Chapitre 6. Vamos a la playa (Allons à la plage)

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Mark Lopez avait toujours eu un sommeil léger. En grand habitué des réveils très matinaux, dès 4h30 il s’affairait chaque jour à la correction des copies de ses élèves ou à peaufiner ses cours. Son rituel commençait par quelques minutes de yoga ou par la préparation d’un de ses projets manuels de la semaine avec ses écoliers.

Ce matin du 2 janvier 2023, la lumière n’allait pas tarder à poindre. Les milliards de petits soleils de la nuit incrustés sur la voûte céleste accompagnaient le coucher de notre astre de nuit, sous un ciel tropical océanique entièrement dégagé. Après toutes ces années passées dans le quartier du bord de mer de Capitola à Santa Cruz, Mark était un familier de cette brise marine.

La senteur saline astringente dans ses narines le réveilla en douceur. Il aurait pu se croire dans son lit. Mais c’était sans compter sur un faible sifflement d’air s’échappant d'un minuscule orifice dans le bateau gonflable dans lequel il était étendu. Le bruit finit de le réveiller, cette fois avec la surprise de se retrouver au milieu de l’océan dans ce vaisseau en perdition.

Il lui suffit de lever la tête pour apercevoir qu’il n’était pas seul. Quatre autres bateaux comme le sien déambulaient à proximité, tous liés par une corde qui les empêchait de s’éloigner les uns des autres. Leurs occupants dormaient encore, mais l’imminence de leur naufrage était aussi une certitude. Tous semblaient perdre l’air qui assurait leur flottaison, du moins pendant encore quelques moments.

Le premier visage qu’il reconnut fut celui de Wen Li à moins de dix mètres. Sans délai, il dirigea son radeau vers elle. Wen, qui était de stature athlétique, pourrait s'avérer un indéniable atout pour le succès de la mission de sauvetage, se dit-il.

  • Wen! Réveille-toi vite, regarde où nous sommes ! , s’agita Mark en secouant le bateau de la fille, qui finit par ouvrir les yeux.
  • C’est mon impression ou ce bateau prend l’eau ? demanda Wen, en gardant son sang froid malgré le sérieux de la situation.
  • Aide-moi à réveiller les autres et à vérifier l’état de leurs bateaux gonflables, nous n’avons pas beaucoup de temps !

Bae ouvrit alors les yeux, réveillé par les cris de Mark. Son premier réflexe fut de chercher des yeux Maombi, dont le bateau flottait tout près. Bae tira donc la corde qui reliait les deux navires pour se rapprocher de sa dulcinée. Il remarqua alors que le bateau de Maombi était intègre, sans fuite d’air.

Il la réveilla doucement pour ne pas l’inquiéter, car elle ne savait pas nager. Noyée par cet horizon nocturne rempli de ciel et de mer, Maombi fut rassurée en constatant qu’elle portait un gilet. Que d’attention envers elle, bateau en parfait état et une assurance de flottaison individuelle !

Le bateau le plus éloigné contenait Stacey, endormie malgré le vacarme. Wen était sa voisine immédiate, et s’occupa de son réveil. Le bateau de la benjamine semblait le moins bien portant, au point qu’une partie de ses jambes baignait déjà dans l’eau, et que son corps tout entier ne tarderait à suivre la même tendance. Wen l’enlaça par la taille pour la faire monter sur son canot.

Mark, qui observait la manœuvre plein d’inquiétude, demanda à tout le monde de rapprocher les quatre bateaux.

Maombi, contemplait l’horizon, à la recherche d’une issue à la situation. Sa capacité à différencier les reliefs en dichromie compensait son incapacité à regarder les couleurs de l’arc en ciel. Dans un point distant, elle put distinguer un navire qui s’éloignait en vitesse, celui qu’elle avait pris avec Bae quelques heures plus tôt. Le soleil s'apprêtait à faire son apparition, et dans sa même direction, l’ombre d’une colline se profilait.

  • Nous sommes sauvées, regardez la côte, cria Maombi pleine d’espoir pointant vers l’Est.

