Judas [4/4]

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Abasourdi sur le seuil de ma porte, je n'ai pas bougé d'une semelle. Sasha me débite un tas de paroles dont je ne saisis pas le sens. Puis, j’entre chez moi, le cœur lourd.

Que vais-je faire ? Que vais-je dire à Simon quand il passera cette porte ? Ai-je réellement vu ce qui vient d'arriver ? Et la question la plus importante : ai-je envie de savoir ?

Sasha me secoue. Je sors de mes songes :

— Où sont les affaires de Simon ?

— Là-bas, dit-elle en me montrant du doigt le sac posé près du canapé. Pourquoi ?

Je me précipite sans prendre le temps de lui donner une explication et récupère toutes les affaires de mon meilleur ami, même ceux éparpillés dans la salle de bains, puis fourre le tout dans son sac de voyage.

Au même instant, on sonne à l'interphone : Simon Williams, ce traître.

Il passe la porte d'un pas nonchalant, radieux. Journal à la main, il s'avance vers nous :

— Quelle soirée ! lâche-t-il tout sourire.

Son regard croise le mien. Il sait que je sais.

Un silence interminable se crée. Une réticence flagrante de ma part de lui en coller une, tout comme de la sienne de s'expliquer. Seule Sasha reste stoïque à cette interruption d'échanges entre nous. Chose qui n'a jamais existé. Puis, il commence à briser cette lourde pause de paroles :

— Tu as quelque chose à me demander ?

— Qu'est-ce que tu foutais avec elle ce matin ?

— On s'est donné rendez-vous... pour discuter, me dit-il simplement.

— Discuter...Depuis combien de temps tu la connais ?

— Un peu plus de deux ans...

— Et tu n'as pas cru bon de m'en parler ? demandé-je sentant la colère monter.

— C'est plus complexe que ça en a l'air.

— Oui parce que ça n'en a pas l'air du tout, coupé-je sèchement. Est-ce toi le type qu'elle a embrassé à Londres ?

Il prend une inspiration avant de poursuivre, yeux dans les yeux :

— Oui.

— Ce n’est pas vrai ! s'écrie Sasha en prenant du recul.

Ni une ni deux, je lui flanque une patate en plein visage. La haine qui bouillonne en moi depuis hier, prend possession de mon corps. Incapable de me calmer. Sans penser aux conséquences, je lui administre une seconde dans la mâchoire. Sasha lâche un cri.

Simon, quant à lui, se rue sur moi et nous nous battons, là, dans mon appartement pour la première fois de notre vie. Même si mon pote me rend les coups, il insiste pour que je cesse.

Sasha a voulu s'interposer, mais dans la bagarre, elle est tombée. Chacun de nous remettons la faute sur l'autre. Cette seconde d'inattention m'a valu un coup porté au visage, qui fait voltiger mes lunettes.

Notre amie revient malgré tout à la charge. Pour parvenir à ses fins, cette fois-ci, elle se positionne entre nous, bras tendus à l'encontre de chacun, nous adjurant de stopper cette mascarade. J'ai mal à la mâchoire et Simon saigne du nez.

Je pars chercher son sac et le jette à ses pieds.

— Tu dégages de chez moi.

— Tu plaisantes j'espère ? s'exclame-t-il en se tenant l'arête de son nez. On est samedi. Mon vol n'est que demain, tu te rappelles ?

— Je m'en tape. Tu n'as qu'à aller la rejoindre chez elle.

— Tu dérailles, mec.

— DÉGAGE ! crié-je, en lui montrant la porte.

Il hoche la tête avec dégoût avant de me balancer son journal sur moi.

— Éclate-toi bien avec la vérité ! hurle-t-il.

Il ouvre la porte et la claque derrière lui. Je ramasse ma paire de lunettes et m'assois sur une des chaises autour de la table. Je me masse la mâchoire. Je suis une bombe à retardement.  Je n'ai qu'une envie c'est que tout ça s'arrête. Je suis épuisé. La vérité ? Laquelle ?

Sasha pousse une exclamation de surprise qui me fait sursauter. Elle a la main portée à sa bouche, l'autre tient le journal que Simon m'a balancé en pleine figure, il y a quelques minutes. Elle me l'apporte.

Je le prends entre les mains. Le Télégramme, un journal départemental du Morbihan. Celui-ci date de 2008 :

L'Affaire Mahé, la sordide histoire de la jeune fille du port de Lorient.

