et de partager leur musique aux autres. Ils s’entraînèrent énormément. Will ne sortait pas souvent, aussi Azelma essayait de lui montrer pleins de belles choses quand il sortait. Mais cette foi-là, c’était pour montrer pleins de belles choses aux autres gens. Ils allaient faire de leur musique sur la place du village, devant tous ceux qui viendraient. Les deux amis espéraient que les gens aimeraient. Ils firent, et, tous les villageois dehors arrivèrent pour les écouter. On entendit des « Que c’est beau ! », des « Merveilleux ! », des « Waouh ! Qui aurait deviné ? Ces deux-là… » et des « Ce sont des anges, pas d’autre solution. » parmis d’autres expressions semblables. Les spectateurs furent émerveillés. Ils n’avaient pas meilleur souvenir, mis à part les naissances et les mariages, peut-être. Certains disaient même que les enfants étaient deux anges descendus du paradis venus leur rendre l’espoir et la joie de vivre. Cette réussite motiva les deux amis et ils jouèrent souvent en public. Sur la place du marché, à l’orée de la forêt ou dans une rue quelconque. Ils n’avertissaient pas, les gens venaient à eux seuls. Ils devinrent connus, mais ça ne les intéressait pas. De leur amitié fantastique, ils avaient appris que la vie pouvait donner et qu’il fallait en profiter, la vivre pleinement. Leur amitié leur suffisait, ils n’avaient pas besoin de devenir roi ou princesse, d’être riches ou connus. Tout ce qu’ils voulaient, c’était vivre pleinement la vie et transmettre leur joie de vivre aux autres. Redonner l’espoir à l’un, le bonheur à l’autre. Donc, ils voulaient transmettre leur joie par la musique, et ils y arrivaient à merveille. Azelma avait une voix d’ange, divine, et Will jouait mieux que jamais du violon.

Un jour, alors que les deux amis avaient un peu plus de quatorze ans, les parents d’Azelma annoncèrent qu’ils allaient déménager. Il n’y avait plus d’arbres à couper et la soeur de la mère d’Azelma était gravement malade. Seulement elle vivait dans une autre ville, et les parents d’Azelma devaient l’aider. Aussi n’avaient-ils pas trouvé d’autre solution que celle de partir. Mais ils savaient comme leur fille avait changé depuis sa rencontre avec Will et ils avaient longuement discuté avec les parents de Will. Il ne fallait surtout pas séparer les deux amis, et ils trouvèrent une solution. Ils proposèrent à Azelma de vivre avec Louise, James et Will. Bien sûr, elle accepta. Elle ne pouvait pas laisser Will. Mais d’un autre côté, cela impliquait laisser sa famille. Ils convinrent de dates où ils se reveraient, tous les ans. Les parents d’Azelma laissèrent de l’argent à Louise et James. Après de longues embrassades et des larmes, les parents d’Azelma partirent, laissant leur fille entre de bonnes mains : celles des fleuristes.

Une autre année passa. De plus en plus de monde venait dans cette grande ville. Mais ce qui les intéressait le plus n’était pas les produits de cette ville-là. Non, ce qui les intéressait, c’était la jeune fille et le jeune homme qui avaient une si formidable renommée qu’elle avait dépassée les limites de l’empire. Ce n’étaient que des enfants, disaient certains. Avec leur âge, oui ce sont des enfants. Mais mentalement, ce sont presque des adultes. Car avec les malheurs qui ont frappés leurs vies, ils ont mûri plus vite que les autres enfants. Un jour, le frère de l’empereur vint lui-même voir les deux prodiges. On leur proposa maintes fois des offres intéressantes, mais maintes fois, ils refusèrent. Ils ne se laissaient pas distraire de leur but, ils ne devenaient pas égoïstes, comme tant d’autres.

Un jour, Azelma reçu une lettre de ses parents. Elle disait que la tante qui était gravement malade était morte la veille. Azelma devait venir à l’enterrement, qui aurait lieu dans quatre jours. Dès qu’elle reçut la lettre, elle expliqua le malheur à Louise et James. On trouva des fermiers qui partaient l’après-midi même dans les alentours de la ville où la jeune fille devait aller qui acceptaient qu’elle voyage avec eux. Ils avaient eu de la chance, ce n’était pas souvent qu’on trouvait des gens qui partaient au même endroit au bon moment. Azelma dû dire au revoir à Will et aux parents de celui-ci. Elle dit au revoir à Will juste avant de partir vers la place de la ville, là où elle avait rendez-vous avec les fermiers.

