Bresse

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Le petit groupe auquel je m’étais habituée préparait l’événement comme s’il s’agissait d’un important anniversaire d’une personne chère à leurs yeux. En tête dans son enthousiasme, une Clara extatique rêvassait comme une bachelière pour le bal de fin d’année sur la tenue qu’elle porterait. Rouge, bleue, blanche et toutes les couleurs y passaient. Tailleur fin, robe élaborée, veste élégante et des accessoires à n’en plus finir. À l’entendre, je ne savais pas que je travaillais pour un magazine de mode.

Auprès d’elle, Grégoire acquiesçait à chaque nouvelle trouvaille de la jeune femme avec son sourire jovial un brin énigmatique. Ils pourraient faire un beau couple tous les deux. La pensée distraite arriva sans prévenir mais sans doute n’était-elle pas complètement fausse. Leur franchise naturelle devait bien se marier entre eux et faire naître une complicité farouche.

Aurore ne donnait pas l’impression d’écouter ces élucubrations frivoles mais toutes les fois que Clara l’interpellait pour confirmer ses choix vestimentaires, elle savait parfaitement quoi penser de ceux-ci. Quelques mots froids et distants suffisaient difficilement à réfréner les envies de démesure de la brune. Cela semblait avoir au contraire l’effet inverse puisque la rêveuse repartait ainsi de plus belle, reconnaissante de l’avis reçu.

Enfin, elle se tourna vers moi sans que je ne lui aie rien demandé : « Et toi, Lea ? Comment tu seras ? » Le temps d’analyser ses paroles et la situation ne fut malheureusement pas assez long pour fournir une réponse adaptée. Déjà je redoutai où l’esprit sauvage de Clara m’emmènerait. Ce qui se traduisit par nous deux, le soir, seules dans mon appartement. Une fois de plus, j’échouai à lui résister.

L’obsession de mon invitée s’était portée sur ma garde-robe dont les seuls éléments un peu raffinés se limitaient à un tailleur en jupe ou pantalon et une robe noire en laine. Sous le regard insistant de ma consœur, je me résolu à commencer la séance d’essayage qu’elle attendait tant. La première tenue qui me donnait un air de femme de bureau ne déplut pas à ma conseillère. Mais lorsqu’il me fallut essayer la robe, mes réticences explosèrent.

La dernière fois que je l’avais portée remontait au précédent été, le soir de la remise des diplômes, et je n’avais absolument pas envie de me remémorer cette époque à la Sorbonne :

« Laisse tomber, je ne la mettrai pas.

— Pourquoi ? Je suis sûre que tu seras sublime si tu la portes.

— Non, refusai-je.

— Allez ! insista-t-elle.

— J’ai dit non.

— Ce serait dommage de ne pas profiter de l’occasion avec tous ces jeunes et séduisants avocats, professionnels de la finance et nos riches actionnaires. Tu les ferais tous craquer en noir, ta silhouette mise en valeur et tout. On ne sait jamais qu’une histoire pourrait naître par hasard sans même s’en douter.

— Rince-toi l’œil toute seule.

— S’il te plaît ! Fais-moi plaisir ! Montre-moi combien tu es belle dedans ! »

Je n’ai pas aimé la façon dont elle m’a forcé la main. D’un autre côté, c’était presque attendrissant de la voir se démener de la sorte pour moi. Ou pour elle. Dans les deux cas, je monopolisais ses pensées en ce moment précis et rien que cela m’apportait un peu de joie que l’on me voie ainsi. Je cédais, encore : « D’accord, je vais la mettre », dis-je en lui lançant un oreiller à la figure pour la peine, ne révélant que son sourire charmeur.

Ma tenue me semblait malgré tout trop aguicheuse en dépit de l’extase d’une certaine personne. Ce sentiment ne devait pas cesser le jour de l’assemblée générale, ce vingt-cinq mars. Devant le Zénith de Paris, un service de sécurité imposant contrôlait invitations et documents d’identité. Certains vigiles tenaient aussi les indésirables à l’écart dont plusieurs mitraillaient les environs, appareil photo en action, peut-être même filmant les arrivées. Ces regards malveillants, d’une part, et cette marée humaine à l’intérieur, d’autre part, ne me plaisaient pas beaucoup.

Heureusement, l’ambiance dans la salle respirait un peu plus la tranquillité. Le temps de retrouver Aurore dans une somptueuse robe violette que ses cheveux noirs faisaient pâlir de leur beauté que déjà le groupe se reformait. Clara, contrairement à ce que j’imaginais, portait une robe courte fleuries aux couleurs claires qui lui donnait une innocence qu’elle n’avait pas. J’étais sûre qu’elle aurait choisi une tenue plus provocante. Grégoire, par contre, me fit comprendre à cette occasion qu’il était un homme imprévisible.

« Non, tu n’as pas osé, tu ne l’as pas vraiment fait, dis-moi que ce n’est pas vrai ! » l’interpella Garry vêtu d’un costume noir et une cravate bordeaux. « Qu’est-ce que j’ai fait ? » demanda niaisement l’innommable collègue habillé de blanc avec une chemise bleue et une cravate rouge, le tout couronné d’une chevelure inhabituellement blonde dont je n’avais pas le souvenir.

Arriva enfin l’irremplaçable Nikola von Lorentz nous observant silencieusement dans nos habits d’apparat : « Que vous êtes beaux », dit-il gentiment. Lui non plus n’avait rien à nous envier dans son costume fin, sa cravate bleu électrique, sa barbe négligée qui laissait maintenant place à sa peau douce et un visage rajeuni. Accrochée à sa poitrine, une croix blanche aux rubans bleus comblait sa magnificence.

Le temps n’avait plus d’importance lorsqu’il était là. Mon cœur battait déjà plus vite que la normale et s’accéléra encore plus lorsque nous nous dirigeâmes à nos places. En voyant Aurore attendrie d’une joie radieuse qui contrastait avec sa beauté froide à laquelle j’étais habituée, je ne pouvais que partager la même émotion, frissonner à l’idée de vivre moi-même cette scène, prendre le bras de mon héros et me perdre auprès de lui.

Cependant, une autre vision devait intriguer mon attention, celle du président Williams en costume traditionnel écossais s’apprêtant à débuter sa performance :

« Bonjours à tous ! » entonna-t-il de sa voix aussi puissante que le tonnerre. « Chers amis, collègues, actionnaires et représentants, nous allons maintenant commencer l’assemblée générale de cette année ! » poursuivit-il, captant de plus en plus l’intérêt de l’auditoire. « Mais je voudrais avant tout, comme la tradition le veut ici, vous présenter le membre le plus illustre de tout Le Dernier ! J’ai nommé, Bresse ! » dit-il alors qu’un coq apparut au même moment sous les applaudissements impatients des participants.

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