Je lis d'une traite l'affaire. Chaque détail des plus morbides est exposé. Quand je finis l'article, je ne retiens plus rien, je laisse couler mes larmes et Sasha me prend dans les bras.

Sweety, I'm so sorry...

Tous deux, nous sommes face à face, je me remets en question sur ce qui s'est passé depuis mon arrivée à Paris. N'ai-je pas bien interprété les signes ? Elle est persuadée que Simon ne m'aurait jamais fait une chose pareille. Pourtant, quand je lui expose ce que j'ai vu dans cette brasserie, elle a du mal à trouver d'autres hypothèses.

Elle a tenté d'appeler à plusieurs reprises notre ami, mais celui-ci refuse de répondre. Il doit être avec Charlie. Rien que de l'imaginer allongé avec elle sous les draps, me broie les intestins. Ce soir-là, je force sur le somnifère pour trouver le sommeil.

Le lendemain midi, après une longue discussion avec Sasha, je décide de retourner chez celle qui m'a fait tourner la tête dès l'instant où j'ai posé mes yeux sur sa majestueuse silhouette. Avoir une explication coûte que coûte à tous ces non-dits et ces secrets, qui depuis le début sont prémédités. Je ne veux plus de jeux de déduction ni de séduction.

Sasha ne m'accompagne pas mais je lui promets de tout lui raconter. Une grande étreinte et un bisou sur la joue de sa part pour me réconforter et je suis prêt à affronter la vérité.

Arrivé devant l'entrée du numéro 32 de la rue Ballu, un asiatique sort de l'immeuble, légèrement perdu. Profitant de cette sortie pour m'engouffrer dans la cour, celle-ci même où quelques mois auparavant, j'ai essayé de prêter main forte pour réparer son scooter. Savait-elle déjà ? Sûrement, car elle avait vu Simon le samedi d'avant. Pourquoi a-t-elle continué avec moi si elle avait une relation avec lui ? Ceci est cohérent en fin de compte. Alors, quoi ? Quelle vérité ?

Je monte les escaliers deux par deux jusqu'à atteindre le 5ème étage. Je toque. J'attends un instant avant qu'Iban ne m'ouvre.

Sur le paillasson, Iban tient toujours la porte ouverte et face à moi : Charlie en pyjama, au milieu du couloir. Et Simon fait son entrée pour se joindre à la petite troupe. Il est vêtu d'un sweater et son pantalon en lin noir, pieds nus. Il a dû dormir ici.

J'entre d'un pas précipité vers lui. Iban se met entre nous :

— Ça suffit maintenant James ! Tu es chez moi là.

— Je vois qu'on ne perd pas de temps ici » balancé-je en regardant Charlie et Simon.

Celle-ci est repliée sur elle-même, les jambes serrées. Elle se tient les coudes, légèrement prise de tremblements.

— Dis-moi ce qui se passe, Charlie. Je veux savoir, supplié-je.

— Charlie, s'il te plaît, chuchote Simon.

Charlie croise et décroise ses mains. Elle se tortille sur place.

— Allez dis-lui ! lui crie-t-il.

—Non mais ce n'est pas si important, ajoute-t-elle d'une voix tremblante.

— Là, je t'assure ma chérie : c'est vraiment le moment, encourage Iban en lui caressant les cheveux.

Elle ne le quitte pas des yeux. Un regard qui signifie « reste près de moi ». Iban hoche la tête.

Figée quand elle se tourne à nouveau vers moi, je cherche une réponse à travers ses expressions. Impatient d'entendre ce qu'elle a à me dire. Savoir quelle étrange vérité pouvait être la cause d'un tel état d'anxiété. Puis, je me tourne vers Simon. Celui-ci attend le souffle coupé.

— James... dit Charlie d'une voix très douce et calme.

Lentement, je rapporte mon attention sur elle. Elle est belle avec ses yeux embués de larmes.

— James, viens t'asseoir, m'assure-t-elle en se rapprochant de moi. Ça risque d'être long.…et assez pénible à entendre.

Je m'assois sur son canapé. Iban part faire du café et du thé tandis que Simon se tient derrière le sofa. Charlie, quant à elle, prend place sur la table basse, face à moi. Je suis prêt à l'écouter. Je l'observe. Plus aucun langage corporel n'est maîtrisé, il s'ouvre enfin à tous mes décryptages.

Le chef d'œuvre n'est plus un secret pour moi : il se dévoile.

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