« Tu reviendras, n’est-ce pas ? demanda Will, suppliant.

  • Bien sûr que je reviendrai, dit-elle. Je te le promets.

Il la serra fort dans ses bras. Quelques larmes coulèrent sur sa joue. Azelma, elle pleurait vraiment.

  • Nous ne faisons qu’un Will, ajouta-t-elle en souriant. Rien ni personne ne nous séparera. Ni l’empereur ni même la mort.
  • La mort viendra bien assez tôt me chercher. Mais elle ne nous séparera pas, je le jure. Alors même que je serais mort et enterré, je ne penserai qu’à toi.

Ces paroles alertèrent Azelma.

  • Will, la mort est encore loin. Tu as encore du temps.
  • Pas autant que tu le pense. Je sais qu’il ne me reste pas très longtemps. La vie ne m’accorde pas beaucoup de temps, mais elle m’a fait un immense présent : elle nous a permis de nous rencontrer. Alors, reviens vite. »

Azelma déposa un baiser sur sa joue et partit sans se retourner. Quand elle sortit elle pleurait toujours. Mais elle allait vite revenir. Avant qu’elle ne parte, Louise et James la serrèrent dans leurs bras. Dès le début, ils l’avaient considérée comme leur fille. Elle avait quatre parents : deux mères et deux pères. Alors que la charrette des fermiers s’éloignait de la ville, elle fixa la maison des fleuristes jusqu’à ce qu’on ne voie plus la ville.

Le voyage avait duré environ deux jours. Les fermiers avaient laissé Azelma devant les portes de la ville où avait vécu la tante de la jeune fille. Après, Azelma avait suivi les indications de ses parents pour trouver la maison de sa tante, là où ils vivaient. Les parents furent heureux de retrouver leur fille et inversement. Azelma n’avait vu sa tante qu’une seule fois, quand elle avait six ans. Elle ne s’en rappelait pas beaucoup. Elle assista à l’enterrement, debout aux côtés de ses parents, qui pleuraient. Ils aimaient beaucoup la tante d’Azelma et sa perte les rendait très tristes. Le lendemain, la mère d’Azelma annonça à sa fille qu’ils allaient rester dans cette ville-là, garder la maison de la défunte.

« Veux-tu rester avec nous ? lui demanda-t-elle, l’air grave.

  • Maman… Je ne peux pas. Comprends bien : je vous aime, papa et toi. Mais Will et moi ne sommes qu’un. Chacun est la moitié de l’autre. Séparés, nous sommes incomplets, sa musique est incomplète, comme mon chant. Nous devons continuer à transmettre la joie de vivre et l’espoir. Comprends-tu ce que j’essaye de te dire ? demanda-t-elle à sa mère en la regardant droit dans les yeux.
  • Oui, ton père et moi comprenons. Nous n’insisterons pas. Cela te dérangerait-il de rester quelques jours avec nous ? J’ai le sentiment que nous ne nous reverrons plus, après. Je sais que ton père et moi n’avons pas été très présents jusque là, mais nous t’aimons. Beaucoup.
  • Merci, maman. Cinq jours. Cela ira-t-il ? C’est court, mais la vie l’est aussi. »

Ainsi, elle passa les cinq jours suivants avec ses parents. La veille de son départ, elle leur chanta une chanson, qui parlait de la vie, de l’amour, de l’espoir et des adieux. Avant que leur fille ne parte, les parents lui dirent ceci :

« Nous ne nous reverrons plus ou pas beaucoup. Personne ne sait pourquoi, mais la vie est ainsi. Les oiseaux s’occupent de l’oisillon. Quand celui-ci est assez fort, il s’envole. Après, les parents et leur progéniture ne se revoient plus. Ton envol a déjà commencé, Azelma. Tu dois savoir que nous espérons le meilleur pour toi. Vie ta vie comme tu l’entends. Adieu, notre oisillon. »

Azelma repartit vers sa ville natale avec des vendeurs ambulants. Elle avait tellement hâte de rentrer ! Bien sûr, elle était très triste de quitter ses parents. Mais c’était son choix, son envol.