Cependant, ce ne fut pas cette promesse de terre qui attira en premier l’attention des trois californiens naufragés, mais l’imposante personnalité de Maombi avec son gilet de sauvetage, sur un bateau intact.

  • Tu es Maombi Niombella, tu fous quoi là ! s’exclama Wen Li
  • Approchez-vite, le bateau de Maombi peut tenir au moins les filles, rassura Bae, qui avait ressenti le ton de reproche envers sa chérie.

Stacey et Wen montèrent avec Maombi, en même temps que les canots de Mark et Bae perdaient leurs dernières bulles d’air. Ils s’agrippèrent donc à celui des filles ; leurs quatre jambes joueraient le rôle de moteurs de fortune.

La côte devait être à quelques centaines de mètres à peine, mais le stress de la situation envahissait le canot. Celles à bord tentaient aussi de pagayer avec leurs mains, et le manque de synchronisation des cinq naufragés, attirait plus le navire vers le fond de la mer que vers la côte.

  • Tu n’as qu’à te jeter à l’eau Maombi, tu es la seule équipée, réclama Stacey.
  • Elle ne sait pas nager, dans l’eau elle serait un danger pour elle et pour nous tous, répondit Bae.
  • C’est moi qui vais dans l’eau. On ne tardera pas à le faire chavirer si nous restons toutes les trois dessus, répondit Wen.
  • Il doit y avoir des requins ici, ajouta Stacey, pour qui l’angoisse ne faisait que commencer.
  • On verra bien, mais je n’ai pas pris de harpon, répondit Wen avec cynisme, essayant de détendre l’atmosphère à sa manière.

Les vagues furent d’une grande aide pour l’approche finale du bateau vers la côte. Mais la lumière du jour levant, leur révéla une côte composée de rochers noirs volcaniques sur lesquels ils s'apprêtaient à s’échouer. Ils étaient déjà beaucoup trop proches du littoral, pour essayer de trouver un point d’abordage plus accueillant.

La violence des ondes marines frappa le bateau contre les premiers rochers, qui se cachaient inhospitaliers sous la surface de l’eau, à faible profondeur. Stacey et Maombi furent projetées dans l’eau. Bae réussit à s’accrocher à Maombi pour la stabiliser et éviter qu’elle ne dérive. L’un après l’autre, ils gagnèrent tous la côte abrupte.

La marche fut scabreuse. Les vagues continuaient à taper, faisant perdre l’équilibre des nouveaux arrivants. Ces rochers étaient coupants, comme des canines de vampires cherchant le sang de ses victimes. Stacey et Mark en firent les frais les premiers.

Une fois la promenade scabreuse terminée, une montée en terre souple leur offrait un passage plus accueillant. La pente était assez raide mais faisable ; personne n’oserait s’en plaindre après ce qu’ils venaient de traverser.

Arrivées sur un petit plateau, un mur vertical s’érigeait devant eux. Ils furent obligés de longer la côte pour chercher un meilleur accès. Des arbustes éparses apparurent, rassurant les naufragés.

  • S’il y a des plantes, cela ne peut être qu’un bon signe, n’est-ce pas ? interrogea Stacey.
  • On verra si la flore se diversifie. Des arbustes désertiques comme ceux-là peuvent pousser sur les flancs de falaises, sans que cela annonce un terrain moins hostile ! précisa Mark, en bon professeur de botanique.

La végétation resta la même pendant des centaines de mètres, quand Bae aperçut un filet de plage sableuse devant eux. Une fois arrivés, le souvenir de ce qu’ils venaient de vivre semblait si lointain qu’ils coururent tous vers ce sable blanc et s’y laissèrent tomber.

La plage devait faire au moins deux kilomètres de long. Vers son centre, il y avait des arbres côtiers bien portants et non des arbustes. Maombi l’éclaireuse, repera encore une fois bien avant les autres, un cabanon en bois délabré.

  • Nous sommes sauvés, c’est les premiers habitants du coin ! cria Stacey en courant vers le bâtiment.

*

Du haut de la falaise que les cinq venaient de parcourir, depuis un point qui dominait tout le panorama, un homme et une femme avaient discrètement suivi leur arrivée.

