Photo

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Je me levai d’un coup, prête à me jeter sur lui, l’attrapai aux épaules résolue à ne pas le laisser s’enfuir et même à le secouer si l’envie lui venait d’être indiscret. Irritée par son insouciance mal placée, je commençai d’abord par lui crier de dessus : « Je te tiens ! Maintenant tu vas me dire ce que tu me caches depuis ce matin, là ! » ordonnai-je, puis, afin de soutenir mes exigences, lui lançai un regard énergique où nos yeux n’étaient plus séparés que de quelques centimètres.

D’abord immuable dans sa jovialité, il devait vraiment avoir oublié cette histoire et se l’être tout juste rappelée dans un éclair de lucidité, puisque ses yeux exprimaient soudain la panique et son visage affichait un sourire contrit de mari infidèle :

« Je savais que c’était une mauvaise idée, dit-il.

— C’est à cause de la photo ? s’immisça Clara.

— N’en rajoute pas !

— Quelle photo ? insistai-je.

— Je n’y suis pour rien ! En fait, techniquement si, c’est moi qui ai pris la photo, mais ce n’est pas ce que tu crois !

— Montre-la-moi.

— Je ne peux pas, c’est toi qui l’as ! Et Lilo. »

Qu’est-ce que Lilo venait faire là-dedans ? Elle était avec nous, c’est vrai. Mais qu’est-ce qu’elle avait à voir dans cette histoire ? Et cette photo, qu’est-ce qu’il y avait dessus à la fin ? J’étais vraiment si saoule que ça, c’est ça qu’il y avait sur la photo ? Toujours pas convaincue par les réponses de Grégoire, je lui jetai un regard menaçant pour lui faire avouer le reste de l’histoire.

« Je te jure que je n’ai pas la photo, elle est sur ton téléphone », dit-il. « On va voir ça », répliquai-je, peu prompte à le croire. Cependant, puisque je ne pouvais pas simultanément le garder à l’œil et prendre mon téléphone dans mon sac, le blondinet a pu se libérer de mon emprise. Tant pis. Mais il ne s’est pas échappé comme au journal cette fois. Au contraire, il est resté en s’assurant néanmoins que Clara se tienne entre lui et moi au cas où je voudrais encore lui sauter dessus.

Alors que je cherchais mon téléphone, je devais me rendre à l’évidence. Il n’était pas là. Où donc l’avais-je posé la dernière fois ? À mon bureau ? Celui de mon patron tout à l’heure ? L’explication la plus plausible était que je l’avais sans doute oublié chez moi, sachant que je n’avais pas le souvenir de l’avoir utilisé ailleurs, ni à un autre moment de la journée, en plus de son absence dans mon sac.

« Tu as de la chance, toi », lui dis-je. « J’ai laissé mon téléphone chez moi. De toute façon je vais te revoir demain, et j’aurais vu la photo cette fois », continuai-je avant de prendre mes affaires pour rentrer. « Bon, j’y vais. Au revoir, Clara. Au revoir, toi » lançai-je déjà sur le départ au moment de saluer Grégoire et sans le regarder dans les yeux. C’était énervant d’avoir une rumeur sur le dos, mais c’était encore plus enrageant d’être la dernière au courant et de ne même pas savoir de quoi il en retournait.

Une fois dans mon appartement, je n’avais qu’une envie, m’allonger, bizarrement, et pas me jeter sur mon téléphone. Il était encore sur la table de la cuisine d’où je pouvais le voir depuis le salon. Après une longue inspiration, je sortis enfin de mon canapé, pris le téléphone et retournai m’y allonger. La batterie était encore pleine, ce serait rapide. Juste le temps de me tromper de code pour le déverrouiller, à croire que c’était fait exprès. Il y avait bien un message de la part de Lilo, que je n’avais bien sûr pas aperçu ce matin, comme par hasard.

Le message contenait une photo. Elle était trop sombre pour que je distingue tout de suite ce qu’elle représentait. Petit à petit, l’image s’éclaircissait dans ma tête. C’était l’endroit où on avait fait la fête hier soir chez quelqu’un. Au centre de la photo, il y avait Lilo et moi. J’étais endormie sur le sofa bleu électrique du salon, la tête contre les hanches de la Polynésienne, mes mains entourant sa taille et mon bras caressant ses cuisses. Lilo, elle, avait une main posée sur mon dos et l’autre qui tenait une de mes mèches blondes au bout de ses doigts fins. Elle me regardait avec des yeux attendris, toute vulnérable que j’étais.

Les battements de mon cœur s’accélérèrent tant à cause de la situation terriblement gênante à laquelle je m’étais exposée, tant à cause de mon comportement irresponsable. Qu’est-ce qui m’avait pris d’être toute douce, toute affectueuse tout d’un coup ? Heureusement que c’était Lilo, elle comprendrait, peut-être. Est-ce que j’avais fait pareil avec d’autres personnes ? Qu’est-ce qui s’était passé à cette maudite soirée à la fin ? Pourquoi j’ai fait ça ? Et pourtant, au fond de moi, la photo m’émoustillait. J’étais heureuse de l’avoir. Elle resterait un souvenir inoubliable de cette nuit. Je sentais que Lilo et moi étions déjà plus proches dans nos cœurs.

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