Désillusion

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La directrice générale pris une vive respiration et pencha légèrement la tête vers moi :

« J’ai appris que tu es allée à Paris récemment, amorça-t-elle. Avec Garry.

— Oui, confirmai-je simplement.

— Comment s’est passé la rencontre, selon toi ?

— Je ne suis pas sûre d’être la mieux placée pour en témoigner.

— Mais si, ne t’inquiète pas, c’est toi que je voulais entendre. »

Après une courte pause afin de me remettre les idées en place, je me remémorai les événements de la semaine dernière. Les soutiens pressants d’Okoro lors du débat, dont les visages joyeux et souriants devenaient hideux et enragés à chaque prise de parole de Garry, m’avaient laissé un goût désagréablement amer à l’issue de cette expérience. Il y avait quelque chose de malsain en eux que je ne comprenais pas. Je décidai alors de partager mes doutes à mon interlocutrice :

« J’ai trouvé la rencontre… décevante, avouai-je.

— Décevante ? fit la blonde en tailleur avec un haussement de sourcils. Qu’est-ce qui te fait dire ça en particulier ?

— C’est juste une impression, mais… la femme contre qui Garry a débattu… et les gens qui l’accompagnaient… il y avait quelque chose qui n’allait pas, par moments j’ai même pensé qu’ils faisaient peur.

— C’est intéressant. Tu as d’autres ressentis sur ce débat ?

— Je ne sais pas comment l’expliquer, là, comme ça, mais j’ai aussi pensé que c’étaient des hypocrites, que tout était artificiel chez eux… que leur engagement pour les plus démunis, tout ça… ils le faisaient par opportunisme. La religion, la couleur de peau, les origines, l’orientation sexuelle… Tout ça uniquement pour se faire mousser, pour se faire de l’argent sur le dos des gens vulnérables… Je me suis sentie écœurée à la fin. »

J’aurais voulu mieux m’exprimer, sans paraître m’apitoyer sur mes propres ressentis, et afficher une image plus professionnelle de moi-même, mais le cadre intime de l’endroit m’avait naturellement fait baisser la garde. Après réflexion, le bureau n’avait rien à voir avec ça. J’avais répondu normalement, sans façade, sans artifices, parce que la désillusion au sujet d’Okoro me restait encore au travers de la gorge. On se ressemblait beaucoup, elle et moi. Du moins, ses sbires et moi.

On n’avait jamais manqué de rien dans la vie, familles bien placées en société, bonnes études, bons résultats… ouverture d’esprit, tolérance, caractère bienveillant et volontariste, des rêves plein les yeux… Et pourtant ils avaient fait preuve de tellement de haine, de rage et de rancœur qu’ils semblaient faire preuve d’autant de préjugés que les personnes qu’ils étaient censés combattre.

La directrice générale me regardait toujours avec grande attention : « Tu es perspicace. Nick a beaucoup de chance de t’avoir avec lui. » Elle prit une nouvelle inspiration et se repencha vers moi : « Je voulais te parler de lui aussi, justement. Cela fait quelques mois déjà que vous travaillez ensemble et je voulais savoir si tu avais remarqué quelque chose d’inhabituel chez lui, s’il avait changé depuis le début de l’année. »

Je ne savais comment répondre, et pour cause, je n’avais jamais réfléchi à cela. De plus, comment juger son patron sans que cela n’ait de répercussions sur la suite ? En admettant qu’il y en ait une pour commencer. Mais plus qu’autre chose, je ne le connaissais pas plus que ça. Nos échanges avaient toujours été limités à quelques mots tout au plus. Enfin, comment juger objectivement la personne que j’admirais le plus au monde ?

Puisque mes pensées n’aboutissaient pas en paroles, le silence qui en résulta s’allongeait de plus en plus. « Ne t’en fais pas, » dit-elle. « Ce n’est pas urgent. Je n’ai pas besoin de savoir tout de suite, mais si tu n’as rien remarqué, je ne dois pas m’inquiéter. » La femme en tailleur se leva, sourire aux lèvres, le visage radieux, prête à me raccompagner. Mais à ce moment-là, quelqu’un vint frapper à la porte, m’obligeant à rester un peu plus dans cette pièce lumineuse.

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