Sur la place de la ville, Louise, James et Will l’attendaient. Tous souriaient. Mais Azelma remarqua que son ami avait de gros cernes sous les yeux, comme à leur rencontre. Elle les serra tous dans ses bras. Cette nuit-là, elle dormit dans la chambre de Will.

« T’es-tu reposé, quand je n’étais pas là ? lui demanda-t-elle.

  • Je crois que tu as déjà deviné la réponse : non.
  • Pour moi aussi ça a été compliqué. Je ne reverrai sans doute plus beaucoup mes parents. Quand j’étais loin, pas avec toi, mes chansons étaient incomplètes.
  • Désolé, pour tes parents. Ça doit être compliqué. Il soupira. Mes musiques aussi étaient incomplètes.
  • Logique. Bon, il est temps de se reposer. Dors bien.
  • Bonne nuit. »

Il attrapa sa main droite et ferma les yeux, comme elle. C’était une habitude qu’ils avaient prise quand ils étaient plus jeunes, pour se réconforter.

Le temps continua à passer.

Un an plus tard, Azelma reçu une lettre qui apportait de mauvaises nouvelles. Elle avait été envoyée par la voisine de ses parents. Ils étaient morts. Elle était orpheline. Sa mère avait été emportée par le courant de la rivière. La soeur d’Azelma était morte noyée, de nombreuses années auparavant, elle aussi. La mort de sa femme avait rappelé la mort de son fils et de sa fille au père d’Azelma. Il s’était laissé mourir de désespoir. Donc ils étaient tous deux morts. Elle ne les avait pas revus depuis la foi où elle était allée les voir pour l’enterrement de sa tante. Quand Azelma lu la lettre, c’était le soir et il faisait nuit. Elle s’excusa et sortit de la maison en courant. Elle courut sans s’arrêter jusque dans la forêt. Là, elle escalada un grand arbre, jusqu’au sommet. Après, elle chanta sa tristesse et son désespoir au ciel nocturne. Elle resta là longtemps. Enfin, elle regagna la maison des fleuristes. Cette nuit-là, elle dormit dans les bras de Will, après avoir pleuré sur son épaule pendant qu’il la berçait.

La vie continua. Un an, puis deux. Azelma s’était ressaisie et chantait à nouveau l’amour et l’espoir pour les autres. Mais elle s'inquiétait pour Will, qui faiblissait. En effet, sa santé se dégradait. Ils arrêtèrent les sorties et la musique. Il passait de nouveau tout son temps au lit à se reposer. Azelma restait à son chevet et chantait pour lui. Ils essayèrent toutes sortes de remèdes, mais rien n’y fit. Les habitants de la ville et même des gens venus d’ailleurs tentèrent d’aider. Mais le poison dont Will avait été victime environ 13 ans plus tôt refaisait surface. Et Will souffrait de plus en plus. Il était maintenant évident que rien ne le guérirai. Azelma, Louise et James assistaient, impuissants, à la mort lente de cet être si aimé. La ville entière était aussi triste. Car les gens avaient appris à aimer ces deux enfants. Et même si un seul mourrait, cela signifiait la chute de l’autre. Azelma passait ses journées et ses nuits à veiller son ami, en lui serrant toujours la main. Elle ne dormait que le stricte minimum. Parfois, elle s’allongeait à côté de Will, et ils se rappelaient le passé. Un jour, alors qu’Azelma et ses parents étaient dans la chambre de Will, il leur dit :

« Vous savez, mon corps me fait très mal. Et je n’en peu plus. Et vous devez l’accepter : je vais mourir.

  • Non, Will, non ! gémit Louise.
  • Si. Je sent que ça arrive. Je sent la Mort, elle est toute proche, répondit-il doucement. Je pense qu’il est temps de se dire au revoir.

Un lourd silence tomba sur la pièce. Ils étaient tous terrifiés, sauf Will, paisible et serein.

  • Es-tu sûr ? demanda finalement Azelma, résignée.

Il la regarda dans les yeux.