  • C’est l’heure d’aller se mettre à l’abri avec les nôtres, déclara l’homme.
  • Penses-tu qu’il s’agit des derniers ? questionna la femme.
  • Il faudra que ça s’arrête un jour, souffla l’homme avec un air dépité.

***

L’après-midi parisien du 2 janvier réserva un accueil glacial au vol de Bertha et Caleb. Le choc thermique subi à leur arrivée était de 40 degrés Celsius. Cet écart entre l’été de Rio et l’hiver de Paris, annonçait parfaitement la froideur de la situation qui les attendait pour leur retour en France.

A leur sortie des arrivées du terminal 2E de l’aéroport de Roissy - Charles de Gaulle, une meute de journalistes les attendait. Bertha était habituée à couvrir une info et pas à être elle-même en face de dizaines d’objectifs. Le mari de Cécile Caradec, sœur cadette de Kevin Letailleur, se précipita pour extraire Bertha et son fils de la cohue. Sa voiture était garée dans la zone de dépose minute, leur permettant de s’engouffrer avec célérité dans le véhicule qui démarra sans délai.

  • Fañch, avez-vous des nouvelles de Miranda ? demanda Bertha.
  • Rien depuis son tweet d’hier.
  • Si elle en a d’autres comme celui-là ! ironisa Caleb, d’une voix amère.
  • Avez-vous davantage d’informations sur ses affirmations ? s’inquiéta Fañch.

Bertha lança un regard à son fils, lui faisant silencieusement comprendre qu’elle s’occupait des réponses à venir. Ils s’étaient accordés pendant leur voyage, qu’ils garderaient pour eux la troublante conversation de Noël de Kevin, pour le moment du moins.

  • Nous ne savons rien de plus que vous. Toute cette situation est d’un flou total ! essaya de convaincre Bertha.

Le jeune renard Fañch flaira le mensonge dans les fluctuations de la voix de Bertha, mais il n’insista pas, lui offrant le bénéfice du doute.

*

Après une conversation poussive de circonstance qui sembla éternelle, la voiture arriva au domicile de Fañch et Cécile Caradec.

A l’extérieur de l’immeuble, la police attendait les voyageurs. Une petite femme brune habillée en civil s’avanca vers eux.

  • Je suis le capitaine Claire Bichon. Je vous prie de m’accompagner à l’intérieur, nous avons du nouveau sur la disparition de Monsieur Letailleur.

Bertha et Caleb, malgré le décalage horaire pesant, essayèrent de suivre les pas courts et décidés de la policière, espérant recevoir de bonnes nouvelles. Une fois dans le grand salon des Caradec, l’expression du capitaine Bichon ne leur parut toutefois de bon augure.

  • Je viens de recevoir un appel des services de renseignement de la DGSE. Ils se sont saisis de cette enquête et arriveront d’un moment à l’autre. Ils doivent vous interroger.
  • Y a-t-il un rapport avec les disparitions de Sacramento, Kawaguchi et Dubaï ? demanda Caleb.
  • Jeune homme, autant que je sache, l’avion sur lequel voyageait Maombi Niombella et son mari se serait échoué en mer. Pour les autres disparitions, je n’en sais pas plus que vous.

Elle les invita à s’asseoir en attendant, puis repris :

  • Toute l’attention de la police est portée sur la recherche de Miranda, savez-vous où elle se trouve ?
  • Non, répondit Bertha, qui repris après un temps d’hésitation : Que savez-vous de cette “Opération Pandore” ?
  • C’est classé “Secret défense”, seul le bureau de la DGSE pourra vous donner des informations là-dessus.

Fañch, qui avait tout entendu, s’éclipsa sans se faire remarquer tout en gardant une oreille attentive à la discussion. Il sortit un vieux téléphone à clapet de sa poche, composa un numéro qu’il connaissait par cœur et tapa en vitesse un SMS : “Pandore sort bientôt jouer, les enfants arrivent au patio ? ”

La réponse fut presque instantanée : “Oui. KL aussi”.

Caleb avait suivi d’un regard silencieux les gestes nerveux de son oncle, et fut surpris qu’il glisse l’appareil après son utilisation, dans le manteau de Bertha qui était rangé près de l’entrée.

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