  • Oui. »

Les heures suivantes furent passées aux anecdotes, aux souvenirs. Finalement, Louise et James dirent adieux à leur fils. Ce fut une scène bien triste. Après, ils sortirent, laissant les deux amis seuls.

« Ainsi donc, tu pars, dit Azelma à son ami.

  • Oui. La vie a été courte pour moi, mais elle m’a offert beaucoup. Toi, par exemple. Et des parents en or.

Tout en disant cela, il restait calme. Azelma était allongée à côté de lui, la tête posée sur son épaule.

  • Pourquoi un être aussi bon doit partir si vite ?
  • Car la vie est ainsi, répondit-il.
  • Mais rien ne nous séparera, tu te souviens ?
  • Oui ! Ni l’empereur ni la Mort. Je t’attendrais. Je ne t’abandonnerais pas.
  • Et nous partagerons nôtre musique aux anges, s’ils seront là.
  • Oui. Rien ne nous séparera. Je t’aime.
  • Je sais. Moi aussi, je t’aime. Depuis bien longtemps.
  • Longtemps, oui.

C’était la première foi qu’ils se le disaient, mais ils n’avaient pas besoin de se le dire pour le savoir. Ces simples mots, ils se les étaient dis comme une promesse.

  • Et je t’aimerais encore longtemps. Jusqu'après ma mort. Éternellement.
  • C’est banal, ces deux mots que je vais dire, mais moi aussi.
  • Je pense que nous aurons accompli nôtre souhait, nôtre but.
  • Je le pense aussi. Il est temps de laisser nôtre place à d’autres, dit Azelma, apaisée»

Ils discutèrent encore quelques heures. Puis le moment de se dire adieux arriva. Azelma chanta. Ses paroles parlaient d’amour, d’espoir, d’adieux. Puis Will demanda son violon. Elle le lui apporta, et le posa respectueusement à côté de lui. Il sortit son violon de l’étui avec une douceur infinie. Ils étaient tous deux conscients que c’était la dernière foi qu’il répétait ces mouvements. La dernière foi qu’il jouait de son violon. Pour elle. La musique qu’il joua était autour des mêmes thèmes que le chant d’Azelma. Quand il eu fini, ils pleuraient tous deux. Mais ils souriaient. Puis :

« Adieux, ma chère Azelma.

  • Adieux, mon très cher William. Tu as bien mérité ton repos. Bientôt, je te rejoindrais et nous pourrons de nouveau partager nôtre musique. Tu resteras vivant, ici, dans le coeur de tous ceux qui t’ont connu.
  • Demain matin, je me serais déjà envolé. N’oublie pas.
  • Ton envol sera digne.»

Elle l’embrassa sur la bouche puis posa sa tête sur son épaule et se blottie contre lui, son bras autour d’elle.

Le lendemain matin, Will était mort, comme il l’avait prévu. On l’enterra trois jours plus tard, au cimetière, dans une petite clairière, d’où on avait une belle vue sur la vallée. Toute la ville était en deuil. Azelma planta un cerisier à côté de sa tombe. Et elle chanta, une chanson triste mais pleine d’espoir et d’amour. Elle était magnifique, splendide. Azelma avait confié le violon de Will aux parents de celui-ci, avant de partir pour l’enterrement.

À la fin de la cérémonie, elle parti dans la forêt. On ne la revit plus. Un an plus tard, elle est revenue. Personne ne savait d’où elle revenait ni ce qu’elle avait fait. Elle était revenue avec la même coiffure et la même tenue que lorsqu'elle était partie. Cependant, on ne l’entendait ni ne la voyait chanter, sauf sur la tombe de Will. Elle aidait Louise et James dans leur boutique. Elle souriait moins, parlait moins.

Encore un an après, on la trouva morte, étendue à côté de la tombe de Will. Elle avait le visage paisible, et un sourire étirait ses lèvres. Ça surprit tout le monde. Azelma était devenue discrète et secrète, ainsi personne n’avait soupçonné qu’elle mourrait de si tôt.

Certains disaient que lorsqu’elle allait au cimetière, l’année précédant sa mort, elle allait y rencontrer le fantôme de Will. À présent, ils étaient réunis. Car rien ne les séparerait. Et encore moins la Mort.

Fin

06/2017

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